S’il en était besoin, il suffit d’avoir entendu Guillaume Musso répondre à la question de François Busnel : « Quelle est à votre avis la première qualité d’un romancier ? », pour comprendre de quoi relève son écriture. Musso a répondu que c’était le souci de plaire aux lecteurs. Il semble avoir réussi en cela et si ça ne suffisait, allez lire dans Actualitté comment Hachette assure la diffusion de ses livres à coups d"Offices forcés ». N’en déplaise à ce faiseur et consorts, on n’écrit pas en se prévalant de la flagornerie auprès du lectorat ! Qu’on ne s’y trompe pas, leur succès n’est pas usurpé, ce sont des professionnels aguerris du roman et ils en connaissent tous les ingrédients. Car il s’agit bien de cela : ce sont des manufacturiers de l’écriture. Quand j’achète une bibliothèque chez Ikea, je le fais parce que c’est pratique, économique et standard, mais je ne la confonds pas avec un meuble d’artisan autrement plus qualitatif. C’est la même différence entre Musso et Ruffin, également invité sur le plateau de Busnel, et qui pourrait ne pas écrire tant ses vies multiples lui donnent à vivre. S’il le fait, c’est parce qu’il en éprouve le besoin personnel. Rencontrer le public est un bonheur, mais c’est parce que ce dernier l’a reconnu, pas parce qu’il a cherché à le séduire, à aller dans son sens. On écrit par nécessité pas pour plaire.
Rien d’étonnant à ce que Musso soit invité par Busnel. Le plateau de ce dernier est une vitrine commerciale qui réunit souvent des auteurs de qualité, mais au prix de l’absence de la plupart des maisons de la petite édition, de la quasi-non-existence de la poésie. Ne pas inviter Musso lui serait reproché comme lui sera reproché de l’avoir fait. Le succès de son émission le protège et lui permet de négliger les critiques d’un revers de page. Pour autant, s’il se targue de défendre les librairies indépendantes, il participe d’un système qui concentre l’édition dans quelques mains et tend à étouffer les entreprises indépendantes.
Toutes les écritures sont légitimes. Pour autant elles ne se valent pas toutes. Au-delà de la conviction intime de l’auteur de son propre talent, certaines savent parler au plus grand nombre quand d’autres n’auront pour seule audience que la bienveillance familiale et amicale qui saura s’y reconnaître. Les librairies regorgent de bonnes histoires débitées en volumes calibrés pour tel ou tel lectorat, ailleurs pour s’inscrire dans la course aux prix littéraires. Chaque automne voit les tables plier sous le poids de romans qui n’existeront que le temps d’une saison sans enrichir en rien la littérature.
J’aime le propos de Marie Ndiaye qui dit dans un entretien accordé à Lire d’avril 2019 : « Dans un livre, si le style me semble plat, s’il est médiocre, je n’arrive pas à croire aux personnages, ils peinent à exister, ils m’ennuient et je n’ai aucune raison de passer du temps avec eux. Le style est d’autant plus important aujourd’hui, à une époque où la littérature est menacée par les séries, les images. » Car c’est bien le style qui fait la qualité. Le style c’est la voix de l’œuvre, c’est ce qui lui donne à exister, à avoir une identité propre et cela se retrouve pour toutes les écritures du roman à la poésie, du document à la BD.
Je le répète, toutes les écritures sont légitimes. Toutes sont respectables. Pour autant, elles ne méritent pas toutes les échos d’un système médiatique et éditorial vicié par les enjeux économiques et une critique qui confond parfois les renvois d’ascenseur avec la curiosité et le sens de la découverte. C’est à chacun de développer sa propre curiosité, de développer les réseaux de sa culture. C’est aussi, on ne le dira jamais assez, à l’école de continuer à jouer son rôle d’éveilleur, de fondateur de nos racines culturelles et de ne laisser toute la place aux propositions éparpillées et séductrices des réseaux sociaux.
Je préfère voir quelqu’un lire un roman de Guillaume Musso que ne pas lire du tout. Mais je voudrais lui dire qu’il existe, tout autant accessibles, des livres qui mènent à un univers autrement plus riche et aux résonances autrement plus profondes en nous.