L'exposition Edvard Munch. L’œil moderne a débuté le 21 septembre dernier au Centre Georges Pompidou et se poursuivra jusqu'au 9 janvier 2012 ; elle nous présente une nouvelle facette de son œuvre, des toiles de la première moitié du XXème siècle, fortement influencées par l'irruption de l'image dans la vie quotidienne, où l'artiste saisit son sujet à la façon d'un appareil photographique ou d'une caméra.
Il est amusant de rapprocher d'un de ces tableaux, Cheval au galop, 1910-1912, un extrait d'un poème du poète russe, Ossip Mandelstam, daté de 1923, Celui qui trouve un fer à cheval .
(…)
Par où commencer ?
Tout craque et tangue.
L'air frémit de comparaisons.
Nul mot qui n'en vaille un autre,
la terre gronde de métaphores
et les agiles carrioles,
attelées à des nuées voyantes d'oiseaux épaissies par leur effort,
s'émiettent
à vouloir rivaliser avec les favoris hennissants de l'antique hippodrome.
(…)
Le son vibre encore quand la cause du son a disparu.
Le cheval gît dans la poussière, il hennit, couvert d'écume,
mais la torsion violente de son cou
garde de la course aux foulées gaspillées,
lorsqu'il avait non pas quatre membres
mais autant qu'il y a de pierres sur la route,
quadruplement relayées
à chaque rebond de la terre de son amble brûlant.
Ainsi l'homme qui trouve un fer à cheval
souffle pour en chasser la poussière
et le frotte avec de la laine jusqu'à le faire briller
ensuite
il l'accroche à sa porte
pour lui donner du repos
et ce fer n'arrachera plus d'étincelles au silex.
in La Revue des Belles Lettres, 1981, p.62 – Traductions de Philippe Jaccottet, Louis Martinez et Jean-Claude Schneider
Ce rapprochement texte-tableau, Munch-Mandelstam, le voici brillamment illustré par l'analyse des poèmes de cette période, dont L'homme qui trouve un fer à cheval, que fait Florian Rodari, dans l'introduction à La Revue des belles-Lettres, consacrée au poète Mandelstam : « D'allure généralement lente et grave, les poèmes éclatent à leur surface en déflagrations sonores, se brisent en ellipses foudroyantes, en ruptures qui précipitent l'esprit à la rencontre de propositions nouvelles, révélatrices ; les amples métaphores qui ordonnent le corps sémantique reculent devant l'insistance des couleurs, des parfums, des profils fortement accusés, renaissant plus tard enrichies de ces soudains vertiges ; tantôt la haute pensée qui guide le poète refrène la hâte des sens et la volupté du verbe, tantôt elle lui cède .
Extensible comme une peau le poème semble s'ouvrir, s'évaser en de calmes plages où la langue prend plaisir à s'attarder ou au contraire il s'étrécit en de grondants tumultes que la passion déclenche. L'espace et le temps sont à la fois étendus jusqu'à leurs dimensions mythiques et resserrés dans des concrétions d'instants qui portent l'éternité .
(…) Á travers des images somptueuses, d'autant plus éclatantes, semble-t-il, que s'approchent la nuit et le silence, la langue (ou la peinture) renouvelle le monde parce que, en dépit de ses répétitions et de ses morts, le monde est en perpétuel renouvellement ».
Ces derniers mots pourraient s'appliquer à la démarche de Munch, à l'époque, cherchant à renouveler sa manière, à expérimenter des techniques, à élargir son regard et sa palette. Ils semblent en tout cas rejoindre le sentiment des organisateurs de l'exposition.
Ill. : Cheval au galop, 1910-1912, Munch Museet / Autoportrait, 1895, Munch Museet
Internet
- L'exposition Munch sur le site du Centre Pompidou
Contribution de Roselyne Fritel
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