La poésie « est au-dessus des règles et de la raison.
Elle ne pratique point notre jugement ; elle ravit et ravage. »
Montaigne
Un texte pour dire la poésie,
voyager dans les mots, écrire les espaces,
dire cette « parole urgente », cette parole lente, sa liberté dissidente.
Pour se laisser ravir et ravager.
Ce mois de mai 2025, les éditions Bruno Doucey fêtent leur 15 ans d’existence. Une longue aventure que j’ai partagé depuis ses débuts par l’amitié et des collaborations. C’est l’occasion durant quelques jours de célébrer cet anniversaire en mettant le projecteur sur les livres et les auteur(e)s de cette maison, emblématique de l’engagement et de la vitalité de la poésie la plus contemporaine, de l’ouverture au monde et du souci de le préserver contre les rapaces et les destructions de toutes sortes.
Sofía Karámpali Farhat
J'avais besoin de toi ce soir-là
mais tu n'étais pas là
tu cueillais des roses
tu faisais bouillir du thé
tu pétrissais du pain
tu repensais à ton village adoré
tu buvais ton vin
tu voyais tes amis
qui ne sont pas comme moi
des exilés
oui j'ai de l'exil en moi
je suis cet exil mais vers où
je ne sais pas
je n'ai pas honte j'avoue
pour l'exil j'avais besoin de toi
ce soir-là
mais je te savais heureuse
bien sûr que tu l'étais
pour te protéger j'avais
dans le creux de ma poitrine rangé
des siècles de violences
J'ai oublié de mourir
alors je m'accorde
une petite mort
In Zaatar, © Bruno Doucey, 2023
***
Breyten Breytenbach
heures de Gorée
six heures
le soleil frappe
la mer d’un écu d’argent
tu t’en vas nager dans l’onde épaisse ;
issues de la nuit, d’une grange d’obscurité
les premièrespirogues piquent vers l’île
cherchant à gicler hors du giron
les pêcheurs assis bien droit à l’arrière
écoutent l’appel de la première prière,
et l’on caresse la terre avec l’éclat d’une mort vivace ;
sur la petite plage picorent les pigeons pâles
craignant les chats perdus qui flânent
enterrant leurs déjections
attendant les reliefs de poissons
rejetés des profondeurs de la nuit ;
puis viennent les mouches à viande
qui s’assemblent brillamment
sur la tête des poissons immangeables ;
tu reviens au patio encore frais
les pétales charnus du frangipanier
arrachés par le vent chaud de la nuit
comme des tessons blancs dispersés sur les tuiles
se souviendront de la noce
In La femme dans le soleil, © Bruno Doucey, 2015 – Traduction de l’afrikaans par Georges-Marie Lory
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Wikipédia | Breyten Breytenbach
Contribution de PPierre Kobel
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