La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Jean-Louis Rambour
Souvent nos yeux courent
vers le bas des pages
dans une précipitation propre
aux jeunes gens Nos yeux
sont ces chats coupant l’air
pour saisir une proie vivante
À la fin de la page on médite
sur chaque mot évité
on cherche l’autre sens
que celui sans doute écrit
C’est ainsi que dans la neige
on croit voir les traces
du bout des ailes des perdrix
Nos yeux ont couru gorgés
de blanc mais y voient
à la dérobée furtivement
un indice de la vérité
Ils s’y débattent un moment
puis se réjouissent de reconnaître
dans une fissure du gel
dans un cristal recroquevillé
le visage de l’autre la signature
de l’autre comme s’il était
à l’affût de la fin de l’hiver.
In Y trouver la fièvre, © L’herbe qui tremble, 2024
Internet
Wikipédia | Jean-Louis Rambour
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Sophie Loizeau
Dit de passation / de l’ancienne Selkie à la nouvelle
il faut que je te dise
tassée là près du poêle elle chauffe sa chair frileuse
elle tremble
si jamais j’ai été autre chose qu’une bête sans feu et solitaire
la nouvelle Selkie
sur le sol de la cabane tangue hébétée
j’ai vu ton bateau je t’ai vu le haler
à cause des vagues /je t’observais
de l’eau jusqu’au cou /folle de désir à quelques mètres à peine
la peau me tirait /j’étais mûre et tu étais
toute
désignée
tu avais l’air d’espérer plus de la vie que cette retraite sur l’île
je percevais
tes mouvements intérieurs tes conflits /dès que j’ai pu
muer / dès qu’il me
fut possible de le faire
car la peau t’épouse si
étroitement qu’elle ne tombe pas
d’elle-même /j’ai résolu de me tourner vers le bois
plutôt que vers la cabane où un esprit gardait ta porte
un petit renard éveillé
maintenu dans cet état par la lumière de ta lampe
et la graisse / la lumière glauque de sous la mer ces rudesses
seront ton lot au cours des sept
années que tu devras passer comme ça
la mer inamicale est juste un autre
milieu tu expérimenteras ses possibilités : par ton nez
tu souffleras de la vapeur et sous l’eau tes pupilles
se couvriront d’une paupière
elle l’a regardée par la fenêtre
se traîner vers la mer
à la manière des phoques sur la terre avec un pincement
le sommeil ne vient pas
il lui faut une peau
la touffe de poils entre ses cuisses est le seul endroit
chaud avec ses cheveux
pour mettre à ses épaules pour
vêtir sa peau nue
elle farfouille fébrilement et trouve / elle se roule
dedans dans
cette fourrure du placard / de renards blancs cousus
flanc à flanc
acrylique et polyester enrichis de fibres
de coton / dans la bête impensable
le génie / le faux renard
In L’île du renard polaire de To Kirsikka, © Champ Vallon, 2024
Internet
Wikipédia | Sophie Loizeau
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Christian Bobin
C’est la décision la plus évidente du monde que de donner à une rose le nom de Camille Claudel. Toute son œuvre est traversée du flux sans cesse renouvelé des étoiles. Elle a enfanté des rivières de bronze. Elle est bâtie comme une rose de douleur dont le centre abrite la plus grande lumière que nous puissions, vivants, jamais connaître.
Le centre des guerres est ce point calme, très calme : une rose unique, gardienne de la vie. Si tu veux la voir, ferme les yeux et regarde en toi dans ce parc très ancien où rien ni personne, pas même ton angoisse, n’a jamais pu entrer.
Entre un point de hernie discale qui se creuse dans ma chair, le pouce que Camille Claudel enfonce dans l’argile d’une statue, et le miraculeux cercle de poussière qu’un doigt de soleil appuie sur la fenêtre, il y a des échanges, un « travail » en cours entre ces trois royaumes qui n’ont de sens que d’être passagers.
Quand je suis devant La Petite Châtelaine, l’enfant est si sensible que le marbre de ses joues frémit sous le souffle de mon regard.
La Petite Châtelaine devrait être exposée seule, dans une pièce vide. Un météore tombé de l’invisible auquel jadis les hommes croyaient.
Camille a extrait des ténèbres ce bloc irradiant de sensibilité sans lequel nous ne serions rien. Nous devons tout à cette abandonnée. Tout. Aujourd’hui le peuple des roses s’incline devant sa reine.
In Le murmure, © Gallimard, 2024
Internet
Wikipédia | Christian Bobin
Gallimard | Le murmure
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Sabine Dewulf
Concorde insaisissable
mon premier cri tomba
de ce ventre de neige
autour de lui une nuée
étrange alliée
s’enroula toute seule
comme pour l’éclairer
depuis j’écris
In Près du surgissement, textes de Sabine Dewulf et photos de Stéphane Delecroix — © pourquoi viens-tu si tard ? 2024
Internet
Wikipédia | Sabine Dewulf
Facebook | Le Miroir d’Or de Sabine Dewulf
Éditions Pourquoi viens-tu si tard ?
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Bernard Grasset
Maison de pierre aux volets verts
Et l’inconnu de la lumière,
Le sablier s’est renversé
Et tu retrouves le sentier.
(Dimanche 18 – mercredi 21 avril 2021 – Venansault, Chemin Louis Chaigne)
Maison bleue, maison rouge,
Heure calme, d’outre saison,
Et le sable, et les voiles,
Des mots égrènent les îles.
(Vendredi 14 mai 2021 – Locmariaquer)
Du jardin de l’abbaye
Ciel et mer, mer et ciel,
Murmures de poètes
Et les landes, landes d’oubli.
(Dimanche 13 juin 2021 – Les-Sables-d’Olonne, Saint-Jean-d’Orbestier)
Cabanes de pêcheurs
Et l’embrun du regard,
Des pas le long du chenal
Et l’exil des heures.
Dimanche 20 – lundi 21 juin 2021 - - Port du Collet, Baie de Bourgneuf)
Il est un pays, ailleurs,
Derrière la nuit du regard,
Un pays d’eau et de feu
Où revient l’écho des voix.
Samedi 22 janvier 2022 – Schubert, La jeune fille et la mort, La Roche-sur-Yon)
In Fontaine de clairvent, © Au Salvart, 2023
Internet
Wikipédia | Bernard Grasset
Éditions Au Salvart
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Audre Lorde
Génération
Ce que la jeunesse tente ce qui la brise
varie d’un âge à l’autre
Nous étions brunes et libres
l’amour nous chantait sous la peau
le soleil dans les cheveux dans les yeux
le soleil notre chance
et le vent nous avait dorées
et rendues gaies.
En une saison de pouvoir limité
nous avons pleuré nos promesses
Et voici les enfants qu’à présent nous jugeons
pour des tentations qui portent notre visage.
Mais qui revient de nos villes bouclées dans leurs mensonges
les avertir que la route vers nulle part
est glissante de notre sang
les avertir
qu’on peut rentrer à la maison sans boire toute l’eau du fleuve
puisque nous avons acheté des ponts
avec l’or couvert du sang de nos mères ; –
car à présent nous sommes plus que des proches
qui venons partager
pas juste notre sang
mais nos échecs sanglants.
Ce qui tente la jeunesse et la trahit
jusqu’au carnage ou au conformisme
est un effet de miroir
simple question de temps.
In Charbon, © L’Arche, 2023 – Préface et traduction du collectif Cételle
Internet
Wikipédia | Audre Lorde
France culture | Audre Lorde, le poème en action
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
André Laude
Lettre à Jean Malrieu entre la lumière et la parole
Ami,
je t’écris pour te donner des nouvelles du sang
qui est toujours en voyage
pour te parler de quelqu’un qui a jeté une pierre
dans le puits secret de la douleur
et qui depuis plusieurs automnes l’écoute tomber
inlassablement rebondissant de paroi en paroi
comme un verbe blessé
Ami,
je t’écris pour savoir ce qu’il en est du jour et
du temps aux tempes et du bleu fanal de l’amour
Ami,
aux durs travaux d’insecte
aux paumes de givre et rosée
Je t’écris
parce qu’il y a tant de choses en péril ici
qu’on craint soudain pour tout ce qu’on aime
qu’on a peur
et envie de dialoguer avec la lumière faite homme
Ami
dont le pas sur la route de Penne
soulève des gerbes d’étoiles
éclairant le mystère épousé dès l’enfance
Permets
qu’un passant de terre
au lourd manteau de pleurs et deuils
s’arrête un instant devant ton humble baraque de planches
où ta main experte en lunes et miracles
continue fièrement de défier l’ombre
Permets
oui Permets
à une voix farouche criblée de nostalgies
de se taire
et d’entendre mûrir un beau fruit dans ton silence
de joie et de peine
Ami,
je t’écris
en clameurs
et hymnes.
Pardonne
si la croix des morts
siffle entre mes mots.
In Un temps à s’ouvrir les veines, © Les Éditeurs français réunis, collection « Petite Sirène », Paris, 1979
Internet
Wikipédia | André Laude
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Marie Rouzin
Tu cherches le silence
Ta langue est sans or sans capital
Pauvre héritage
À peine connais-tu l’art de creuser pour trouver les filons des métaphores
Qui te font voyager
Qui te font te déplacer
D’un territoire à un autre
Qui te font traverser des domaines
Inappropriables
Bien que tu te plaises à courir dans les phrases
À les parcourir
Fouler leurs couches superficielles ou profondes
Les terres connues ou celles intouchables intelligibles insuffisantes
Les sillonner sans raison
À peine connais-tu la syntaxe de la parole publique
De la société haute et hautement lisible
Tu ne connais pas l’histoire de la beauté
Ton ignorance est profonde comme la roche que tu creuses pour trouver le gisement
D’autres silences
Aux aurores quand le sommeil n’a pas retenu ton esprit dans sa maille
Tu cours dans les pages
C’est une ivresse
Très désirable
Pleine de manques
Il t’en faut toujours plus
Toujours plus d’idées
Toujours plus de temps
Toujours plus de travail
Il n’y a pas de satiété possible dans cela
Qui te meut
Souvent tu t’élances dans une parole
Tu inventes tu lis tu effaces
Des mailles que tu fais et défais
Des liens des nœuds serrés
Pour un rang régulier
Impossible à parfaire
Impossible de te taire
Pourtant
Tu cherches le silence
Tu aimerais qu’il soit d’or
Tu aimerais le donner en héritage
Tu voudrais une ruée vers le silence comme une nouvelle veine à explorer
T’installer dans une mine sans métaphore
T’y construire un abri y vivre
Sans déplacement ni fugue
Immobiliser ta langue
Sans image sans artifice
Te retirer dans une terre pauvre
Sans colonisation de nouveaux territoires
Être sédentaire
Rester là où tu es là d’où tu viens
Sans conquête sans occupation ni siège
Mais transfuge tu es
Oui
Tu te déclasses et tu te reclasses et tu te déplaces
Tu fuis
Oui
Tu passes à l’ennemi du silence
Le bruit
De la langue dans ton cou
Là oui
Où le retentissement te brûle
Là même
Où tu devrais lancer tes jambes
Courir
Souffler
T’étrangler
Te taire
Tu cherches le silence tu ne sais pas te taire
In Fugue, © Décharge, Polder, 2023
Internet
Décharge | Marie Rouzin ou Comment faire corps avec les choses
Babelio | Fugue
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Avrom Sutzkever
à jaffa
en bord de la mer gémissante de jaffa
où Jonas de lui-même s’est enfui comme un serpent,
je veux en une heure de détresse me fuir aussi
moi-même – mon ennemi charnel le plus proche –
à tarsis, non en ce lieu, mais vers des mots, des strophes.
je surmonte ma fuite en imagination
au bord de la mer gémissante — alors une vague
étranglée par les larmes qui scintillent une à une
m’avale en une lutte violente, impétueuse.
où suis-je ? quelqu’un entendra-t-il mon cri ?
la vague fend la mer et l’ouvre grande.
je m’engouffre dans son tombeau.
au lieu de fuir loin de moi j’ai fui vers moi.
et ceux dont je suis la bouche, – dernière
incandescence du charbon ardent qui les frappa –
me nourrissent de paroles, de strophes.
In heures rapiécées, extrait du cycle : Lettres carrées et prodiges, 1964, © éditions de l’éclat, 2021 — Traduction par Rachel Ertel
Internet
Wikipédia | Avrom Sutzkever
Éditions de l’éclat | Heures rapiécées
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Sabine Péglion
Feuille après feuille
tu interroges le jour
tremblement muet
si près de s’échapper
Retiens à présent
au creux de ta main
ce qui se disperse
nous échappe s’enfuit
Parcelles d’étincelles
aux confins de nos nuits
In Cet au-delà de nos ombres, © L’Ail des ours, 2023
Internet
La Pierre et le Sel | Sabine Péglion | Écrire pour inventer la vie
La Pierre et le Sel | Entretien avec Sabine Péglion
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Jean-Pierre Vidal
Ni promesse ni demande
Là est le difficile du rapport humain
Comment ne pas demander ?
Comment ne pas désirer ?
Dire simplement à l’autre :
Existe !
Comme on le fait devant l’arbre
Ou le torrent indomptable
Pour qui nous n’existons pas
Qui nous donnent l’ombre
Le fruit
L’eau fraîche
Ou la mort
Sans nulle demande
Sans nulle promesse
In Fille du chemin, © Le Silence qui roule, 2024
Internet
Wikipédia | Jean-Pierre Vidal
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Marie Pavlenko
Le soleil disparaît
derrière la longue crête
un large drap de nuit
se dépose fine dentelle
sur la cime des chênes
le froid sort sa tête hirsute de sous la terre
sinue entre les arbres
lent agile sournois
il laisse derrière lui
des traînées de bleu grave
des verts multicolores
qui auront fui là-bas
le ciel est encore clair
mais il s’éloigne vite
et la vallée soupire
la montagne se perd
dans le creux de ses plis
les arbres craquent en chœur
le ruisseau pose un doigt
sur sa bouche d’écume
le grand silence claironne
son arrivée de nuit
ferme la porte les volets
voici l’heure des museaux
des gueules affamées
des ailes invisibles et des yeux d’émeraude
l’heure où la mince peau seule ne suffit plus
il faut des plumes des poils
des sentiers bien cachés
des terriers des entrées
des troncs sombres percés
et cette liberté
plus précieuse que tout
In La main rivière, © Bruno Doucey, 2024
Internet
Wikipédia | Marie Pavlenko
Éditions Bruno Doucey | La main rivière
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Georg Trakl
Paysage
Soir de septembre ; les cris confus des bergers résonnent tristement
Par le village envahi d’ombre. Le feu de forge étincelle.
Puissant, un cheval noir se cabre ; les boucles d’hyacinthe de la servante
Happent l’ardeur des naseaux pourpres.
Le cri de la biche au bord du bois doucement se fige
Et les fleurs jaunes de l’automne
Se penchent silencieuses sur la face bleue de l’étang.
Un arbre a brûlé, flamme rouge ; les chauves-souris aux visages obscurs vont voletant.
In Gustave Roud – Traductions, © Zoé, 2022
Internet
Wikipédia | Georg Trakl
Recours au Poème | Georg Trakl, un poète en temps de détresse
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Shi Pingmei
Murmures du printemps
Je suis pareille à une oie sauvage,
Qui s’envole et criquète dans les nuages ;
Pareille à une vague,
Bondissant puis s’effaçant dans le bleu de la mer ;
À travers les chemins de la vie,
J’emporte un panier plein,
Et le disperse de toutes parts dans cet aride désert.
L’âme des fleurs enterrée,
Les insectes hibernant,
Ainsi tout ressuscite dans le sol en de multiples couleurs !
Le soleil matinal brûle ainsi qu’un four !
Des vagues blanches s’élèvent sans cesse.
Petite sœur Pêche et grande sœur Saule
Ont trouvé un papillon de musique pour le coucou !
In Les herbes vertes s’étendent jusqu’à l’horizon, Anthologie de la poésie chinoise (1912-1949) © Les Deux-Siciles, 2023
Internet
Diérèse et les Deux-Siciles | Les herbes vertes s'étendent jusqu'à l'horizon
Alchetron | Shi Pingmei (en anglais)
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
François de Cornière
Des choses qui arrivent
« Ce sont des choses qui arrivent. »
J’ai gardé les paroles de la femme sur le banc.
Elle s’adressait à l’homme assis à côté d’elle.
J’ai continué mon chemin avec ses mots :
« des choses qui arrivent. »
J’ai posé mon vélo
plus loin sur le quai.
J’ai regardé les bateaux encore au mouillage.
Beaucoup avaient été rentrés pour l’hiver
(les traces d’un tracteur sur le sable).
Dans un mois le petit port sera désert.
Il n’y aura plus que la mer.
Je viendrai nager ici en décembre
comme ces dernières années
à l’abri du vent d’ouest.
Peut-être je penserai
au présent de ce moment futur
à ces choses qui n’arrêtent pas d’arriver
qui repartent souvent sans laisser de traces
des absences des présences
pas même écrites
sauf en moi.
In Pages volantes, © Décharge 200, 2024
Internet
Wikipédia | François de Cornière
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Etel Adnan
Je suis un volcan criblé de météores
et ma bouche ayant avalé la mort
reste ouverte
Ma mémoire un rocher
éclaté en feuilles
d’où coulent des rivières de sang
ô sexe apprivoisé !
Je jure par les laines et
la sécheresse de ce pays
que le mensonge
est un vautour enivré de soleil
l’innocence est une fusée à
trois étages
et la lune un paradis perdu
ô réseau nucléaire !
Dans les chemins de ton corps
magnifiés à la loupe
ma mémoire a des trous
où dorment des serpents
In Je suis un volcan criblé de météores – Poésies 1947-1997, © Poésie/Gallimard, 2023
Internet
Wikipédia | Etel Adnan
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Patrick Quillier
Tristan Cabral, le tumulte insolent
Il n’a vécu que par pure insolence,
solaire au plein milieu de tout le mal
(il dit ne vouloir rien abandonner
du mal). Il porte des fusils plus lourds
que les épaules, portefaix patient
d’un crime qui revient quand la vision
d’un corps de mère excisé sous les arbres
active en lui les tourbillons violents
d’une enfance où les mots et les noms fuient
devant les transgressions inaugurales.
Il est au fond de lui un musicien
dont le haut bataclan est la clameur
de mille bataillons d’oiseaux aveugles
chantant envers et contre tout. Plantant
sa voix sur chaque sommet de colline
comme un vivant dressé au Golgotha,
il hurle : « Couchez-moi dans les bras d’un
enfant, car j’ai besoin de naître après
chaque massacre ! » Il parle de la chair
torturée, déchirée, déchiquetée,
brûlée, de chaque peuple assassiné.
De chaque peuple il dit la destinée.
In D’une seule vague, © La rumeur libre, 2023
Internet
Wikipédia | Patrick Quillier
France musique | Les traverses du temps
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Laurence Bouvet
Perpétuelle et nue l’étoile
comme une femme
faite de plusieurs alcools
de plusieurs nuits superposées
sur le chemin des crêtes elle va
parmi les parfums de linge propre
et les marelles d’antan
dos éparpillé ventre décousu
arraché du rien du manque
sans mémoire à venir
sans visage réfléchi
et pour dormir le jour
la douceur inédite d’un sein blanc halluciné
In À hauteur du trouble, © Unicité, 2021
Internet
La Pierre et le Sel | Entretien avec Laurence Bouvet
Nantes Université | Entretien avec Bruno Doucey
L’ire du Dire | Habiter le vrai lieu du poème : entretien avec Laurence Bouvet
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Raymond Farina
La patience des pierres
N’impose pas un nom aux pierres
ni quelque parenté stellaire.
Ne cherche pas un sens en elle,
une langue d’avant Sumer,
d’avant babil, d’avant Babel,
qui ne s’écrit ni ne se parle.
Elles n’espèrent rien de toi,
se contentent de recevoir,
sans une once de gratitude
envers les jours et les saisons,
une part d’ombre et de soleil,
la fraîche occasion d’un soir,
en supportant sereinement
aubes crépusculaires
et hivers luthériens,
despotiques soleils
et simouns incendiaires.
Ne leur vole pas leurs secrets :
murmures et lueurs possibles,
fines rafales cristallines,
éclairs dans leurs lointains intimes.
In Un printemps sans fenêtre suivi de Réminiscences, © N&B, 2022
Internet
Wikipédia | Raymond Farina
terre à ciel | Raymond Farina
Contribution de PPierre Kobel
La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Audre Lorde
Ce truc de femme
Les chasseurs rentrent
de leur face à face avec l’hiver
en quête d’épreuves ou de travaux
en quête de nourriture
traçant la route
vers la faim de leurs enfants
ils ne regardent pas le soleil
ils ne peuvent brandir sa chaleur
en signe de triomphe
ou de liberté.
Les chasseurs reviennent le pas lourd
dans la neige
qui porte l’empreinte sanglante de leurs pieds.
Les mains vides les chasseurs sont de retour
rendus fous par la neige
la rage les fait tenir
La nuit après manger ils cherchent
des jeunes filles pour s’amuser.
Là les chasseurs arrivent
et les filles encore vertes
fuient leurs colères.
Toute la journée j’ai tant voulu
apaiser la faim de mon enfant
les mains vides
les chasseurs arrivent en hurlant
l’injustice leur coule de la bouche
comme de la vieille neige
fondue au soleil
Ce truc de femme
que ma mère m’a transmis
fait fondre sa croûte de neige
comme lève un soleil Noir.
[1964]
In Contrechant, © les Prouesses, 2023
Internet
Wikipédia | Audre Lorde
France culture | Audre Lorde, le poème en action
Contribution de PPierre Kobel