La télé n'a qu'une seule réalité : la sienne qui est de vendre au mieux des images. C'est ainsi que certains se retrouvent crucifiés sur l'écran de leurs fantasmes. Depuis quinze ans en France, et plus longtemps ailleurs, les sociétés de production multiplient les émissions dans lesquelles des personnes de tous âges, de tous sexes – mais pas de toutes conditions sociales ! – viennent raconter leur vie, étaler leur quotidien. Les difficultés de l'amour, la mort et le deuil, la maladie y ont leur bonne part. Chacun est censé s'y reconnaître quand il n'y a là que la mise en exergue de l'ordinaire sous l'éclairage fugace des médias. Quelques jours, quelques semaines au plus de célébrité qui ne sont qu'illusions. Car ce n'est qu'illusion que de se confier à une animatrice dont la familiarité quotidienne ne fait pas une amie. Son écoute ne dure que le temps d'une émission, et le plus souvent de son propre ego, quand la distance professionnelle d'un psychothérapeute conduit à des résultats autrement positifs et durables.
Et que penser des mises en scène de groupes dans une situation donnée qui transforment les individus en animaux de laboratoire dont on livre le comportement en pâture au voyeurisme des téléspectateurs ? Qu'ont-ils à gagner ces individus recrutés pour leurs utiles faiblesses psychologiques, pour les failles de leurs existences, manipulés au prix de leur intégrité pour le profit d'un spectacle aguicheur et de quelques agents intermédiaires qui n'ont que le but de s'en mettre plein les poches ?
Chacun aura son quart d'heure de célébrité disait Andy Warhol. Est-ce nécessaire ? L'étalage médiatique de tourments ordinaires, la comédie organisée de fausses turpitudes amoureuses ou de challenges à la vacuité garnie de paillettes peuvent-ils donner un sens à l'existence ? Il n'y a là qu'une montée d'adrénaline superficielle, une exaltation passagère qui, le plus souvent, laisse des blessures en lieu de thérapie. Se réaliser ce n'est pas s'exposer ainsi, ce n'est pas vendre ses plaies, ce n'est pas galvauder sa parole aux vents des médias.
En regarde de ces démarches publiques, de ces mises à nu, pitoyables ou risibles c'est selon, combien qui s'expriment par une fiction assumée, par l'art propice de l'écriture, de la peinture, de la musique, etc. ? Combien qui tiennent dans le secret de l'intime un journal personnel plus réparateur qu'un affichage fallacieux qui renvoie à sa propre douleur ?
Aucune image n'est innocente. Aucune image n'est gratuite. Nous vivons dans une société de médias où les intercesseurs sont des marchands avant d'être des créateurs, où le public, qu'il soit d'un côté ou de l'autre de l'écran, n'est qu'un faire-valoir à ce commerce de l'image.
Miroirs
Ville-miroir, reflets sous l'arche des ponts,
figures du prisme répétées jusqu'au vertige,
la ville ne renvoie que des éclats brisés.
Sais-je encore qui je suis ?
Je ne me reconnais pas,
perdue dans le jeu inconstant des reflets et des ombres,
comment me retrouver innombrable ?
Peut-être en refaisant le chemin
à la recherche de toutes les images éparses,
sans en laisser une seule dans le miroir.
Anne Pion, La forme des pierres après le passage du vent, © Voix d'encre, 2005
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