Claude Aubert est né à Genève en 1915 et est mort dans cette ville en 1972.Il a traduit de l’espagnol des œuvres de poètes espagnols et latino-américains. De ses longs séjours en Espagne, il a rapporté des recueils de souvenirs : « Terres de Cendres » et « Soleil et Venin ». Il a également effectué de nombreux voyages en Allemagne, exploré de grandes villes portuaires.
DIALOGUE
Surprendre les objets dans leur folle matière
quand le ciel est plus fluide que les épis des mers.
Surprendre les objets, les racines des pierres
Faire danser les objets sur l’œuf de sa lumière
quand le soir est plus calme que les oiseaux solaires
Surprendre les objets sur les murs de ses rêves
écouter les paroles très anciennes des chaises
qui creusent dans nos songes d’étranges fondrières.
Mêler tous les objets sur l’aile de ses fenêtres
Quand les doigts du matin s’approchent d’un désert
où l’or, les blés, le fer sont rois de nos paupières.
Toucher tous les objets dans les jours de misère
accueillir les corbeaux sur nos tables de fête
quand les arbres sont princes aveugles de l’hiver.
Contempler les nuages, les abeilles des vitres
les cheveux solitaires cachés dans les armoires
quand l’ombre et la poussière jettent dans nos regards
mille jonquilles noires.
In Le Passager , © Charles Grasset – Genève 1948
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FEMME
Femme nous cherchons la nuit
l’arc chaud de tes hanches
peuplées de brebis
qui calment nos silences.
Reines porteuses de lumière et d’ombre
secrète comme les pierres
capricieuse comme la mer.
Ta chevelure vient accueillir nos peines
et tes bras nous emportent sur ta nuque fraîche
au cœur de tes paupières
dans le cristal de leurs veines.
Femme comme une vaste terre
qui a vécu longtemps les frimas de l’hiver,
tu bois nos rêves
les images de notre enfance
et jusqu’à notre mort
les larmes de nos mères.
In Persiennes – la Baconnière - 1953
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J’ANNONCE
J’annonce l’immense nuit ouverte dans les savanes ;
l’océan de sable, ce prince noir
qui boit la liqueur farouche du silence.
J’annonce les chevelures des femmes
qui se dénouent dans toute ville
sur les écheveaux des fenêtres.
Je bois ces longs philtres marins
de leurs boucles amarrées au sel bleu des nuits
comme une onde perçant la mélancolie
d’un seul errant aveugle, lié aux sources d’ombre –
pour toujours – tel un navire livré aux voraces rencontres
des pics gisant au fond des mers.
J’annonce la conque oreille du dernier visiteur,
son regard fixe les murs
et son histoire n’est qu’une ânesse fatiguée.
J’annonce le poids d’un mot perdu sur une bouche.
In Pierre de touche – Payot Lausanne - 1962
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SOURCE
Fontaine est l’ombre,
Peu à peu le jardin s’approche
et tu le nommes
hirondelle obscure.
Fontaine est l’ombre.
Infime graine est ton cœur.
Il bat sur l’aire de ton silence.
Fontaine est ta voix assoupie
dans l’unique source de la nuit.
Fontaine sont tes yeux
qui cherchent dans le noir
leur propre ressemblance.
Près de la fenêtre ouverte
tant de choses palpitent,
des rêves d’oiseaux sous le lierre,
et la solitude d’un cri perdu.
C’est alors que tu glisses en toi-même.
dans le fruit de ton cœur ouvert
à tous les ruts de la nuit.
Fontaine sont tes yeux
ils cherchent dans le noir
l’arc-en-ciel de ta mémoire.
In Pierre de touche – Payot - Lausanne 1962
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TRAIT PUR
La perfection des tables dans le matin du monde
la langouste, les fruits, l’affection des nuages
quand l’enfant, la navire aimantent le voyage
La perfection des filles sur les routes animales
les sources constellées des épaules et des hanches
quand le désir de l’homme paralyse une étoile.
L’amour dépasse les orages
et la femme, et le lit
sont vierges dans l’espace.
Il n’y a qu’elle sur les vitres du monde
son rire tient dans un verre d’eau
une vague luit sur son sein
plus fine qu’une épingle.
Il n’y a qu’elle sur l’oreiller du ciel
sa voix est une statue de neige.
elle abolit la mort.
In Le Passager – Charles Grasset – Genève -1948
Bibliographie
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Paysages, © Grivet – Genève 1941
-
Découvrir, © Grivet - 1944
-
Le Passager, © Charles Grasset – Genève 1948
-
Couleurs du Monde, © Librairie Les Lettres – Paris 1951
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Persiennes, © la Baconnière -1953
-
Terres de Cendres, proses © Jeune Poésie - Genève 1957
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Pierre de Touche, © Payot – Lausanne 1962
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L’unique Belladonne, © Payot – 1968
- Soleil et Venin, proses © L’Age d’homme -1969
À consulter
- Poètes à Genève et au-delà, par Vahé Godel © Georg. Genève 1966
- Les Saintes Écritures, par Jacques Chessex © B. Galland 1972
- Écriture 10 , Hommage à Claude Aubert © B. Galland 1974
« Claude Aubert, dans le registre modéré qui est le sien pourrait reprendre à son compte le mot fameux de Picasso : « Je ne cherche pas, je trouve… » Toujours, ici l’image l’emporte sur le chant,la discontinuité psychique sur la durée. Surgie au niveau de la conscience, l’image s’étoile en une gamme d’objets sitôt reconnus qu’énoncés, de sensations, de couleurs … »
Gilbert Trolliet (Préface)
De « Découvrir » à « l’Unique Belladonne », (titre merveilleux), la même quête se poursuit : exploration spatiale, plongée dans la mémoire, saisie du réel, « littéralement et dans tous les sens »…sans autre certitude que celle qu’insufflent le sentiment de l’existence, la chaleur des corps, l’appel de la parole. L’écriture est neuve parce qu’elle reste en péril » .
Vahé Godel (Le Journal des Poètes, Bruxelles 1972)
Contribution de Hélène Millien
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