Philippe Soupault naît à Chaville le 2 août 1897, il mourra à Paris le 12 mars 1990. Son premier poème est confié à Apollinaire en 1917 et paraît dans la revue SIC de Pierre-Albert Birot. Ami de Breton et d'Aragon, il découvre le dadaïsme puis fonde le surréalisme avec eux. Il écrit Les Champs magnétiques avec Breton avant d'être exclu du mouvement par ce dernier en 1926. Il dira à Bernard Pivot : « Mon ambition avec le surréalisme était de changer réellement la vie. Ça ne s'est pas fait. »
Il sera aussi romancier, grand voyageur et reporter, critique, essayiste et producteur à la radio.
Mais qui était Philippe Soupault, lui qui se présente ainsi ?
Et vous
Je suis cet homme
dont on dit qu'il est noir
comme la porcelaine
fragile comme l'encre
roux comme un zèbre
doux comme un tigre
et cætera
Ses dents tremblent
Son cœur tourne
ses mains claquent
sa tête bat
et cætera
et cætera
Il a le cœur sur les lèvres
il a le sourire sur la main
les talons dans l'estomac
et cætera
et cætera
Son cousin n'est pas le roi
et cætera et cætera et cætera
et cætera
in Poèmes et Poésies - © Les Cahiers rouges, Éditions Grasset, p.173, 1947
*
Aux Assassins les mains pleines
Suis-je un assassin
Je n'ai qu'à fermer les yeux
pour m'emparer d'un revolver
ou d'une mitraillette
et je tire sur vous
vous tous qui passez près de moi
Je ferme les yeux
et je tire
à perdre haleine
de toute mes forces
et je vous atteins tous
connus et inconnus
tous sans exception
Je ne sais même pas si vous mourrez
je ne vous entends pas
je tire en fermant les yeux
et vous tombez sans un cri
et vous tombez nombreux comme des souris
comme des poux
je vous abats
car je tire dans le tas
vous n'avez même pas le temps de rire
je tue tous ceux qui se présentent
sans même savoir leurs noms
ni apercevoir leurs visages
je tue tout le monde sans distinction
La nuit m'appelle à l'affût
je n'ai même pas besoin de bouger
et toute la compagnie dégringole
je tue aussi un à un
ou deux par deux
selon les nuits
ou lorsqu'il fait très noir
mais je ne me tue jamais
j'écoute les coups de revolver
et je continue
je ne rate jamais personne
et je ne perds pas mon temps
je ne vois pas le sang couler
ni les gestes des moribonds
je n'ai pas de temps à perdre
je tire et vous mourez
ibid, p.185 et 186
*
Le temps qu'on perd
Hier aujourd'hui et demain
tous les jours de la semaine
et les lendemains et la veille
ce matin tout à l'heure avant-hier
j'ai vu une petite fille qui souriait
j'ai cru que j'étais fort que j'étais malin
c'est si facile
j'ai attrapé un moucheron
en plein dans l’œil
j'ai entendu cette voix et la grande cloche
qui répétait et qui disait demain
vous savez ce que c'est
demain rien
et le reste de la vie
Toutes les fleurs de l'Arabie
et les parfums de la pampa
le jour la nuit les enfants d'Édouard
la ronde des lauriers les heures de folie
le cœur en feu la tête lourde
tout le bazar
et puis et puis le miroir
cette grande douche froide
la gueule de bois le lendemain
les anges passaient et se bousculaient
c'était l'aube d'or et de diamant
et les petits juifs naissaient à la douzaine
vous ne me croirez jamais et c'est tant mieux
la solitude dans la foule
quand fleurissent les incendies
c'est le vertige des chevaux de bois et c'est le jour et la nuit
Ah demain à demain
c'était hier c'est après-demain
le rendez-vous des voleurs internationaux
le meeting des menteurs internationaux
l'assemblée générale des tricheurs patentés
c'est aujourd'hui tout à l'heure
toute la vie une cigarette comme un sourire
sur les lèvres une autre cigarette
et les tasses de café en série
un verre de fine ou deux ou trois
jusqu'à demain
Allez allez tout ce que vous me direz je le sais
je me le dis chaque matin et chaque soir
comme vous tous payeurs conseilleurs
marchands de sucre de caramel
mais ne le répétez pas cela n'en vaut pas la peine
ni le temps qu'on use à perdre haleine
enfant du jour enfant des nuits
apprenez à parler avant de vouloir dire
ce que vous pensez et ce que je pense
mais surtout pas de gros mots
ibid, p. 163 et 164
Pour celui qui part à la recherche de Philippe Soupault, il est intéressant de l'écouter faire son autoportrait, lorsqu'il a la soixantaine, dans un poème de 1958.
Wanted for Murder
On recherche un homme nommé Philippe Soupault
bien trop grand pour son âge
1 mètre 98 ou même davantage
cruel comme un tigre aux yeux verts
insaisissable intouchable telle une flamme rouge
à peine une ombre
un reflet à la poursuite de la lumière
coiffé d'un petit nuage ou d'un oiseau de brouillard
ganté de fumée bleue
des ailes aux talons et des bras qui n'en finissent pas
outrageusement parfumé comme un serpent d'eau douce
un sourire de requin des bas-fonds
des étincelles dans les cheveux
et des cauchemars dans les mains
dangereux parce qu'il est toujours armé
dans ses rêves quotidiens
d'une mitrailleuse du dernier modèle
et qu'il n'hésite pas à tirer
et qu'il veut tuer tout le monde
avant d'en finir une bonne fois
dans la poche un petit miroir de poche
et sur les lèvres un sourire à double tranchant
à portée de la main une paire de lunettes
et un lorgnon pour aveugles de naissance
retenu par une ficelle de pendu
une lueur dans les yeux qui ne dit rien qui vaille
qu'on se méfie surtout de ses doigts
longs comme des caresses sans fin
des doigts qui se souviennent et qui aiment
Visez à la poitrine qui est imberbe
et qui bombe comme pour se moquer du monde
sa voix est dangereuse comme un refrain
cherche toujours à disparaître quand on ne l'attend pas
préfère le mot perpétuel au mot éternel
aime passionnément une femme qui est aussi une étoile
Il est armé d'indifférence jour et nuit
ou le prétend pour prétendre qu'il est dangereux
N'hésitez pas à tirer à feu continu
Ne jouez pas au plus fin
Tirez
Tirez de toutes vos forces
et fuyez
car son fantôme vous attend demain
après-demain ou les autres jours
il n'oublie jamais ceux qu'il a détestés
et celle qu'il a aimée et qu'il aime
il n'oublie jamais même pas lui
Prenez garde à celui qui n'a jamais oublié
Récompense pour celui qui le prendra mort ou vivant
un grain de poussière
Soupault est tout entier dans ce texte où il se présente comme une sorte de Don Quichotte, qui refuse de se prendre au sérieux. Derrière sa prétendue cruauté, c'est la générosité qui affleure
Ill. Robert Delaunay, Le poète Philippe Soupault, 1922 - Centre Georges Pompidou
Internet
Contribution de Roselyne Fritel et Jacques Décréau
J'aime bien la vidéo de lui avec Bernard Pivot... Comment il désirait "changer la vie" avec le surréalisme et comment il considère que ce projet ayant échoué lui serait un raté... C'est touchant...
Rédigé par : Laurence Bouvet | 18 septembre 2011 à 22:32