« Un premier ministre qui lance au Sénat le 26 novembre 2015 qu’il en a « assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses ou des explications culturelles ou sociologiques à ce qui s'est passé », non seulement confond « justifier » et « comprendre », mais dénie toute légitimité à la connaissance. C’est donc à la fois l’expression d’une profonde ignorance quant à ce que font réellement les chercheurs en sciences sociales, et la victoire du registre émotionnel et guerrier. »
Voilà ce que dit le sociologue Bernard Lahire dans un entretien accordé à Télérama. À l'heure de Twitter et de Facebook, des commentaires lapidaires et qui s'entrechoquent, des invectives et des raccourcis à la place d'un vrai discours et d'une réflexion dans la durée, les politiques cèdent les premiers à cette vitrine indécente qui permet de surfer sur l'émotion et conduit dans les bras des extrémistes à force de frustrations et d'insécurité entretenues.
Des programmes ? Peu importe ! L'avenir ? On le laisse aux autres, c'est-à-dire nos enfants, nos petits-enfants. La gent politique se suffit d'une parole indigente pour une intelligence maltraitée. La vacuité, l'indigence de son propos conduit à ne plus rien savoir opposer aux difficultés économiques, à laisser monter une violence sourde qui se fait de plus en plus menaçante. L'idéologie avait ses limites et ses erreurs. Du moins posait-elle des repères, exprimait-elle des idées, des pensées. Que vaut la parole de nos élus quand ils ne font que rebondir à l'actualité sans se donner les moyens de la maîtriser, quand ils cèdent aux sirènes de la médiatisation, seul chemin vers les urnes, au lieu de prendre des risques et des responsabilités ?
À cela je ne peux qu'opposer la parole du poète coréen Mah Chong-gi, parole qui dure et qui résiste, parole de résonnance.
À quoi sert un poète ?
Je voudrais devenir poète.
Mais à quoi sert un poète ?
En Éthiopie, en Somalie
en Centrafrique
des milliers d’enfants, tout le temps affamés
la peau toute rêche et décharnés
meurent tous les jours, réduits à l’état de déchets.
Au Cambodge, au Vietnam
ces enfants qui jouent aujourd’hui en roulant des crânes
meurent le lendemain dans le bourbier de la jungle.
À l’âge de dix ans, ils apprennent à tuer
à l’âge de douze ans, ils tirent à la mitrailleuse.
Au Salvador, au Nicaragua
en Amérique Centrale et en Amérique du Sud
du lever au coucher du soleil
côté droit mâche côté gauche
côté gauche frappe côté droit
tête avale queue
queue meurt tout en matraquant tête.
Bruits des armes sans un jour de trêve
meurtres sans un jour de répit.
Dieu, à quoi sert un poète ?
En Iran, en Irak, en Israël
au Liban, dans les plaines de Sibérie
dans tous les coins du monde
Dieu, quelle est l’utilité d’un poète ?
Quand j’apprends les tristes nouvelles des gens
les larmes me viennent, cela me serre le cœur.
Quand les gens se relèvent de leurs peines
tout ému, je trépigne de joie en cachette.
Même si le chant de lutte d’un poète est courageux
même si le chant de réconfort d’un poète est émouvant
Dieu, toi qui me disais de ne pas céder à cette tentation
avant que ces douleurs ne surviennent pour moi,
en tout cas, dis-le-moi, à quoi sert un poète ?
In Celui qui garde ses rêves, © Bruno Doucey, 2014
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.