Combien de fois il m'arrive encore de m'agacer de la place qui est accordée dans l'actualité aux faits divers. Divers certes, mais pour la plupart dramatiques. Combien de catastrophes, de meurtres, d'accidents pour une naissance, un bonheur du jour, un clin d’œil positif ? On y préfère un meurtre bien sanglant, un infanticide sordide, une évasion spectaculaire, un braquage violent, la peur qu'ils provoquent. De quelle trouble fascination relève l'intérêt qu'on y prête ? Quel exutoire s'exprime ainsi qui veut croire que la vision du malheur d'autrui l'éloigne de soi ? Quelle part du réel est transcendée par le récit de ces événements ? C'est là que l'historien ou le sociologue m'objecteront que les faits divers accompagnent et éclairent bien au-delà du détail, le développement de la grande Histoire. C'est là que le policier, l'enquêteur de justice me soutiendront qu'aucun fait divers n'est innocent. C'est là que le romancier me convaincra qu'il est à la source de sa création.
Certes je ne peux qu'entendre tout cela. Mais c'est pour m'insurger plus encore contre les médias qui se suffisent de ce que le quotidien a de plus glauque et de plus anecdotique sans jamais conduire à une réflexion distanciée. C'est aussi pour dénoncer ce que l'utilisation des faits divers peut avoir de manipulateur dans le cadre de la politique, lorsque tel ou tel média met en exergue l'un d'eux au bénéfice d'un candidat contre ses adversaires.
Un fait divers c'est à la fois un éclairage sur l'évolution de la vie sociale, un résonateur des mœurs et une arme du journalisme et du politique pour étouffer l'intelligence réflexive. On peut mesurer aujourd'hui l'utilisation qui en est faite par les plus conservateurs et les plus réactionnaires d'entre eux pour ajouter à la distorsion des chiffres et des événements qu'ils pratiquent sans vergogne. Les mettre à la une, et parfois durant des jours, voire en faire un feuilleton qui se poursuit durant des mois et des années, c'est jouer du mensonge et du fantasme. Il y a là quelque chose de beaucoup plus excitant et même jouissif qu'une litanie de chiffres, que l'énoncé d'une nouvelle loi et les images répétitives de la gouvernance et de beaucoup d'autres sujets médiatiques. Un fait divers ressort du voyeurisme. L'émotion qu'il provoque renvoie à soi-même. Elle bouleverse le train-train ordinaire des jours et donne à penser que la même chose aurait pu nous arriver. C'est le propos de Rémy Belvaux et consort avec le film C'est arrivé près de chez vous, sorti en 1992. Ils font là une version sanguinolente et parodique de ce que le fait divers peut avoir de plus spectaculaire. Dans le réel, s'en tenir à ce seul domaine d'information, c'est prendre le risque d'une vie réduite aux émois, d'une existence par procuration.
Bibliographie partielle
- Truman Capote, De sang froid, Folio/Gallimard
- Alain Corbin, Le village des cannibales, Flammarion
- Emmanuel Carrère, L'adversaire, Gallimard
Internet
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