On dit de certains musiciens qu'ils ont l'oreille absolue quand ils savent traduire instantanément n'importe quel son en notes de musique. Dit-on d'un photographe qu'il a l’œil absolu ? C'est pourtant le cas de Henri Cartier-Bresson. J'aime la photographie, je connais l’œuvre de nombreux photographes mais je n'en connais aucun dont chaque image est incontournable comme le sont les siennes. Il a lui-même témoigné de ce qu'il doit à son apprentissage du dessin et de la peinture, il était reconnaissant à ses aînés et à ses compagnons de ce qu'il leur devait mais l'exacte justesse de son œil n'appartenait qu'à lui.
C'est cela, conjugué à l'engagement politique qui fut le sien, plus encore l'engagement au monde dois-je écrire, qui donne à son œuvre sa valeur patrimoniale universelle.
Le visiteur de la rétrospective consacrée à Cartier-Bresson au Centre Georges Pompidou jusqu'au 9 juin 2014, doit s'arrêter entre deux salles pour visionner une courte vidéo qui montre HCB en action. Il y a en lui de l'oiseau sautillant, du danseur anonyme qui va d'un point à l'autre, picore une image comme le moineau sa pitance, recule, avance, fait un pas de côté et s’esquive sans que personne ne l'ait remarqué. « L'histoire de son regard, c'est celle d'un homme qui s'est posé toute sa vie la même question : « De quoi s'agit-il ? », et qui n'a jamais trouvé de réponse, parce qu'il n'y en a pas. » écrit Pierre Assouline dans la biographie qu'il lui consacra en 1999.
On imagine comment cet homme solide, aux profondes convictions et à la parole affirmée, réfractaire aux importuns, a pu parcourir pays et continents, en se fondant dans le paysage, en ne faisant qu'un avec les personnes rencontrées, tels ces migrateurs qui sont d'ici et de partout.
De sa vision personnelle, si imparable, il a su tirer des images qui éduquent notre regard. Nul sentimentalisme, nul lyrisme dans les photos de Henri Cartier-Bresson. Juste l'empathie nécessaire avec les foules en mouvement, avec le jeu des enfants, avec les regards spectateurs des gens connus ou ordinaires.
Alors que nous subissons quotidiennement une iconographie dispersée et excessive de notre monde, soumise plus au marché et au spectaculaire qu'au discernement culturel, il est nécessaire de s'arrêter aux photos de Cartier-Bresson pour reprendre la mesure de notre propre regard.
Bibliographie
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Pierre Assouline, Cartier-Bresson L’œil du siècle, © Gallimard Folio, 1999
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Clément Chéroux, Henri Cartier-Bresson, © Centre Pompidou, 2013
Internet
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