Boris Vian est un personnage emblématique de l’après-guerre. De son vivant il est connu du grand public surtout par les scandales que suscitent sa chanson Le Déserteur, censurée sur les ondes en 1954, et son roman J’irai cracher sur vos tombes, publié en 1947 et interdit à la vente. Quant à ses admirateurs, ils le croisent la nuit en musicien de jazz à Saint-Germain-des-Prés et saluent en lui le romancier de L’Écume des jours, publié la même année.
La Bibliothèque François Mitterrand présente actuellement, jusqu’au 15 janvier 2012, une exposition qui lui rend hommage, en privilégiant son œuvre romanesque et sa passion pour le jazz.
Né à Ville-d’Avray en 1920, il connaît une enfance heureuse et insouciante, dans l’ambiance plutôt bohème d’une famille bourgeoise. Mais des revers de fortune dûs à la crise de 1929, auxquels s’ajoute une maladie du cœur, assombrissent quelque peu son adolescence. Sa santé fragile le dispense de partir à la guerre. Diplômé de l’Ecole Centrale, il travaille sans grand enthousiasme pour différents organismes.
Touche-à-tout de génie, doué pour tous les arts, c’est là qu’il peut exprimer librement ses nombreux talents. Il se révèle tour à tour musicien et critique de jazz, parolier, chanteur, acteur, dramaturge, romancier, nouvelliste, traducteur, chroniqueur, essayiste, librettiste, scénariste, peintre et poète.
La musique est sa grande passion. A 18 ans il est trompettiste dans un orchestre, et devient par la suite l’une des principales figures de Saint-Germain-des-Prés, jouant du jazz dans les caves, au milieu des existentialistes. A partir de 1950, il collabore avec de grands créateurs à l’écriture d’une douzaine d’œuvres musicales (ballets, opéras, comédies musicales).
Quant à sa popularité, il la devra surtout à la chanson, le genre à la mode sur les ondes. Il en compose près de 500, dont une moitié enregistrée de son vivant par les interprètes les plus prestigieux, de Suzy Delair à Henri Salvador, de Juliette Gréco à Serge Reggiani. Ou bien chantées par lui à La Fontaine des Quatre Saisons et aux Trois Baudets. Son style incomparable est un heureux mélange d’esprit libertaire, d’humour grinçant et de poésie. Il rédige également de nombreux écrits sur la chanson, la musique et le jazz, ses chroniques et son érudition contribuant à la diffusion de ce genre encore peu connu en France.
Boris Vian est également auteur dramatique. En avril 1959, juste avant sa mort, il écrit sa 7ème pièce, Les Bâtisseurs d’empire ou Le Schmürz, que Jean Vilar monte quelques mois plus tard au théâtre Récamier. Une pièce d’avant-garde, qui tient à la fois de Kafka (La Métamorphose), de Beckett (Fin de partie) et de Ionesco (Comment s’en débarrasser). Une pièce sur l’angoisse, d’une actualité brûlante.
En 1946, il écrit deux romans, dont le premier, L’Ecume des jours, son chef-d’œuvre, passe inaperçu, malgré le soutien de Queneau et de Sartre. Un roman plein de poésie, de surréalisme merveilleux, d’amour et de musique. Tandis que le second, J’irai cracher sur vos tombes, écrit sous le pseudonyme de Vernon Sullivan, devient le best-seller de l’année. Un récit provocant, plein de sexe et de violence, bientôt censuré, mais qui offre à son auteur une certaine sécurité financière. De plus c’est le premier véritable roman noir de la littérature francophone.
Son ami Raymond Queneau, devenu son père d’élection, et auquel il doit d’être publié chez Gallimard, lui ouvre les portes du Collège de pataphysique, en tant qu’« équarrisseur de première classe », en référence à sa pièce L’équarrissage pour tous, écrite en 1948. Et ses amis pataphysiciens, Prévert, Max Ernst, Ionesco et quelques autres, deviennent comme sa seconde famille.
C’est dans cet esprit, résolument loufoque et humoristique, qu’il écrit ce genre d’article pour la revue Jazz News, en novembre 1949 : Le jazz est dangereux : Physiopathologie du Jazz. « Aussi loin que l’on remonte dans l’antiquité, on peut trouver des exemples de l’action sclérosante et nécrosante du jazz sur la cellule vivante et les macromolécules du cytoplasme. Lorsque les murs de Jéricho s’effondrèrent sous l’action brutale des trompettes de Josué, le traumatisme avait pris place dans l’épaisseur de la pierre : on comprendra qu’il puisse se produire, a fortiori, dans cette matière beaucoup plus délicate qu’est le protoplasma humain des troubles pathologiques comparables à ceux qu’engendrent les passions les plus funestes. Les travaux du docteur René Theillier relatifs aux lésions provoquées par l’agression répétée d’une cause quelconque mettent également en lumière le danger de toute musique à rythme régulier : le jazz en est l’exemple le plus typique, et par ce fait il faudrait que les pouvoirs publics se décidassent enfin à porter le bistouri dans la plaie et à trouver un remède aux psychopathies grandissantes qui semblent s’emparer de nos jeunes contemporains… »
Passionné de cinéma, Boris Vian fonde en 1949, avec Robert Benayoun, la revue cinéphile Saint-Germain-des-Prés. Il est aussi l’auteur d’une vingtaine de scénarios, rassemblés dans un recueil posthume Rue de Ravissantes, dont 7 sont écrits avec son ami Pierre Kast. Destin cruel, Boris Vian meurt pendant une projection privée de J’irai cracher sur vos tombes, film dont le scénario défigure totalement son œuvre.
À sa disparition à l’âge de 39 ans, il laisse une œuvre considérable, sans avoir connu le succès qu’il espérait et sans savoir que la postérité lui rendrait justice, au point d’en faire un auteur classique qu’on étudie aujourd’hui dans les lycées.
Boris Vian, qui ne se considérait pas comme un poète, aurait souri d’apprendre qu’un jour il aurait sa place dans la collection Poètes d’aujourd’hui. Son recueil posthume Je voudrais pas crever rassemble quelques poèmes des années sombres (1951-1952), hantés par le doute, le désespoir et la mort. Mais en fait chez lui la poésie est partout présente, irriguant l’ensemble de son œuvre.
Je veux une vie en forme d’arête
Je veux une vie en forme d’arête
Sur une assiette bleue
Je veux une vie en forme de chose
Au fond d’un machin tout seul
Je veux une vie en forme de sable dans des mains
En forme de pain vert ou de cruche
En forme de savate molle
En forme de faridondaine
De ramoneur ou de lilas
De terre pleine de cailloux
De coiffeur sauvage ou d’édredon fou
Je veux une vie en forme de toi
Et je l’ai, mais ça ne me suffit pas encore
Je ne suis jamais content.
5 décembre 1952
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La vie c’est comme une dent
La vie c’est comme une dent
D’abord on y a pas pensé
On s’est contenté de mâcher
Et puis ça se gâte soudain
Ça vous fait mal, et on y tient
Et on la soigne et les soucis
Et pour qu’on soit vraiment guéri
Il faut vous l’arracher, la vie.
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Quand j’aurai du vent dans mon crâne
Quand j’aurai du vent dans mon crâne
Quand j’aurai du vert sur mes osses
P’tête qu’on croira que je ricane
Mais ça sera une impression fosse
Car il me manquera
Mon élément plastique
Plastique tique tique
Qu’auront bouffé les rats
Ma paire de bidules
Mes mollets mes rotules
Mes cuisses et mon cule
Sur quoi je m’asseyois
Mes cheveux mes fistules
Mes jolis yeux cérules
Mes couvre-mandibules
Dont je me pourléchois
Mon nez considérable
Mon cœur mon foie mon râble
Tous ces riens admirables
Qui m’ont fait apprécier
Des ducs et des duchesses
Des papes des papesses
Des abbés des ânesses
Et des gens du métier
Et puis je n’aurai plus
Ce phosphore un peu mou
Cerveau qui me servit
À me prévoir sans vie
Les osses tout verts, le crâne venteux
Ah comme j’ai mal de devenir vieux.
In Je voudrais pas crever, © Jean-Jacques Pauvert, 1962.
Bibliographie
Boris Vian, auteur prolifique, a laissé une œuvre considérable, dont une grande partie n’a été publiée qu’après sa mort. Sa bibliographie comprend :
- Une dizaine de romans, dont 4 publiés sous le pseudonyme de Vernon Sullivan
- 4 recueils de poèmes
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7 pièces de théâtre
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4 nouvelles
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3 livrets d’opéra
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5 essais sur le jazz
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Près de 500 chansons
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Une vingtaine de scénarios de films
On peut en consulter le détail sur Wikipédia.
Il a également collaboré à plus d’une trentaine de journaux, revues et périodiques, notamment Jazz Hot, de 1946 à 1956, et Les Temps Modernes.
Internet
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Le site officiel consacré à Boris Vian
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L'exposition Boris Vian à la BNF Mitterrand
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Un témoignage de Michelle Vian « Ma vie avec Boris Vian » dans le Nouvel Observateur
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Un entretien accordé par Ursula Vian Kübler au Nouvel Observateur en 2003
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L’œuvre chantée de Boris Vian
Contribution de Jacques Décréau