Roselyne Fritel Au pays d'ailleurs, pointe sèche sur zinc.
Dis-leur…
Un oiseau passe
éclair de plumes
dans le courrier du crépuscule
VA
VOLE
ET DIS-LEUR
Dis-leur que tu viens d'un pays
formé dans une poignée de main
un pays simple comme bonjour
où les nuits chantent
pour conjurer la peur des lendemains
dis-leur
que nous sommes une bouchée
répartie sur sept îles
comme les sept couleurs de la semaine
mais que jamais ne vient
le dimanche de nous-mêmes
VA
VOLE
ET DIS-LEUR
Dis-leur que les marées
ouvrent la serrure de nos mémoires
que parfois le passé souffle
pour attiser nos flammes
car un peuple qui oublie
ne connaît plus la couleur des jours
il va comme un aveugle dans la nuit du présent
dis-leur que nous passons d'île en île
sur le pont du soleil
mais qu'il n'y aura jamais assez de lumière
pour éclairer
nos morts
dis-leur que nos mots vont de créole en créole
sur les épaules de la mer
mais qu'il n'y aura jamais assez de sel
pour brûler notre langue
VA
VOLE
ET DIS-LEUR
Dis-leur qu'à force d'aimer les hommes
nous avons appris à aimer l'arc-en-ciel
et surtout dis-leur
qu'il nous suffit d'avoir un pays à aimer
qu'il nous suffit d'avoir des contes à raconter
pour ne pas avoir peur de la nuit
qu'il nous suffit d'avoir un chant d'oiseau
pour ouvrir nos ailes d'hommes libres
VA
VOLE
ET DIS-LEUR…
Ernest Pépin in Babil du songer, 1997.
Relevé dans l'anthologie : Outremer, Trois océans en poésie, © Bruno Doucey, 2011
Notices
- Roselyne Fritel est née à la Guadeloupe et vit en métropole depuis cinquante ans. Poète, animatrice d'ateliers d'écriture et d'activités de création, elle est depuis toujours une passeuse de poésie ainsi qu'elle sait le faire dans ces pages.
- Ernest Pépin est né à Lamentin (Guadeloupe) en 1950. Professeur de lettres, il a aussi occupé diverses responsabilités aux Antilles, telles que directeur des affaires culturelles au Conseil Général de Guadeloupe. Son œuvre est abondante : romans, nouvelles, livres pour la jeunesse et six recueils de poèmes parmi lesquels : Au verso du silence (L'Harmattan, 1984), Babil du songer (Ibis Rouge, 1997), Dit de la roche gravée (Mémoires d'encrier, 2008). Pour lui, les poètes « inventent des cris de funambules / sur le fil des mots » ou « lancent dans la ville / Des ailes de papillons / Des avions en papier », écrit-il dans un poème dédié aux poètes d'Haïti, en 2010. (Notice des éditions Bruno Doucey)
PPierre Kobel
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