Fraternité
Nous devons lutter contre l’injustice, contre la servitude et la terreur, parce que ces trois fléaux sont ceux qui font régner le silence entre les hommes, qui élèvent des barrières entre eux, qui les obscurcissent l’un à l’autre et qui les empêchent de se retrouver dans la seule valeur qui puisse les sauver de ce monde désespérant : la longue fraternité des hommes en lutte contre leur destin.
1949, « Le temps des meurtriers »
À l’heure du soixantième anniversaire de sa tragique disparition, voici l’occasion de célébrer encore, un homme vilipendé par certains, louangé par beaucoup et qui n’avait pas attendu le nombre des années pour se faire le porte-parole d’un humanisme révolté, d’un engagement concret plutôt que d’une philosophie dogmatique et idéologique. « On peut refuser d’être un fanatique, sans cesser d’être un militant. » disait-il.
Impérialisme
Je crois qu’il faut aujourd’hui un certain courage pour oser dire qu’il y a aussi un impérialisme des démocraties. Beaucoup parmi nous le savaient. Presque tous l’ont oublié. Et pourtant, les destins des peuples sont inséparables et on peut tenir pour certain que l’appétit de pouvoir entraîne l’appétit de pouvoir, que la haine suscite la haine, que l’impérialisme fait naître l’impérialisme et que le traité de Versailles est le père spirituel des accords de Munich.
25 avril 1939, « Contre l’impérialisme »
Ce propos et tous ceux qui illustrent cette contribution sont de ceux qu’a collectés Marylin Maeso dans l’ensemble des écrits de Camus pour composer L’ABéCédaire de Albert Camus aux éditions de l’Observatoire. À lire ces pages, on comprend, s’il en est besoin, qu’il n’y a pas de tiédeur dans la pensée de l’écrivain. Sa raison se nourrissait d’expériences, sa justesse tenait à ses convictions et son sens de la nuance. Sa parole reste d’actualité et il n’y a pas de mort de son humanisme. Dans le contexte ambiant, ils aident à vivre, à aller de l’avant. L’hédonisme de Camus est traversé d’épreuves, parfois d’une lumière aveuglante, c’est aussi pour cela qu’il donne à croire plus loin que le doute et l’inquiétude.
Dans notre temps de bouleversements sociaux, de brutalité politique, de dialogues vrillés par l’absence de discours au profit d’une parole volatile et préconçue, il convient d’entendre encore ce qu’il avait à dire, loin des jugements comminatoires et des certitudes aveugles.
Polémique
Il n’y a pas de vie sans dialogue. Et sur la plus grande partie du monde, le dialogue est remplacé aujourd’hui par la polémique. Le XXe siècle est le siècle de la polémique et de l’insulte. Elle tient, entre les nations et les individus, et au niveau même des disciplines autrefois désintéressées, la place que tenait traditionnellement le dialogue réfléchi. Des milliers de voix, jour et nuit, poursuivant chacune de son côté un tumultueux monologue, déversent sur les peuples un torrent de paroles mystificatrices, attaques, défenses, exaltations. Mais quel est le mécanisme de la polémique ? Elle consiste à considérer l’adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent et à refuser de le voir. Celui que j’insulte, je ne connais plus la couleur de son regard, ni s’il lui arrive de sourire et de quelle manière. Devenus aux trois quarts aveugles par la grâce de la polémique, nous ne vivons plus parmi des hommes, mais dans un monde de silhouettes.
1948, « Le Témoin de la liberté »
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Marylin Maeso, L’ABéCédaire de Albert Camus, © L’Observatoire, 2020
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Herbert L. Lottman, Albert Camus, © Seuil, 1978
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Dictionnaire Albert Camus, © Robert Laffont, 2009
Internet
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