Je me souviens, dans une revue de photographie, avoir vu la mise en regard de deux photos, l’une de Salgado et l’autre de je ne sais plus, qui montraient un personnage au sommet d’une de ces décharges gigantesques qui essaiment dans les pays pauvres. Si la seconde de ces images était techniquement irréprochable, elle n’était qu’une très honnête illustration de reportage quand la photo de Salgado était emblématique, chargée d’un symbolisme imparable, icône christique pour exprimer la quête quotidienne et souffrante du sujet photographié.
Le film coréalisé par Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado, Le Sel de la terre, montre bien ce qu’est le parcours du père de ce dernier. À considérer l’œuvre construite par Sebastião Salgado avec la collaboration entière et indéfectible de Lélia, son épouse, on est tenté de voir là un surhomme tant la somme des projets réalisés engage de moyens, d’énergie, de dépense physique et de sensibilité humaine. Jusqu’à atteindre un point qui frôla le non-retour lorsque la confrontation avec la souffrance des populations massacrées et déplacées en Afrique atteignit l’insoutenable.
C’est avec le projet Genesis que Salgado rebondit. Cette célébration d’une terre encore préservée, d’une nature originelle, d’animaux venus du fond des âges, de tribus aux rites ancestraux et pas encore soumises aux déviances d’une modernité destructrice, lui a permis de retrouver foi en son travail. Auparavant grâce à sa volonté et celle de Lélia, grâce à leur sens de l’organisation, ils ont engagé dès 1998, le projet de reboiser les milliers d’hectares de la forêt atlantique du Brésil, dévastés par une déforestation intensive. Le couple a réussi jusqu’à transformer ces terres en un vaste parc naturel aujourd’hui protégé et y ramener une faune qui en avait disparu.
L’économiste de formation qu’est Sebastião Salgado a toujours compris où se trouvaient les enjeux humains et sociaux de son époque et y a engagé son œuvre de photographe. Après plus de quarante années d’un parcours artistique unique, l’homme Salgado exprime une sagesse où le poids des épreuves n’enlève rien à la curiosité et à l’empathie profonde pour autrui.
Il fait partie aujourd’hui de ces êtres d’exception qui donnent des lettres de noblesse à l’humanité et des raisons d’espérer malgré les drames qui nous tenaillent l’esprit jusqu’au bord du désespoir.
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Sebastião Salgado avec Isabelle Francq, De ma terre à la terre, © Presses de la Renaissance, 2013
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Sebastião Salgado, © Paris, Centre national de la photographie, coll. "Photopoche" n° 55, 1993
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