Des têtes à claques
La gifle qu’a reçue Manuel Valls, il y a quelques jours, durant la campagne pour les Primaires de la Gauche peut heurter l’opinion tout autant que la joue du candidat et l’imbécile qui s’est livré à cette agression ne mériterait qu’une fessée si ce n’était là, le risque d’aller dans le sens d’une brutalité condamnable.
Cependant le discours et plus encore le comportement de nos politiques, tous partis confondus, donnent souvent à penser qu’ils ont des têtes à claques.
La gifle de Valls et autres enfarinades ne feront certes pas évoluer le dialogue politique et n’avanceront rien du renouvellement nécessaire de notre gouvernance. Elle est cependant révélatrice de ce que sont l’arrogance et l’aveuglement de ces gens qui nous gouvernent en se persuadant qu’il suffit de promettre de raser gratis pour faire illusion auprès de la population.
Oui, têtes à claques, mesdames et messieurs les champions d’un verbiage policé qui n’appartient qu’à vous-même, caste de privilégiés qui se livrent à ses jeux de rivalité et de faux-semblants, marigot sans plus d’autres ambitions que personnelles au mépris de toutes les réalités.
Têtes à claques qui ne se différencient que par l’artifice et dont les convictions se résument à l’enflure de leur ego outrancier.
À quoi servent les coups de menton des uns et les rondeurs patelines des autres ? Quelle vérité dans un jeu agressif et complice avec les médias pour certains, dans les rodomontades populistes pour d’autres, qui conduisent dans tous les cas à l’appauvrissement de la réflexion et au mépris de cette France qu’ils affectent d’aimer quand ils n’en ont cure que le temps d’une élection.
Têtes à claques enfin, qui s’offusquent d’un geste agressif quand leur action, loin du bien-être général, ne consiste en grande part qu’à gérer avec violence les affaires du pays pour les intérêts de leur seule classe. Un homme, une femme en remplace un autre dans l’accélération du temps quand le billard à trois bandes des Primaires de tous bords fait tomber des têtes pour en mettre d’identiques à la place jusqu’à l’épuisement de nos rêves.
Emmanuel Moses
Rêve volé
Dans mon rêve je demandais la parole
Je montais à la tribune
Je prononçais le discours d’un autre
Le public masculin et féminin
Était séparé par une allée
Comme à la synagogue
Au fur et à mesure que je récitais le discours volé
Je me rendais compte que le rêve non plus ne m’appartenait pas
J’étais dans le rêve d’un autre
Comme on peut être dans le corps de la femme d’un autre
Je pensais que l’autre était peut-être mort
Et qu’il m’avait légué son rêve
Ou que je l’avais peut-être tué
Pour lui dérober son rêve
Je pensais que j’étais peut-être mort
Et que je rêvais le rêve d’un vivant
Afin de demeurer un peu en vie
À la manière des vampires qui se nourrissent de sang frais
Pour ne pas mourir totalement
Dans le discours
Il était d’ailleurs question de la mort, des morts, plus précisément
Et de la naissance continuelle de ceux qui leur survivent
Mais au fur et à mesure que j'avançais dans mon propos
Je pensais qu’au contraire face aux morts les survivants meurent aussi
Ils meurent inlassablement
À chaque instant de leur existence misérable
Je disais : « Il y a de la lumière »
Et je pensais : « Il n’y a pas de lumière »
J’avais l’impression que des feuilles mortes sortaient de ma bouche
Qu’elles sortaient en flots continus et tombaient silencieusement autour de moi
J’avais l’impression qu’elles tombaient sur le public silencieux
Composé en fait non pas d’êtres vivants
Mais de mannequins
Des mannequins hommes et des mannequins femmes
Blancs, si aveuglément blancs sous les feuilles mortes
Qui montaient du fond de moi et venaient peut-être de tous les cimetières
In Sombre comme le temps, © Gallimard, 2014, p.37