France 2 a diffusé très récemment une série documentaire, Apocalypse Hitler, retraçant l'ascension vers le pouvoir et ce qui s'en est suivi du dictateur nazi. Cette série pose une question qui reste d'actualité, au su de ce qui se passe encore dans bien des parties du monde : comment devient-on un tel monstre ? Au-delà de cette première question, on peut se demander quelle part d'humanité, qui pourrait être la nôtre, a construit ces personnages. Dans le texte suivant Wislawa Szymborska tente, avec l'humour qui est le sien, d'atteindre à une possible réponse.
Première photo
Mais qui c'est, ce bébé dans son petit maillot ?
C'est le petit Adolf, fils de Madame Hitler !
Peut-être sera-t-il plus tard docteur en droit?
Ou ténor wagnérien à l'Opéra de Vienne ?
C'est à qui ces menotte, noreille, nœnœil, nénez ?
A qui le petit bedon plein de lait ? on l'ignore.
Imprimeur, conseiller, marchand ou prêtre ?
Où vont-elles l'emmener, ces drôles de gambettes ?
Au jardin, à l'école, au bureau, à l'église
où il prendra pour femme la fille du bourgmestre ?
Le bébé, le petit ange, le bout d'chou, mon lapin,
lorsqu'il venait au monde voici un an à peine,
il y avait plein de signes sur la terre et au ciel :
lumière de printemps, pots de fleurs aux balcons,
dans la cour, les beaux airs de l'orgue de barbarie,
heureux présage écrit sur du papier de soie,
la veille de l'accouchement un rêve prophétique :
voir la colombe blanche - une bonne nouvelle,
l'attraper - l'arrivée de celui qu'on espère.
Toc, toc, toc - qui est là ? mais c'est le cœur d'Adolf.
Tétine, couche, bavoir, crécelle - le petit garçon
Dieu merci et touchons du bois, se porte bien,
ressemble à ses parents, au chat dans son panier,
et à tous les enfants des albums de famille.
Mais non, nous n'allons pas pleurer, tout de même ?
Le monsieur sous son drap noir va faire – clic-clac.
Atelier Klinger, Grabenstrasse, Braunau,
Braunau - ville point trop grande, mais digne et décente,
sympathiques voisins, commerces solides,
doux parfum de la brioche, acre du savon gris.
Les chiens ne hurlent pas, le destin se tient coi.
Le professeur d'histoire déboutonne son col
et bâille sur les copies.
In Je ne sais quelles gens, traduction de Piotr Kaminski – © Fayard, 1997
Wislawa Szymborska est née en 1923 et a reçu le Prix Nobel de littérature en 1996. Très connue dans sa Pologne natale, elle est méconnue en France. Pour plus de renseignements voir l'article Wikipedia qui lui est consacré.
PPierre Kobel
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