Caroline Sagot Duvauroux est née en 1952 à Paris.
Après des études de lettres, elle se consacre à la peinture et à la poésie. Elle a publié de nombreux livres (voir bibliographie en fin d’article).
Elle fait entendre une voix où se mêlent les registres et les genres. Polyphonie et la grâce d’une écriture où la culture et le jaillissement se mêlent pour que naisse une écriture singulière et envoûtante.
On retrouve Le récit d’il neige (dans une version modifiée) dans un des derniers livres de Caroline Sagot Duvauroux aux éditions José Corti : Le vent chaule suivi de L’Herbe écrit (2009).
il neige sur encore il neige sur alors puis il neige encore alors il neige comme il neige
Le poème est rare qui entend dans la neige une trame. Les mots éprouvés, blancs ou pâles, seraient dans le motif récurrent de la mère. Elle traverse le texte comme le sang perce la neige:
où étais-tu passée mais je saignais maman dans les congères
Cette figure égare et le poète, qui fait œuvre de retrouver un fil, point des mots sur Le récit d’il neige.
Ne se raconte pas la neige, ce conte.
Enfance où le temps suspend la présence, il neigeait sur un chien qui savait faire courrier de la clameur du monde on attendait dans la clameur la silhouette glissait du trait. L’encre est une ligne fine dans la neige et la linéaire escadre se perd. Tout est blanc, même les repères d’encre, l’apparition c’était du disparu l’avers de l’imparfait. Le passé simple peut-être aurait rompu le temps d’alors. Mais la mère à la surface du blanc fait silhouette du monde, j’alignais des brindilles ça bavardait dans ma cervelle avec une étrangère c’était ma mère.
La ponctuation structurante a fondu, la syntaxe avance en désarticulation constante, comme trépied ou falaise, bord du vide. Le blanc n’est pas nommé, Caroline Sagot Duvauroux le fait surgir de la « neige » scandée depuis passé (ou toujours).
Deux textes se mêlent comme deux caractères, romain et italique : un récit
(un poème) est enchâssé dans un autre. Les italiques retiennent la membrane, le regret, ce qui pourrait disparaître et l’incantation douloureuse est arrachée de la substance blanche fragile de la neige. Le second texte, en caractères romains, s’intercale, il propose une réalité où la mère se refuse ou se montre défaillante.
Le chant naît au rythme d’une avancée où la mutilation serait celle que le langage à la poursuite de lui-même tente de fonder – fonde finalement. Lettre capitale quand une ligne s’achève, ce serait un cri depuis le bout, la rive de la phrase et la tentative (aboutie dans son péril même) pour créer une élégie.
Qui est parti ? Quelle disparition nécessite le recours aux mots dans une grammaire désorchestrée ?
j’allais te voir ma mie j’avais promis
Des dessins entrelacent également le texte. Sur des fonds marron clair (teintés d’or) se détachent des silhouettes, un corps de femme au visage partiel par exemple. Un œil, seul (en déséquilibre, nu dans la neige ?). D’autres signes noirs, à coups de traits, aiguisent la feuille de formes pointues, tranchantes. Parfois ce sont des détails du corps qui surgissent (comme un blason limité à une forme) : une main se tord, un doigt pointe un oiseau, peut-être. Le dessin se construit, se défait dans des suggestions noires ou blanches, évanescentes ou fantomatiques.
Des strates, comme couches de sédiments, composent donc le texte. Les caractères romains et italiques alternent, des lettres capitales achèvent les vers où le mot « reste » se lit entier ou décousu : les lettres se suivent ou s’inversent en acrostiche. Les monotypes nourrissent le texte (à la poursuite d’une femme, du noir, du blanc, des peaux se répondent d’Afrique et d’Europe, de mère et d’enfant – absent ? – comme un récit en projection).
Comme il mêle des formes, le discours superpose des temps : le passé, le présent car il neige . La femme serait mère ou la mie, la consolatrice, celle qui sur le blanc met son sang
sur le chemin d’aller à mort on est distrait on viT.
La ponctuation du texte est donc réinventée : ce sont les disparitions qui la façonnent (des femmes seulement ou le chien comme errant serait une redite), un déclin du rouge […]
tout passe et la neige a saigné l’importance
Le texte est là dans sa dissolution possible, il faut écrire mais plus crucial ah! c’est écrire qui empêche d’écrire bon sang qu’est-ce que ça se taiT
Les fibres se détachent, on s’écorche aux consonnes. Plus de ronde, les voyelles appellent la neige, tu ne reviendras pas.
passe et vient le passé qui devient sur jadis et c’est tout ce qui passE
Les mots ont-ils jamais
fait surgir les morts ?
Le récit d’il neige demeure.
Sa singularité nous interroge : questionnement des phrases démembrées en construction pour un présage, structuration d’une possible narration. Posée. L’exclamation (!) seule est restée dans le texte, sorte de cri comme naissance orchestrée depuis le point de départ du récit.
alors on préfère la littérature la grande morte à ce qui vient qui meurt on a peuR
Le texte de Caroline Sagot Duvauroux dans son exploration disperse le blanc sur l’encre, effaçant à demi, nous laissant l’énigme claire (constamment reformulée) de la narration puisée au cœur de la parole poétique, dans sa fulgurance comme son mystère.
Il neige
Là-bas
Sur le récit
Est-ce la neige dessus ?
le récit d’il neige
le monde réduisait sous des nappes de langue il neigeait sur la mort d’un chien qui savait faire courrier de la clameur du monde on attendait dans la clameur la silhouette glissait du trait on frissonnait sous l’abstraction la ligne encore rompit le ciel j’allais te voir ma mie j’avais promis
La vie rompait encore l’endigue
l’apparition c’était du disparu d’avers l’imparfait c’est aussi bien futuR
du vieux non finito qui vient qui vient toujours pour que toujours nous soit contemporain cependant quE
toujours vient la mort et pourtanT
plus urgent que la mort on ne sait quoi vous arrête en chemin c’est qu’on viT
sur le chemin d’aller à mort on est distrait on viT
c’est qu’un vol vous attelle au passagE
c’est qu’on est en voyage à califourchon du trait qui se disjoint du traiT
ma grand-mère meurt d’aller à elle on me bifurque une ferveur c’est à la presque jonction d’asymptotE
sur presque je glisse à grand écart mes talons crochent les sillons qui s’excluenT
j’écarve ! vivre ah c’est ça ! sûr qu’on tombe cul dans la fosse et ça pue les feuillées de nos motS
la main rattrape un trait s’y larde en repentirs furieux un déclin du rouge rigole jusqu’à l’aissellE
ça chatouille on a ri mais ça fait mal aussi on lâche allez tant pis j’allais te voir ma mie j’avais promiS
on pleure dans les odeurs on n’a pas dit merci quel est mon rôle parmi les choses on se diT
un animal souffrait mourait en rue ça tue l’urgence restaient l’aguet la rue sans réserve tout avait servi tout servait l’illisible j’avais perdu l’adresse j’étais l’idiot
Les mères se retiraient
c’est qu’on est en voyage on a vu quelque chose on voudrait s’adresseR
parle-t-on du voyage ou de l’eau c’est énigme en affût mais comment s’adresseR
c’est tout seul contempler compatir et le reflet, l’affûT
ne restent que des mots cheval ou poisson d’or qu’on vendrait pour poisson de meR
restent des mots c’est encore beau le corbeau sert pour le présagE
on s’écorche aux consonnes en refermant les poings sur égarer l’urgencE
il faut écrire mais plus crucial ah ! c’est écrire qui empêche d’écrire bon sang qu’est-ce que ça se taiT
dessous l’oubli qui vous enneigE
car il neige
Une douceur il fallait s’en défaire
sortions du bois par bois qui lève dans l’élancement des cartilages sortions du balivage des idées nous courraient une chevelure un cosmos ne savaient plus se loger dans l’étroit mon Hourloupe est un chien j’ai dit mon dans sa vie houre ni le loup pas toi ne mangera dans les morts majuscules l’houre et le charivari pour moi tu ne reviendras pas
in Le récit d’il neige, © Les ennemis de Paterne Berrichon (avec traduction en allemand de U. Zieger – monotypes d’Ena Lindenbaur – 2006)
Bibliographie
Aux éditions José Corti
- Hourvari dans la lette, 2002
- Atatao, 2003
- Vol-ce-l’est, 2004
- Köszönöm, 2005
- Voici le jour, 2006
- Aa, 2007
- Le vent chaule, 2009
Aux éditions Les ennemis de Paterne Berrichon (texte et image)
- À folle allure, avec Gérard Parent
- Le bleu ne bougerait pas / Voir le ciel en marche et le blesser des blés qu’on fauche / Le détour, traces / L’herbe écrit mais le vent chaule / La provision de l’été / Il n’y a rien à trouver en peinture / Là, il y a le rose / Dans la solitude de l’œil qu’assoiffe la vue / Sous mon repentir jaune / Petites plaquettes de notes sur la peinture. / 1995
- Comment dire ? 1999
- In petto, 2000
- La peur est bleue, 1998 – 2000
- Cœur gros, 2006
- On demande la lune, 2000
- L’arpenteur (sur la peinture d’Aboud Mohsen), 1997
- Les laissées, Dessins de Jean-Paul Héraud. 2000
- Une boussole pour Annie, dessin de Jean-Paul Héraud, 2000
- Je crois qu’elle danse, avec Nuno de Olim, 2002
- La tuade, frontispice de Jean-Paul Héraud. 2002
- Ich 2, dessins de Ena Lindenbaur, 2006
- Le récit d’il neige, dessins de E. Lindenbaur. 2006
- Magnificat, dessins de Jean-Paul Héraud, 2009
Pour les éditions Les petits classiques du grand pirate
- Et que tout tienne dans l’armoire, 1999
Pour les éditions Trident neuf
- L’amarre des signes, avec Marie Bauthias, 2007
Pour les éditions de La Sétérée
- Vielleicht Peut-être, gravures de Ena lindenbaur, 2005
Pour les éditions Remarque
- Burin d’empoigne, gravure de Jacques Clerc, 2004
- Qu’ qu’est-ce, peinture de Philippe Guitton, 2007
Pour les éditions Barre Parallèle
- Le Buffre, 2010
Jean Gabriel cosculluela nous signale un cahier sur Caroline Sagot Duvauroux qu'il a dirigé dans la revue faire part n° 24-25
Internet
- Sur remue.net
- Sur sitaudis.fr
- Sur le site des éditions José Corti
Contribution de Isabelle Lévesque
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