Le poète catalan Jordi Pere Cerdà (Antoine Cayrol de son vrai nom) est décédé à Perpignan le dimanche 11 septembre 2011 à l'âge de 91 ans. Il était sans conteste la voix la plus représentative de la poésie catalane en France.
Né en 1920 à Saillagouse, dans la région de la Haute Cerdagne, il habitait la moitié de l'année le quartier Saint-Assiscle de Perpignan. Fils de berger, il fut un temps boucher, libraire à Perpignan. Il commence à écrire et à être publié dans les années 1950. Son premier recueil, La Garba i la Guatlla, a été publié en 1950. Son œuvre poétique complète a été éditée à Barcelone chez Barcino en 1986 avec une introduction de Pere Verdaguer. André Vinas écrit dans sa préface à la Suite cerdane : « La poésie de Jordi Pere Cerdà est une poésie qui interpelle à la fois par ce qu'elle dit et plus encore par la manière dont elle le dit. C'est peut-être la raison pour laquelle d'aucuns la disent difficile. Pere Verdaguer a admirablement décrit, avec une grande finesse d'analyse et non sans humour, pour l'édition des poésies complètes parues chez Barcino en 1966, le parcours laborieux de l'auteur, enlevé de l'école à l'âge de quatorze ans pour vivre en Cerdagne dans un milieu tout-à-fait rural, Cerdà autodidacte, a voulu d'abord écrire en français, langue qui pour lui, comme pour la plupart de ses compatriotes de Cerdagne-Nord était une langue étrangère. Ainsi écrira-t-il ses premiers poèmes en français.
Devant le peu de succès de ses tentatives et dans le souci aussi de retrouver ses racines catalanes, il se tourne vers la langue de la Cerdagne, mais cette langue qu'il parle avec sa famile et les gens de là-bas, il doit apprendre à l'écrire et donc en découvrir la grammaire et là encore il se trouve dans des terres inconnues. »
L'homme a besoin d'espace (…), c'est le vent qui vient nous le rappeler. Car le vent, est le souffle - c'est écrit dans le premier poème du monde - le vent, c'est la vie. Les symboles se méditent... les itinéraires aussi, les inventaires sans doute, mais ils doivent rester passagers. Je reviens au mot que Farré a mis en exergue. Nous sommes passagers d'une longue errance, passagers doués de mémoire". (Extrait de la préface de Jordi Pere Cerdà à l'ouvrage Itinéraires de Roland Farré)
Son œuvre (poésie, théâtre, romans, essais) a participé activement de la préservation et de la diffusion de la culture catalane. C'était une œuvre engagée, d'une part du fait de sa participation à la Résistance, d'autre part par son attachement fidèle au Parti communiste. Elle lui vaudra le prix littéraire barcelonais Escriptor de l'any ainsi que le prix de la Literatura de la Généralitat de Catalogne, en 1986, la Creu de Sant Jordi en 1996, le prix d'honneur des lettres catalanes en 1995, et enfin en 1999, le Premi Nacional de Literatura de la Generalitat de Catalunya.
Dans un texte Cerdà écrivait : « (…) Tous les Roussillonnais vivent le dos à la frontière. Le dos au mur. L'homme, l'individu, vit au milieu d'un cercle qui l'entoure. Un cercle plus ou moins grand selon sa vie, son caractère et sa connaissance de l'existence ; le cercle permet à chacun de nous de trouver l'équilibre vital.(…) Le tourisme a mis en évidence la beauté de la Costa Brava, la puissance créatrice des villes dont Barcelone qui a fait éclater le modernisme de Gaudi. Moi, je m'en tiendrai à une réalité qui est commune à nous tous depuis 1000 ans, la langue. Evoquer la langue c'est parler de l'histoire et d'événements qui nous ont le plus souvent malmenés comme "entité". Parce qu'une langue est directement rattachée à la politique.(…) (le texte en entier)
Poète de la nature et de l'homme, Cerdà reste à découvrir, y compris dans son pays natal.
Has lliscat en el meu món
per recintes de silenci
entre un batre de parpella
i un descuit de mans obertes.
Ton vestit era somriure,
el teu gest era una espera
ràpida com raig novell
esmunyint-se sota l'alba,
com ell, tossuda i rebel.
Em duies tos ullsper viure,
llàntia al portai de mes nits,
cabdellant tots mos esguards
com el que fa lluir els vidres.
Racó secret d'un exili
dins l'ombra blanca dels llibres,
l'has obert entorn de mi
com un cel d'agost que lliura
el tràmit delseu teixit ;
i has estès la teva cara
al quadre del meu desig,
Com un cel i com un llibre,
de la punta entrant de l'alba,
al capdavall de la nit.
Se que tens secrets.
Igual que l'arbre, guaites
amb milers d'ulls
mig ducs entre lesfulles ;
que tens secrets de mar
sota la copa tendra,
afinada, del ventre,
en ressaca de rius,
vespilles dins ta sang
amb exòtics colors
de peix equatorial.
Tots ells freguen mon cos
amarrat a la nit
on jaus tan calmament
concreta,
mineral,
illa d'apagat foc.
amb elgest de ta mà,
que et serva,
tinc esment
que et travessa el meu somni
avançant dins ton cos
com une cremadura
en el viu de la carn.
M'enganyo ?
No goso
tan sols clavar l'esguard.
Escolto
el moviment del marbre,
si em pervé
el frisar d'un sospir.
Jo voldria ferir
el pais del teu son.
Tu as glissé dans mon univers
à travers mes remparts de silence
entre un battement de paupières
et un oubli de mains ouvertes.
Ta robe était sourire
et attente ton geste,
prompte comme le premier rayon
qui s'insinue par-dessous l'aube,
comme lui obstinée et rebelle.
Tu apportais tes yeux pour vivre.
Fanal au portail de mes nuits,
enroulant tous mes regards,
éclair qui fait luire les vitres.
Ce recoin secret d'un exil
dans l'ombre blanche des livres,
tu l'as ouvert autour de moi
tel un ciel d'août qui livre
la trame de son voile ;
tu as tendu ton visage
dans le cadre de mon désir,
comme ciel et comme livre,
depuis le point de l'aube naissante
jusqu'au tréfonds de ma nuit.
Je te sais des secrets.
Comme l'arbre, tu guettes
grâce à tes milliers d'yeux
mi-clos entre les feuilles ;
et des secrets de mer
sous la coupe tendre,
fine et lisse du ventre
en courants d'estuaires,
escarbilles dans ton sang
aux couleurs bigarrées
d'un poisson des tropiques.
Tous agressent mon corps
amarré à la nuit
de ton repos paisible,
concrète,
minérale,
île au feu apaisé.
par le geste de ta main
qui te préserve,
je pressens
que te saisit mon rêve :
Il pénètre ton corps
de ma brûlure
au vif de ta chair.
Est-ce vrai ?
Je n'ose même pas
jeter un regard.
J'écoute
la vie du marbre,
si me parvient
le soupçon d'un soupir.
Je voudrais blesser
le pays où tu dors.
In Paraula fonda Sens profond, © L'Olivier, 1997, p.20-23 traduction André Vinas
*
Présència
Poso senyal al born
i alço vêla a corre-vent,
homefabre pensant,
îimoner d'impensable
que no sigui clapoteig de l'onada
amb el peix
i el xapoteig del sol.
Conversa del s ulls
amb l'anima abocada
de tan lluny revinguda,
d'un pais de no-res
que no és
ni ha estat
sinó en el mot
"Presència ".
Présence
Une fois franchi le signal du musoir,
je hisse la voile au grand-largue,
homo faber pensant,
timonier d'impensable
qui ne soit clapotis de la vague
et du poisson
et murmures du soleil.
Conversation des yeux
avec l'âme exhalée,
de si loin revenue,
d'un pays de néant,
qui n'est pas
et n'a pas été
si ce n'est dans le mot
"Présence".
Presència II
Tota presència afirmant-se
sobre el teler on penjolen els fils
del viure
és perill i espera
com és que vegis en eix ull
un rampell retingut,
obscur
de viuda negra.
Présence II
Toute présence qui s'affirme
sur le métier où les fils de la vie
se balancent,
est péril et espoir ;
comment se fait-il que tu voies dans cet œil
la colère retenue,
obscure,
d'un milan noir ?
In Suite cerdana, © L'Olivier, 2000, p.102-105 traduction André Vinas
*
Cucut
El cucut, jo el veig
com un muetzí,
un xic mal fardat,
amb el caftà brut,
i el turbant de lli.
Ell no vol covar,
tira la sement,
enganyant els nius
de la pobra gent.
Sempre busca els cims ;
dalt el minaret
predica sorrut.
Qui és sord no l'entén ;
mes sort que no és mut,
que sense ell el març
semblaria buit.
Només sap dos mots ;
són : cucut, cucut.
Le coucou
II éveille en moi
un profil de maffiosi
pas très net :
un rien de Sicilien,
le cafetan sale
mais le turban en lin.
Lui, couver, que nenni !
Il lâche sa graine
et trompe les nids
des pauvres voisins.
Obstiné, il prêche
haussé sur la tour
d'un haut minaret.
Par bonheur sa voix sourd.
Pauvres sourds !
qui n'ont pas la chance
d'entendre son chant
égayer mars de son aisance.
Ne sait que deux mots :
cocu !
Coucou !
In Oiseaux / Ocells, © Jacques Brémond, 2009 – p.64-65
*
Alosa
Alosa ensangonada,
el cant que t'assolella
fa tornar vidre l'aire.
Pena ta volarada
en l'onada metàllica
d'un cel tan pur que sembla
buit de vent i de vida.
En mi, romàs a terra
el teu crit em fa angoixa,
sento el bat de les ales,
pressento l'invisible combat
que t'ageganta,
alosa,
i sol-licita
extrems de voluntat
en contra el huit de l'aire.
Alouette
Alouette
aux couleurs du sang
le chant qui t'ensoleille tend une vitre d'air.
Ton vol peine
sur la vague métallique
d'un ciel si pur qu'il semble vide
de vent et de vie.
Pour moi, resté à terre,
ton cri est une angoisse,
je sens le battement des ailes,
je pressens l'invisible combat
qui te grandit,
alouette,
et qui exige ta volonté extrême
contre ce vide immense.
In Oiseaux / Ocells, © Jacques Brémond, 2009 – p.94-95
Bibliographie
Poésie
- Cerdaneses
- Dignificació del carràs
- La pell del Narcís
- Un bosc sense armes
- L’agost de l’any
- La guatlla i la garba. Perpinyà : Tramontane, 1950
- Tota llengua fa foc. Tolosa : Institut d’Estudis Occitans, 1954
- Ocells per a Cristòfor. França, [s.n.],1961
- Obra Poètica [Introducció de Pere Verdaguer]. Barcelona : Barcino, 1966 [Recull dels poemes escrits entre 1950-1965]
- Poesia Completa. Barcelona : Columna, 1988
- Suite cerdana : poemes amb traducció francesa. Perpinyà : Olivier, 2003
- Paraula fonda / Sens profond [amb André Vinas]. Perpinyà : Olivier, 2003
Prose
- Contalles de Cerdanya. França, 1959. Barcelona : Barcino, 1962
- Col.locació de personatges en un jardí tancat. Perpinyà : CDACC-Chiendent, 1984 / Barcelona : Columna, 1993
- Passos estrets per terres altes. Barcelona : Columna, 1998
Théâtre
- El sol de les ginestes
- El dia neix per a tothom
- 4 sainets. Sallagosa, 1941
- Angeleta. Montpeller, 1952
- La set de la terra. Perpinyà, 1956 ; Palma de Mallorca, 1956 [Pròleg de F. de Borja Moll] ; Mallorca : Moll [Biblioteca Raixa], 1957
- Quatre dones i el sol. Barcelona, 1964 ; Barcelona : Lumen / Generalitat de Catalunya, Departament de Cultura, 1993
- Obra teatral. Barcelona : Barcino / Fundació Jaume I, 1980
Œuvres traduites en français
- Paraula fonda, Sens profond (1997)
- Suite Cerdana, (éditions de l’Olivier, 2000)
- Quatre Femmes et les Soleils (éditions de l’Amandier, 2005)
- Voies étroites vers les hautes terres (Cénomane, 2006)
- Oiseaux – Ocells (Éditions Jacques Brémond, 2009)
Internet
- Sur Wikipedia
- Un portrait sur le blogue à Bonnel
- Une vidéo sur edu3.cat (en catalan)
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