Kambanellis n’a publié ce récit en Grèce qu’en 1963, alors qu’il était déjà un homme de théâtre reconnu. Il n’avait jusque là pas vu l’utilité d’ajouter sa mémoire à celle de ceux qui, avant lui, avaient raconté leur propre enfermement, leur horreur vécue. Et sans doute a-t-il bien fait d’attendre que le sens de la dramaturgie lui permette de trouver une langue propre à raconter son expérience concentrationnaire. Dans la postface, Solange Festal-Livanis écrit : « Dans ses commentaires sur Mauthausen, il ne se plaint pas d’un indicible ni ne parle d’une expérience vécue impossible à transcrire. Pour lui, comme pour Robert Antelme, si tous les rescapés ont été confrontés à une réalité si effroyable qu’elle dépasse l’imagination, c’est par l’imagination que l’on peut s’en rendre compte. » Ainsi, s’il a recours à des procédés littéraires, cela n’enlève rien, bien au contraire, à la force de ce récit qui rejoint les grands livres de Primo Levi, Robert Antelme, David Rousset, Jorge Semprun, Charlotte Delbo, pour n’en citer que quelques-uns.
D’octobre 1943 à mai 1945, Kambanellis fut déporté à Mauthausen, un des pires camps de la mort de la machine nazie. Il dut sa survie à la solidarité protectrice des autres et lorsque le camp fut libéré par les Américains le 5 mai 1945, il resta encore sur le lieu jusqu’en août pour aider au retour de ses congénères. C’est en entremêlant ces mois de libération et ceux qui ont précédé qu’il raconte les heurts et malheurs des femmes et des hommes de toutes nationalités, de tous âges, qu’il a partagés. À le lire, on comprend là comme en lisant les auteurs cités ci-dessus, que nulle empathie ne peut permettre à un contemporain de se mettre à leur place. On lit et on se dit que cela dépasse l’imagination qui fut pourtant celle de ces bourreaux ordinaires qu’étaient les SS et leurs kapos. Mais de la même façon que Kambanellis disait : « C’est Mauthausen qui m’a défini comme homme, je suis encore un homme du camp. », il nous faut construire notre conscience avec ces récits qui doivent en être la source vive pour que l’horreur de cette déshumanisation ne se répète pas.
Trop tard diront ceux qui peuvent faire la litanie des massacres perpétrés à plus ou moins grande échelle dans le monde depuis 1945 ! Trop tard est-on tenté de penser quand on observe le redéploiement du racisme, de l’antisémitisme, des conflits religieux et ethniques sur fond de démocrature et de tyrannie ! Il n’est jamais trop tard. Kambanellis a porté par ailleurs une parole dramaturgique qui, empreinte de néo-réalisme, signifiait ce non-abandon. D’autres, aujourd’hui encore, portent cette parole d’espoir dont l’intransigeance est à la hauteur de l’exigence. Nous survivrons à ce prix avec ce que cela signifie pour autant d’espoir, d’humour, d’amitié et de tendresse.
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