Il est mince et sec, avec un visage émacié, des yeux noirs, et concernant sa personne, d’une extrême discrétion. Tout au plus sait-on qu’il est né en 1955, qu’il vit à Angers où il enseigne en collège. Et il s’explique sur cette volonté de mutisme, dans la note bibliographique qu’il a confié au site du printemps des Poètes :
« Ensuite, vie ordinaire, entre pas facile et pas impossible, comme tout le monde. Je ne vois pas bien quoi dire d'autre qui serait un peu nécessaire, ou éclairant, au-delà, autour ou en-deçà des poèmes. Si tout poème est bien de circonstances, écrire vise à délaver assez pour qu'il devienne une interface, et non un miroir. Voilà pourquoi devoir alimenter le moulin biographique me gêne toujours autant. »
Dans la même veine, et bien qu’il soit unanimement reconnu par la critique, il s’est constamment adressé pour ses publications à de petits éditeurs de poésie, reprochant aux industriels de la littérature de privilégier le lucre plutôt que la recherche de nouveaux talents.
Sa poésie, dans la forme, est à son image, économe, sèche, sans fioritures, faite de notations, avec des alternances de vers libres et de prose.
Son inspiration a subi l’influence, entre autres, de Pierre Reverdy, Eugène Guillevic, et plus particulièrement d’André Du Bouchet, à qui il a consacré un essai.1
Il évite, sans doute, par pudeur et timidité, d’employer le je lyrique et personnel, et se contente le plus souvent de le remplacer par le pronom indéfini on. C’est aussi, pour lui, un moyen de faire circuler l’émotion directement du poème au lecteur, sans remonter à l’auteur.
Quant au fond, il faut, pour en apprécier la singulière originalité, faire preuve d’un peu de patience, essayer d’en décrypter les codes et ne pas se laisser rebuter par la tonalité grise de l’ensemble.
D’emblée, le lecteur va, en compagnie de l’auteur, errer au milieu de nulle part, constamment buter contre un horizon bouché, et se heurter à des murs, des cloisons, des parois : « au pied du mur. Une falaise de craie, une paroi droite. La route est coupée là, au pied // Face au mur, les pages ont peu d’importance : les mots ne sauvent pas./Ils retardent tout de même un peu la fin./A force de retarder…/On ne sait pas. »2
Il fera aussi connaissance avec la boue et le sable qui, aussi, sont sources de blocages, enferment et empêchent d’avancer.
« Boue. A chaque pas, on s’extrait. On marche un temps jusqu’à tomber là, dans ce qui épouse et moule juste le corps. Entre terre et tête la limite s’efface, on dort. Et de nouveau, le lendemain, on part. »3
Et parce qu’il faut bien continuer à vivre en dépit des obstacles, l’auteur se ressource dans la contemplation de son jardin « fin de semaine on est/à bout de souffle sans raison/dans le jardin/tout est très calme/et seul// on va dans le jardin/le ciel bleu le prunus/cette fin d’été diluée/avec moins de lumière/chaque jour/ normal »4
Auteur engagé, il n’hésite pas à crier sa révolte contre l’injustice et la violence.
« les morts le long de la route/poussés sur le talus/tête qui hurle un ordre/et plus personne debout devant/grands yeux d’enfant/encore là après seul/hôpital corps bandages/tout est muet /tanks face à la foule/visages inertes des soldats/puis tout avance écrase/un homme brûle/un gros champignon de nuage/on ne voit pas dessous/une cellule/aux dimensions d’un corps/accroupi/le soldat qui travaille/à la pelleteuse/porte un masque médical »5
En fait, si le lecteur ne se laisse pas abuser par les apparences et prend la peine d’insister un peu, il se rendra compte que l’ensemble de l’œuvre est, en filigrane, une vaste métaphore sur le monde, ses incohérences et ses violences, sur la vie et les obstacles que chacun rencontre, sur le temps et sur la peur qui se terre en chacun.
« ce qui meurt/nous reste/sur les bras//mais nous/on n’a rien à voir avec la mort/ c’est elle qui vient/nous serrer /du dehors »6
Il sentira, peut-être, enfin, que cette économie de moyens dont joue l’auteur, a des résonances profondes et universelles.
« Ce monde est sale de bêtise, d’injustice et de violence ; à mon avis le poète ne doit pas répondre par une salve de rêves ou un enchantement de langue ; il n’y a pas à oublier, fuir ou se divertir. Il faut être avec ceux qui se taisent ou qui sont réduits au silence. J’écris donc à partir de ce qui reste vivant dans la défaite et le futur comme fermé. »7
page blanche du ciel sans pluie qui tranche
sur le noir des ardoises
et tout en bas la masse
des marguerites
voilà
la tête qui vague
pas de bruit
un samedi d’après-midi
là
on est dans la niche d’un temps
sans poids sur la bascule
d’une semaine faite à faire
on repose se
pose
peu importe où
dans la courbure du temps
mais calme
ce pourrait être encore
petits carreaux dunes
jeanlain baraques à frites nuits
ou acacias maison rouge et blanche
muscadet c’est de même tout
passe en avancée lente
vitesse de traîne
là c’est
un long buisson de fleurs jaunes
et du ciel blanc
(…/…)
in Peau 2008 p19/20
la pluie grise moite orage devant
et puis plus rien comme si
ça s’effondrait dedans laissait
comme du sol nu raviné battu
peu à glaner dans cette fatigue
état sans poids attente
et la tête cherche une prise
pour la main
du sable rapporté sous les doigts
la mer maintenant son bruit
loin de ressac et d’écume
dans un entre-deux d’être
un vague
pluie sans sel
glycine dans l’eau trempée
fin de l’orage
tout s’égoutte
In De l’air 2006 p48
1 André du Bouchet, éd. JM. Place, coll. Poésie, 2003
2 in « En deçà », éd. Fourbis 1990
3 in « Boue » éd. Deyrolle, 1997.
4 Inédit, in le n°33 de la revue NU(e), consacré à E. Emaz.
5 In « De L’air » éd. L’idée Bleue, 2006
6 In « C’est » éd. Deyrolle, 1992.
7 Antoine Emaz, entretien, Scherzo, 12-13, été 2001.
Bibliographie
- Poèmes en miettes, éd.Tarabuste, 1986.
- En deçà, éd. Fourbis, 1990.
- C’est, éd. Deyrolle, 1992.
- Peu importe, éd. Le dé bleu, 1993.
- Entre, éd. Deyrolle, 1995.
- Fond d’œil, éd. Théodore Balmoral,1995.
- Sable, éd. Tarabuste,1996.
- Boue, éd. Deyrolle,1997.
- Soirs, éd. Tarabuste, 1999.
- Je ne, Verlag im Wald, 2001.
- Ras, éd. Tarabuste, 2002, prix Yvan Goll.
- Lichen, lichen, (notes), éd. Rehauts, 2003.
- André du Bouchet, éd. J.M. Place, coll. Poésie, 2003.
- K.-O., éd. Inventaire-Invention, 2004.
- Os, éd. Tarabuste, 2004.
- Sur la fin, éd. Wigwam, 2006.
- Bleu très bleu, Propos2/éd. 2006.
- Caisse claire, éd. Points, 2007.
- Le n° 33 de la revue NU(e) lui est entièrement consacré.
Internet
- Une bibliographie complète sur le site Poezibao de Florence Trocmé.
- Un grand dossier sur le site remue.net
- Sur le site de JM. Maulpoix.
Contribution de Jean Gédéon
Commentaires