J’ai pris le retour pour aller
et les oiseaux qui m’ont suivi
ont perdu leur chant
dans le silence des nuages.
C’est sans cortège
que je suis arrivé
et que j’ai poussé cette grille
qui fait toujours grincer le passé.
J’ai vu la maison plus haute qu’avant
mais le soleil n’avait toujours pas
glissé jusqu’à ses vitres
et je savais qu’à l’intérieur l’ombre
serait comme autrefois
la première et la seule à m’étreindre.
In Vu, vécu, approuvé., © Le silence qui roule, 2019, p.9
Vu, vécu, approuvé., c’est comme un coup de tampon qui oblitère toute une existence à l’heure du soir et de la nuit menaçante. Mais dès le premier texte, on retrouve ici la voix mezzo-voce de Jean-François Mathé qui ne fait pas le bilan de cette existence mais tente plutôt de retenir entre jour et nuit des instants de souffle, d’équilibre.
Je regardais le feu
vivre du bois qu’il faisait mourir
et la neige tombait sans amasser
du silence sur le toit,
comme si rien ne pouvait poser
la paix sur le monde.
Un murmure aurait déchiré la voix,
mais se taire
ne faisait pas taire la mémoire
acharnée à creuser son chemin
vers le souvenir des morts
qui n’étaient morts qu’après la souffrance,
comme le bois dans le feu.
Ibid, p.15
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J’aime regarder
le vent qui ne se voit pas,
j’aime poser les pierres
sur la peau de l’eau
pour qu’elles y disparaissent,
j’aime feuilleter les pages
dont la blancheur en dit plus
que les mots qui y sont écrits,
j’aime que le vide, en tout, tienne
la porte ouverte à qui ne veut que partir.
Ibid, p.19
C’est un recueil traversé par la présence des éléments : eau, pierres qui durcissent la vie, souffle de l’air qui donne encore à espérer. Et toujours la poésie dont Jean-François nous disait dans l’entretien qu’il a accordé à La Pierre et le Sel : « Elle reste néanmoins le centre de l’un des cercles que j’ai tracés dans mon existence pour y loger l’essentiel. »
Une feuille, morte avant nous,
flotte d’un bord à l’autre du vent.
Nous lui envions la légèreté
que notre vie ne nous accorde pas,
même si nos jours, nos nuits
sont des feuilles, mais, elles,
alourdies de pluie
et qui tombent de l’arbre au sol
tout droit comme s’il
n’y avait pas de vent
pour les aimer.
Ibid, p.25
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Ce matin, le temps t’accorde un moment léger comme une feuille qu’il aurait détachée de son arbre pour toi.
L’air est le seul appui solide à la fenêtre ouverte. Tu as laissé tes murs dans le sommeil qu’ils oppressaient et maintenant tu es le prisonnier évadé qui regarde et respire l’étendue du ciel.
Feras-tu le premier pas sur le chemin élargi par le vent ? Iras-tu enfin ailleurs qu’en toi-même, pour choisir dans le plus lointain verger le fruit qui aura le goût nouveau d’une nouvelle vie ?
Ibid, p.38
Internet
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Dans La Pierre et le Sel : Entretien avec Jean-François Mathé
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Les éditions Le silence qui roule
Contribution de PPierre Kobel
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