Après la montée en charge bien orchestrée des auteurs nordiques, à l’occasion du salon du livre 2011, voici que la Norvège, un petit pays pourtant bien tranquille, vient de connaître un sanglant fait-divers orchestré en solo par un illuminé.
Et puisque le Grand Nord se retrouve, pour un court moment, à la pointe de l’actualité, c’est l’occasion de reparler d’un poète suédois laissé en jachère en France.
Il s’agit de Thomas Tranströmer, né en 1931, psychologue de formation, considéré dans les années 1950 comme l’un des poètes marquants du siècle, titulaire de nombreux prix dans le monde entier et traduit dans une cinquantaine de langues. Son œuvre poétique n’a pourtant rien de pléthorique, puisqu’elle est tout entière contenue dans le recueil de la collection Poésie que lui a consacré Gallimard en 2004, sous le titre « Baltiques ». (Complété, outre un avertissement de Kjell Espmark et une préface de Jacques Outin, par une remarquable étude de Renaud Ego sur l’auteur, intitulée « Le parti pris des situations de Thomas Tranströmer »).
Mais comme on sait, la qualité d’une œuvre se mesure principalement par son originalité, et celle de Thomas Tranströmer se distingue par son style concis, tout en ellipses et sonorités, et par un art subtil de la métaphore. Il désigne les choses simplement, dans l’espace et dans notre temps, telles qu’elles existent et semblent être en apparence, mais en laissant entrevoir qu’elles recèlent, souvent, en arrière plan tout un monde onirique. « Au virage suivant, l’autocar se détacha de l’ombre froide de la montagne,/ tourna le mufle au soleil et rampa vers le col en hurlant ».
Et ainsi que le remarque Kjell Espmark « Je voudrais même dire que le secret de cette poésie réside dans l’union inattendue de la vision élargie et de l’exactitude sensorielle »
En France, cet auteur discret, grand voyageur, amateur de musique et de peinture, n’a été connu qu’après les années 1980 et ne semble pas, aujourd’hui, avoir chez nous la cote qui devrait être la sienne. Atteint en 1990 par une hémiplégie, il a néanmoins, malgré son handicap, fait une apparition en France en 2004, invité par le Centre culturel suédois, sans que cette visite ne lui entrouvre les portes bien cadenassées de nos chapelles poétiques. Sans doute, pas assez hermétique pour nos esthètes, cette poésie !
FACE A FACE
En février, la vie était à l’arrêt.
Les oiseaux volaient à contrecœur et l’âme
Raclait le paysage comme un bateau
Se frotte au ponton où on l’a amarré.
Les arbres avaient tourné le dos de ce côté.
L’épaisseur de la neige se mesurait aux herbes mortes.
Les traces de pas vieillissaient sur les congères.
Et sous une bâche, le verbe s’étiolait.
Un jour, quelque chose s’approcha de la fenêtre.
Le travail s’arrêta, je levai le regard.
Les couleurs irradiaient. Tout se retournait.
Nous bondîmes l’un vers l’autre, le sol et moi.
in Baltiques, éd. Poésie|Gallimard, 2004, p.85
APRES LA MORT DE QUELQU’UN
Ce fut un choc
Suivi par l’immense queue d’une comète scintillante et
Blême.
Qui nous héberge. Brouille les images télévisées.
Et se dépose en gouttes froides sur les conduites aériennes.
On passe à ski dans le soleil d’hiver
Entre des bouquets d’arbres où les feuillage perdure.
Et rappelle les feuilles arrachées à un vieil annuaire.
Le nom des abonnés dévoré par le froid.
Il est encore agréable de sentir son cœur battre.
Mais souvent l’ombre semble plus réelle que le corps.
Le samouraï paraît insignifiant
A côté des écailles de dragon de son armure noire.
in Baltiques, éd. Poésie|Gallimard, 2004, p.134
Contribution de Jean Gédéon
Les pensées sont à l'arrêt
comme les carreaux de faïence
de la cour du palais
Le mur de la désespérance...
Les pigeons vont et viennent
sans visage.
J'étais là moi aussi-
et sur un mur blanchi à la chaux
se rassemblent les mouches.
Trois haïkus de Tomas Tranströmer adaptés du suédois par Jacques Outin, in La grande énigme, 45 haïkus, © Castor Astral, octobre 2004, avec une photo de couverture de Lucien Clergue.
On peut lire aussi en français son recueil de proses poétiques, Les souvenirs m'observent, paru chez le même éditeur en 2004.
Complément de Roselyne Fritel
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