Pierre Seghers
N’écoute plus le vent
qui passe, il est mémoire des dormants
Les cimetières des églises sont des étraves de lumière
dans le silence d’un périple. On y accède par un sentier
entre la folle avoine, quelques lavandes, des orties.
N’écoute plus le vent qui passe. Chacun porte en lui sa musique
ses voix, son vieux destin, toute sa compagnie
qui l’émerveille et le déçoit. Chacun n’écoute que lui-même
jusqu’au sentier où, cahotant, et mal arrimé sur son bât
Le dormant passe, c’était le vent, c’était la vie.
In Dis-moi, ma vie, © Bruno Doucey, à paraître en janvier 2019
« Je deviens de plus en plus intraitable sur la sincérité et l’honnêteté. » m’écrivait-elle en 2013 sur la carte qui accompagnait l’envoi de Sur le seuil, promis. Ceux qui l’ont connue le savent, Ghyslaine Leloup n’était pas femme à supporter l’hypocrisie et elle lui préférait une franchise sans fard. Mais ses humeurs grondeuses savaient s’accompagner d’un humour joyeux. Voici le texte qui ouvrait La joie, pourtant paru chez Hélices Poésie en 2004.
La joie c’est ta bohème
À vagabonder au plus près de l’écorce
Tu hausses les épaules à l’ordinaire des jours
Nulle cage pour elle
Nulle barrière
Les sens guident mieux que des preuves
Une miette de lumière
Un frémissement de feuilles quand le vent est ailleurs
Un reflet furtif sur une vitre
Reflux des voiles au fond de nos geôles
Grains d’éternité dans le mécanisme des heures
Un chant s’élève de la mer
L’élan dans ton plexus l’ange entrevu
C’est toujours le début du monde
Et tu hausses les épaules
Ton rire auréolé d’écume
In La joie, pourtant, © Hélices, 2004
Accompagnée par Emmanuel Berland pour Hélices Poésie, Nicole Barrière chez L’Harmattan et François Mocaër pour Unicité, elle n’a cessé d’exprimer une poésie dense, où l’émotion ne cède jamais à l’émoi, une poésie qui fait toujours la part à sa culture de curiosité, à une volonté de découvrir, de s’enrichir, de partager ainsi qu’elle l’écrivait à son ami Noël Roch : « […] ce que je suis m’importe assez peu finalement. Ce que j’aime c’est échanger, découvrir autrui, essayer d’être vraiment honnête, écrire de la poésie, essayer de mettre du sens dans Ce formidable bordel (Ionesco)… » et qu’elle l’exprimait en ouverture de Sur le seuil, promis : « Je ne vous écris pas de préface, mais une lettre pour faire présence. Et si ma voix devient en partie la vôtre le temps du poème, si nos parcours vous semblent moins insulaires dans le silence qui suivra votre lecture, alors il y aura rencontre. Par surcroît. […] inlassablement, comme un mouvement de mer, l’avancée se poursuit, vers une autre arche, un autre commencement.
Nous, transformés de chaque franchissement. »
Et plus avant ce texte dans le même recueil.
Veilles paradoxales
C’est un espace dérobé à l’horloge
Délié du rêve et de l’affairement des jours
Une brèche dans un mur invisible
Présence
À des paroles sans voix pour les habiter
À des voix sans visages pour les éclairer
À un visage qui existe à peine
À l’autre visage qui s’enfuit peu à peu
Contre ma poitrine dans mon regard
À vous par ce poème qui vous cherche
À sa main entre mes paumes
Intuition de la peau dans une poignée de silence
Une pincée de mots qui voudraient s’approcher
Quelques flocons ballottés par l’incertitude
Et des débris d’étoiles tombés de la nuit
Mes balbutiements à l’encre violette qu’un écran immacule
À la sortie de clôture
Restent des lueurs
Et ce peu de neige mauve
In Sur le seuil, promis, © L’Harmattan, 2012
Ghyslaine était aussi une femme de convictions et d’engagements. Engagée dans l’associatif, dans l’humanitaire, dans tous les cas pour l’humain. C’est ce que dit le présent poème envoyé en 2010 à son ami André Chenet.
Naufrage du reflet pour qui abandonnera son cœur au glacis du tain
Pas un jour sans crevasses emplies de clameurs
Certaines mains
Trahison des étoiles
Amputées de leurs lueurs dactyles
(Corps torturés)
Certaines voix
Trahison des oiseaux
Perchés sur les cordes vocales
(Âmes abandonnées)
Bourreaux aux uniformes à la mémoire rouge sang
Certains hommes
Trahison de l’Homme
(Qu’est mon humanité ?)
Mains archéologues
Effacez les tables de lois
Inscrites sous les fosses communes
Mains guérisseuses
Irriguez la fleur noire et or
Dedans nos entrailles
Ce monde en germination n’attend que notre courage
La terre assoiffée de miracles
Révélera ses chants d’accordailles
Et nos serments d’amour confisqués
Ce monde
En germination
N’attend que notre courage
In La révolution amoureuse des poètes – La Voix des Autres n°4, Mai 2010
Ghyslaine nous a quittés. À l’heure où ses amis l’accompagnent pour son dernier voyage, je ne suis pas loin de croire qu’elle est cette étoile qu’elle évoque dans le poème suivant.
Autour d’une étoile vacante
Une gerbe d’étoiles variables
Vague dans un bain d’azur
Je la nomme Pérenne
Cette constellation
Née d’un instant croisant un regard
Je vous l’adresse
Voici donc une offrande
Patiente et lente
Où peut-être se répondraient nos voix
Et ma mémoire dérive au ciel d’été
Je buvais la rosée
À même la source de l’iris
Au creux des chiffons de pétales
Voix jaillie par-delà le langage
En un appel qui invoquerait un dieu si…
Vie soudain trop grande à contenir
Et l’équinoxe a jalousé le bleu
J’en ai retenu l’écume et l’or des brisures
Puis la mer s’est calée contre le ciel
Son lourd saphir épousant l’étoile sereine
Phréatiques disiez-vous
De ces voyages au pays de l’Autre
Mais c’est un agrégat de feu noir
Modelé de minuits en douleurs
D’aubes en étreintes
L’ombre qui me porte et me traverse
L’étoile souveraine sait cela
*
Oh incertitude éclairée d’astres morts
Nuit que rédimerait une comète
In Nuit chorale, son soleil sous les paupières, Unicité, 2016
Et je terminerai en citant de nouveau Ghyslaine dans Bien à vous quand elle écrivait : « Faire le deuil est une expression qui ne veut plus rien dire à force d’être rabâchée à longueur d’ondes et de livres de développement personnel ! On fait ce qu’on peut, il n’y a pas de mode d’emploi. « Laissez les morts enterrer les morts », quelle formule sage. »
Bibliographie partielle
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Le rêve aux mains lentes, © La Bartavelle, 2001
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L'Ange de sable, © Encres Vives, 2003
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La joie, pourtant, © Hélices, 2004
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Sur le seuil, promis, © L’Harmattan, 2013
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Nuit chorale, son soleil sous les paupières, © Unicité, 2016
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Bien à vous, une correspondance avec Noël Roch, © Unicité, 2017
Internet
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Dans La Pierre et le Sel : Recueil : Ghyslaine Leloup | Nuit chorale, son soleil sous les paupières
Textes sur les sites suivants :
Contribution de PPierre Kobel