Cela
passait par la mémoire,
venait très doux
comme une main
posée sur l’épaule,
une victoire distraite de l’absence.
Le
matin seulement,
sur ses premiers pas,
une rouille
fugitive
pour surprendre la saison.
Non l’avenir
qui
se grime en promesse,
mais ce bord perdu
à rêver la
saveur du temps.
In tes rives finir, © l’arbre à paroles, 2004, p.35
Né à Paris en 1934, Paul Farellier, tout en faisant Sciences Po et un doctorat en Droit Public, entreprend des études musicales, qu’il abandonne vers la trentaine, pour une carrière de juriste international dans l’industrie.
Il commence à écrire des poèmes, mais sa production reste longtemps inédite. Il attendra la cinquantaine pour publier son premier recueil, L’Intempérie douce. Depuis, sa production poétique s’est enrichie d’une dizaine de recueils.
Il figure également au sommaire de nombreuses revues, notamment Le Journal des Poètes, Vagabondages, ARPA, Incendits, Phréatique, Le Pont sous l’eau, La SAPE, Coup de soleil, Lieux d’être, Le Cri d’os. Et plus particulièrement Les Hommes sans Épaules, où il fait partie du comité de rédaction, ainsi que la Revue de Belles-Lettres (de Genève), où il publie régulièrement des chroniques de poésie. Il est aussi membre du jury du Prix Louis Guillaume du Poème en Prose.
On est d’emblée frappé par l’unité d’ensemble de son œuvre, qui invite le lecteur à toutes sortes de dépassement, dans « une entreprise d’apprivoisement du monde », comme l’écrit Pierrick de Chermont, dans son article Paul Farellier : à la présence du monde.
Dans ce cheminement, où la fenêtre occupe une place de choix, à la fois de défense, de refuge contre toutes les menaces alentour, et d’ouverture au monde environnant, le poète se tient aux aguets, à son poste de vigie. Et en même temps, son attitude est celle de la contemplation patiente et attentive, du recueillement et de la longue veille. « J’écoute vivre », écrit-il dans L’île-cicatrice (1987, p.53).
En 1993, il publie Où la lumière s’abrège, que Monique Labidoire, dans son article Paul Farellier aux solstices, voit comme « une sorte de journal, de carnet de route, dans lequel chaque mois du calendrier invite au poème et dévoile un chemin sur lequel le poète vit son aventure… Un chemin de vie où des paysages sont proposés, des instants sont partagés, mais aussi où le destin de l’humanité dans sa fatalité incontournable est suggéré comme « la morne répétition de l’irréparable » (p.8) ».
Tu
finirais même par ne plus l’entendre ! Il y a toujours, au
détour de la ville, cette infatigable rumeur : comme de longs
trains vibrants, frottés à la pierre sombre et poreuse d’une
aurore aux yeux gris.
Et ce n’est pas seulement un rêve
de désertion qui te fait ouvrir la fenêtre, ni l’intermittence
médiocre d’un soupir.
Tu regardes tour à tour vers le sol
et vers le ciel. La blessure est encore plus étrange, plus
effrayante. Tu te penches sur elle. Et tu l’approfondis.
In Où la lumière s’abrège, © La Bartavelle, 1993, p.51
En 2004, tes rives finir, son septième recueil, porte en exergue : « Ces mots, / tu crois qu’ils t’emportent ? / Ils ne sont que fragments déterrés. » Et de fait, c’est avec une écriture concise et fragmentée que s’écrit ce carnet de bord d’une aventure intérieure. Une constante économie des moyens au service d’un élargissement vers l’infini.
Or comme le souligne Gilles Lades, « cet appel de l’infini est une des formes de l’absolu (Paul Farellier, l’Ombre de l’Absolu). Le sens de l’éternel, sur fond de conscience de la petitesse humaine. Une conscience du néant à la mesure du sens de l’absolu partout présent ». Avec la volonté de se situer au plus près de l’insaisissable, de l’indicible, de l’inaccessible.
Le poème révèle la densité de l’existence, en même temps que la vanité de notre expérience. L’essentiel est dans l’imperceptible, car « Nos terres vraies sont cachées », dit le poète. Et il ajoute « Peu de mots / Cette page est lente : / un recoin du temps. / Un seuil est là / qu’il te faut déceler ».
S’il
est des mille chemins
dans les cris de ta joie,
s’il est
des instants d’été,
si te le dit, le soir,
ta ville
basse
au déchiré de l’hiver,
si tu sens tes rives
finir,
tes arbres d’espérance
pousser leur pays de
ciel,
n’es-tu pas mémoire et souffle
et bref froissement
du temps,
son long recommencement ?
In tes rives finir, © l’arbre à paroles, 2004, p.56
En 2004 également, avec la publication de Parlant bas sur ciel, le poète reconnaît que la vie n’est qu’un passage, un pont entre deux rives. On y retrouve tous les thèmes qui lui sont chers, notamment la lumière et l’obscur, le silence et la solitude, la durée, la mémoire et le temps retrouvé.
« Entre l’obscur et la lumière, précise Monique Labidoire, au bord des rives qui ne pourront entrer en finitude sans la parole poétique, Paul Farellier ne laissera pas disparaître dans la ténèbre la beauté du monde. Cette beauté revendique les deux faces du miroir : lumière et obscur. Ses poèmes agrandissent son champ d’existence, ce lieu traversé d’un chemin, agrippé de ronces, où commence un murmure bas vers le ciel, qui tend à une parole plus éclairée. La lumière, aussi courte soit-elle dans l’été finissant, facilitera toujours l’union avec la terre », ajoute-t-elle.
En
ces montées de pierre,
tout buisson veille sur sa lauze,
tout
chemin,
agrippé de ronce,
commence le ciel.
Le
silence,
herbe rare,
ne fait halte que d’éternel,
penche
le monde, le sépare
pour une minute d’été
vidée de sa
mort,
griffée d’espérance et de lumière.
In parlant bas sur ciel, © l’arbre à paroles, 2004, p.35
En 2008, Paul Farellier publie Vintages, Rétrospective 1968-2007, qu’il présente comme « une coupe longitudinale dans le tissu de quarante années d’une tentative poétique. Aucun souci d’accumulation, mais la brève incursion rétrospective : chaque année répond à l’appel en versant une seule goutte de son millésime. Quarante poèmes réunis, pour chacune des vendanges de 1968 à 2007. Bien entendu, toutes les années ne se valant pas, on pardonnera l’inégalité des produits. »
Voici le millésime 1998, dont l’auteur précise qu’il s’agit du poème final de la première partie, Heures, du livre Dans la nuit passante, publié en 2000.
Cette
voix
tout au fond du monde,
cette voix qui tombe
loin de
ta parole et de son temps,
loin de ces désirs de joie
où
tu perds ton ombre,
voix hors de propos,
appel dru lacérant
ta présence,
griffe du profond labour,
cette voix sans
toi,
pour toi, tout au fond
de toi l’inattentif.
In Vintages, Rétrospective 1968-2007, © Librairie-Galerie Racine, 2008, p.39 – tiré de Dans la nuit passante, l’arbre à paroles, 2000
En 2010, paraît Une odeur d’avant la neige, son dernier recueil, avec en exergue ces simples mots : « En toi, / pour l’inachevé du monde, / rien ne se mesure : / l’aile s’ouvre ».
À propos de ce recueil, Véronique Daine écrit : « Dans « l’inachevé du monde », à ce rang singulier où nous laisse la mort de ceux qui nous précèdent en elle, dans une lucidité étrangère à la complaisance autant qu’à l’amertume mais qui, au contraire, « devant ce rien où s’achève le vivre », trouve à aimer encore, à aimer mieux peut-être, Paul Farellier nous offre une parole d’une grande intensité et d’une rare délicatesse, celle de ceux qui ont su maintenir vive en eux l’attention au plus ténu et au plus silencieux. »
Le
soir, nous parlerons de silence :
il faut se couler au
bas des marches
et regarder les jarres dormir,
il faut
humer des yeux ces vieux murs
-- poussières d’insectes, de
mortier,
cendres de spores, d’araignes --,
débusquer la
lumière jamais traduite,
la beauté sans cri.
Sommes-nous
pas la nouvelle rive,
la crête la plus profonde,
la descente à
plus tard et son chemin d’ombre ?
Atteindre au plus
loin de l’or
l’île de ténèbre,
encourir
l’enfouissement de l’éclair,
sa partie basse d’ocre et
d’oubli,
de reproche, de mystère :
le soir sait
lire ces lettres de silence,
calciner leurs grappes.
Le
soir nous instruit,
nous dévaste de son calme.
In Une odeur d’avant la neige, © l’arbre à paroles, 2010, p.62
***
Une
ombre en écho :
ainsi aurons-nous vécu,
les
passionnés de lumière !
On attend toujours la carte
postale d’hier,
la miette d’absolu qui ne peut que se
perdre.
On salue. On recommence. On poursuit.
On a des
façons d’entendre et de croire.
Dans toute cette affaire,
on a joué la durée.
Et la durée se révèle infime.
In tes rives finir, © l’arbre à paroles, 2004, p.25
***
--
Plus je vais,
abandonné de mon âge,
à chaque pas moins
réelle
ma naissance,
tout cet assemblage
censé me
faire une vie,
je lui trouve en bout de piste
l’air
dignement dérangé.
-- Et vous en souriez ?
-- Je
ne saurais trop dire,
ni s’il demeure
d’un si faible
sourire
une île heureuse…
Ibid., p.54
Bibliographie
- L’Intempérie douce, © Le Pont de l’Épée, 1984 (épuisé)
- L’Île-cicatrice, suivi de L’invisible grandit, © Le Pont de l’Épée, 1987 (épuisé)
- Une main si simple, © Le Pont sous l’eau, 1989 (épuisé)
- Où la lumière s’abrège, © La Bartavelle, 1993
- À l’obscur et au vent, © L’Harmattan, 1996
- Dans la nuit passante, © L’Arbre à paroles, 2000
- Tes rives finir, © L’Arbre à paroles, 2004
- Parlant bas sur ciel, © L’Arbre à paroles, 2004
- Vintages – Rétrospective 1968-2007, © Librairie-Galerie Racine, 2008
- Une odeur d’avant la neige, © L’Arbre à paroles, 2010
- Un article de Pierrick de Chermont, Paul Farellier : à la présence du monde, sur le site Écrits-vains
- Un article de Monique W. Labidoire, Paul Farellier aux solstices, dans la revue québécoise LittéRéalité (vol. XVIII, n° 1, printemps/été 2006)
- Un
article de Gilles Lades, Paul
Farellier, l’Ombre de l’Absolu,
dans la revue Lieux
d’être, n°
47, « Partir », hiver 2008/2009
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Un article sur Wikipédia
Contribution de Jacques Décréau
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