Matin frais à l'ouest de Paris. Deux heures pour atteindre l'entrée de l'expo. Et ça râle, et ça se plaint, et ça bouscule, et ça passe devant les autres ! Public de seniors aux cheveux gris et blancs (j'en suis) qui ne supporte pas de devoir faire la queue pour visiter cette expo « qu'il faut absolument voir ! » Privilégiés arrogants et méprisants dont la curiosité s'arrête aux recommandations d'un cercle fermé et de leur magazine préféré. Ils diront ensuite qu'ils ont « fait Vuitton » comme ils disent que l'an dernier ils ont « fait le Maroc ou le Rajasthan ».
Passé la porte d'entrée, ce sont les mêmes qui progressent de tableau en tableau non pour les voir, mais pour les photographier ! Car comme chacun sait, l'important ce n'est pas de s'émerveiller devant les Monet, les Gauguin, Cézanne, Matisse et autres Picasso qui sont exposés, il s'agit de se planter devant chaque œuvre au mépris des autres visiteurs, l'œil rivé sur l'écran du smartphone pour tenter de cadrer au mieux et accumuler de médiocres photos qu'on pourra ensuite commenter aux amis avec esbroufe et vanité au lieu de se nourrir intellectuellement, culturellement de ces œuvres.
Et quand la photo ne suffit pas, on impose à tout le monde, la diffusion du commentaire grâce à l'application téléchargée qui délivre sa vérité toute faite à la place d'une méditation personnelle…
Quand Sergueï Chtchoukine constituait sa collection avec un œil de connaisseur avant-gardiste et qu'il ouvrait sa galerie chaque semaine à un public qui découvrait là, la modernité et se formait l'esprit, il participait à la vocation de l'art, de la peinture en particulier. Les troupeaux qui font la queue à l'entrée des grands-messes des beaux-arts n'ont rien à voir avec cela. Ils ne cherchent au mieux qu'à conforter ce qu'ils savent déjà pour se rassurer, et le plus souvent qu'à meubler une existence sans la grandir.
À lire le dossier qui paraît dans le dernier numéro de la Faute à Rousseau, la revue de l’APA (Association pour l'autobiographie et le patrimoine autobiographique) Expériences de l'art, à lire les témoignages des célébrités et des inconnus qui disent comment ils sont nés à l'art, comment l'art à transformé leur existence en exerçant leur œil, en les ouvrant à la création, on mesure la distance entre eux et le public de consommateurs qui s'agglutine aux portes des grandes institutions publiques et privées quand elles proposent de grandes expositions soumises à la rentabilité et au mercantilisme de la société contemporaine.
La culture et l’art sont fondamentaux pour comprendre l'autre, découvrir les êtres, dévoiler les visages en respect des jardins secrets et ouverture sur le monde des choses, des œuvres et de la vie. La liberté de création est le seul combat pour la fraternité et l'égalité des droits ; c'est un droit et un devoir ; c'est la lutte contre la désintégration de l'existence mortelle qui n'a comme seul but que de transmettre et d'offrir l'œuvre en laissant des traces aux générations futures.
[…]
De la partent tous les dialogues et les compréhensions entre les êtres, de la seule Beauté faite matière et frissonnante d’émoi. Partager nos cultures est un acte de résistance.
L'Art, ou comment sauver le monde et, de l'intimité à l'universel, de la singularité à l'intemporel, c'est le moyen d'avec lequel nous pourrons combattre les guerres et les inhibitions destructrices, celles qui transforment la peur en sang, en agressions, dans le grand soir du partage et du dialogue.
Anne Gary in La Faute à Rousseau n°74 – Février 2017, extraits p.49
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