« Pour qu’il y ait une cohésion nationale, il faut garder un équilibre dans le pays, c’est-à-dire sa majorité culturelle. Nous sommes un pays judéo-chrétien – le général de Gaulle le disait –, de race blanche, qui accueille des personnes étrangères. J’ai envie que la France reste la France. » a dit Nadine Morano dans l'émission On n'est pas couché du 26 septembre 2015.
Quand Guy Bedos ne se mâchait pas de mots pour dire ce qu'il pense d'elle, Nadine Morano ne trouvait que les voies de la justice pour s'opposer à ce qu'elle prit pour un outrage et prouver ainsi son singulier manque de jugement personnel quant à ses propres opinions.
La gent politique est aujourd’hui sans cesse soumise au feu des médias et doit se soucier plus que jamais de la composition de son image et de la tenue de ses propos. À ce point qu'on se demande si nos élus n'y passent pas plus de temps qu'à réfléchir et à décider des affaires de la cité. Le monde ne se gouverne plus qu'à hauteur des résultats des sondages et de la petite phrase qui fera mouche sur un plateau de télévision.
Plus que toute autre réaction, je suis tenté de plaindre Nadine Morano. La plaindre parce que si elle mérite l'opprobre que ses propos soulèvent, si sa misérable bêtise n'excuse rien de ce qu'ils ont d'ignare et d'ignoble, elle est aussi victime de ce système carnassier qui lui donne les moyens d'étaler sa vacuité inculte et le bricolage tordu de son esprit pour en faire un spectacle.
Distraction de l'opinion publique, dérive de la pensée, jeu de questions-réponses qui ne font que des vagues sans jamais servir un vrai propos, sans rien remettre en cause, sans réfléchir, voilà l'état du discours politique. Dans un raccourci imparable, Sylvain Tesson le définit ainsi : « Mensonges en forme de bilan, incantations en forme de débats, promesses en forme de programmes » (In Géographie de l'instant).
À quoi sert Nadine Morano dans cette scène médiatique sinon à jouer un rôle de repoussoir ? Elle fait le spectacle dans une arène cruelle et, se prenant au sérieux, se rend coupable de ce qu'elle croit être un message et qui n'est qu'une inepte fatuité qui s'ajoute aux ombres projetées sur notre avenir par la bête immonde du racisme.
Je terminerai, n'en déplaise à la dame, par un poème du « nègre » haïtien René Depestre pour dire ce que les mots, ici ceux de la poésie, peuvent offrir de meilleur pour un métissage humaniste, contre les ostracismes identitaires d'hier et d'aujourd'hui :
Le métier à métisser
Partie bien étoilée de la mer caraïbe
ma vie est la métaphore et la table
des voyages couronnés de femmes aux fruits d’or.
Le corail bleu d’une île éclaire mon parcours
la vie avance avec le Sud qui m’écartèle
un Nord est mon masque et mon pupitre d’émeraude.
À chacun de mes départs sans retour
la joie de vivre m’a fait un courant marin
capable de guider de nuit mes passions d’homme.
Dessiné dans le tronc d’un arbre à pain
à chaque naufrage un grand voilier
me trouve la voie navigable et le sel ami.
Dans chaque pas en terre étrangère
de nouvelles racines prolongent
le chemin qui vient du pays natal.
L’âcre écume de l’exil à l’esprit
le métier à métisser les choses de la vie
résiste bien aux assauts du tigre en moi.
Culbuté par la grosse houle du siècle
au feuillage musicien des mots je lave
mon époque à l’eau de ma tendresse du soir.
In Rage de vivre, - Œuvres poétiques complètes, © Seghers, 2006, p.396
Ce texte sera inclus dans Le chant des métissages, une anthologie poétique de la collection Poés'idéal à paraître aux éditions Bruno Doucey en novembre 2015.
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