Jamais je ne me pardonnerai la seule élection où je ne suis pas allé voter, la négligence se conjuguant à l'éloignement. C'était pour le 1er tour des présidentielles en 2002. On connaît le résultat, la stupéfaction partagée de voir Le Pen arriver devant Lionel Jospin. Depuis je ne manquerai jamais d'aller voter, quelles que soient mes convictions de l'utilité de ce vote ?
Utile de voter ? Oui quand il ne reste que ce moyen de s'exprimer. On voudrait entendre la voix de ceux qui votent blanc, les prendre en compte plutôt que de les assimiler aux votes nuls ou de conduire les gens à l'abstention. Pour le reste, soyons sans illusions. Celui qui ne vote pas, n'a que le droit de se taire, mais celui qui vote a-t-il plus la parole ? La puissance, le pouvoir sont toujours aux mêmes. Avant le deuxième tour des récentes municipales, j'entendais un brave boulanger offrir une baguette gratuite à ceux qui prouveraient, carte d'électeur en main, qu'ils ont accompli leur devoir de citoyen. Façon pour lui de contribuer à réduire une trop grande abstention. « Du pain et des jeux ». C'était la formule des politiques romains pour se constituer une clientèle fidèle. Si le premier n'est qu'un honnête homme pétri de bonnes intentions quand les seconds n'étaient que des mafieux avant l'heure, le résultat est le même : on achète un vote avec du pain.
Face à cela, quid de l'intelligence du citoyen, quid de l'éducation civique – si réduite dans les parcours pédagogiques -, quid de la liberté de penser ? Les élections, dans nos démocraties, ne sont plus qu'une illusion formelle, un ersatz de liberté. Mais, c'est à considérer ce qu'est ce libre choix dans des pays soumis à la dictature, qu'il devient impératif de le défendre à tout prix. De le défendre et de le revaloriser.
Quand Churchill disait que la démocratie est un mauvais système, mais qu'elle est le moins mauvais de tous les systèmes, il affirmait toute l'ambiguïté d'un pouvoir qui repose sur un déséquilibre entre l'opinion du plus grand nombre qui s'exprime par le vote et la réalité du pouvoir qui ne tient qu'à quelques-uns, formés dans son sérail et complices bien plus qu'adversaires, au-delà des clivages partisans.
Le véritable risque du politique, ce n'est pas de perdre une élection, ce serait de considérer les électeurs comme des personnes intelligentes et non comme des veaux. Quand Bernadette Chirac s'offusque qu'on veuille mettre en péril son mandat de conseillère générale du canton de Corrèze où elle allait chercher les bonnes grâces de ses électeurs pour oublier les vicissitudes familiales, on se demande s'il faut rire ou pleurer. C'est comme si on lui prenait un dû. Qui sont-ils ces élus pour se croire possesseurs de leur mandat électif sans que rien ne doive y changer ? Enfermés dans le cercle clos de leurs prérogatives, incapables de se projeter à l'extérieur de leur univers privilégié, ils asphyxient la société sans vergogne.
À quand une loi qui oblige ces professionnels de la politique à limiter le nombre de leurs mandats et leur durée, qui les oblige à descendre de leur estrade de bateleurs pour se confronter à la réalité tangible, celle de leurs électeurs plutôt que celle des statistiques et des sondages ? On voudrait les voir fendre l'armure d'une humanité qu'ils semblent avoir perdu du fait de leur formation made in ENA ou équivalente et du haut de leurs responsabilités. On voudrait les voir accepter de perdre une élection plutôt que de perdre leur crédibilité pour la gagner.
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