Jean Gédéon a toujours mêlé son travail d'écriture à ceux qu'il réalise en photographie. Photos de voyage, nous y reviendrons, mais également photos qui n'ont d'autre objet que le poétique dont elles sont chargées. À plusieurs reprises Jean a présenté des expositions de ses photos en regard de phrases poétiques qui n'étaient pas initialement destinées à ces images. Patrice Cazelles, animateur du Café-Poésie de Fontenay sous Bois, a souhaité saluer Jean par le texte suivant qui se réfère à une de ses photos.
Rien autour
Rien autour … seuil terminal des parties sans syntaxe … sérielles inorganisées comme : sais-tu que la vitre n’est pas en verre depuis toujours ?… les gens derrière à propos … interrompus … accoudés à coup de quoi … comme quoi dans tout ce qui compte les parties sont invisibles … la somme des accents ne dit rien de la langue … l’oval n’est pas l’oral mais les mots pour le dire forment la bouche … rien autour … constellations = conspirations … opérés du vide, nous sommes maîtres de la hache … chantons: le bois est mort, vive le bois ! … les plus beaux caillots sont ceux qui viennent du cœur … le poète ascensionnel circonfère le son du sens … dirigeable … contre vents et marées … il est pieux … planté sur la jetée … bois flotté mis en taire de mots … sec … étanche étranger … livré au livre sans cesse … Taxi ! Rue des Marronniers SVP ! … les voies collent à la place … c’est un carrefour … rien autour … les arbres ont failli … failli dépasser les bornes … … avant, nous avions des ailes comme les avions … dépassés par nos passions … étions et tant et plus … amis honnis d’un temps qui attenta à nous … plus tard … attentat … séparés des jeux … souffler des arbres comme des bougies … plus rien autour.
Patrice Cazelles - Autour du cliché « souche » de Jean Gédéon
Par ailleurs Jean Gédéon a toujours fréquenté les expositions de peinture et c'est une de ses sources d'inspiration ainsi qu'il l'exprime dans la suite de textes qui suit.
Balthus
Les rues aux volets clos
et leurs secrets
gardiens de fantômes dépareillés
Plus loin
la pénombre lumineuse
de chambres verrouillées
***
de Staël
Le magma des couleurs
malaxées
masse indécise
construit de l'arrière vers l'avant
dans sa course opiniâtre
une explosion chromatique de vibrations
où le rouge des pulsions guerrières
se fond dans le bleu
d'un espoir incertain
***
Schiele
Les paysages tordent leurs branches mortes,
villages et maisons entassés
pierre sur pierre sur l'horizon borné.
Et la chair violente crie
consciente de sa prochaine déliquescence.
Sous-jacent le squelette frémit
affronté à l'ordalie de sa nudité verte.
L'érotisme latent se violente en ses voiles
pour retarder l'instant de l'ultime révélation.
***
Gauguin
Coiffes blanches
en chapelet
sous l'innocence d'un ciel provisoire
pendant que le cheval vert du rêve
s'ébroue
et s'abreuve
au torrent des filles bronze et bleu
dans la luxuriance inhabitée
du jardin d'Eden
***
Matisse
aimait entretenir
avec les danseuses nues
de ses nuits bleues
de collantes relations
et dans des chambres à papiers peints
parsemées de natures vraiment mortes
contempler longuement
par sa fenêtre ouverte
les changeantes lumières des saisons
***
Miro
Entre les signes
le chant du coq
et l'étoile
circulent
ondoyantes
les lignes brisées
du plus grand dénominateur
Sous le ciel noir
de ses symboles
***
Music
Les scènes de calme
et de douceur bucoliques
sur fond de terre de Sienne et d'ocre
Les songes éveillés dans la contemplation
des vapeurs brumeuses de la lagune vénitienne
parsemées de nacré rose et gris
Et puis après
au retour miraculeux de l'usine des morts
les images clouées de l'apocalypse
***
Picasso
Le puzzle convulsif
arc-boute aux quatre coins
ses dislocations
ses visages en morceaux épars
ses membres démembrés
pour d'obscures messes noires
sacrifiant
à ses amoureuses fureurs misogynes
Dans la stridence de couleurs exacerbées
***
Pollock
La surface résiste et ne livre pas le passage
sans gémir
Il faut pour pénétrer
écarter les fils et les lianes,
sur les grands lés tissés du rêveur éveillé,
se tailler un chemin entre les taches
de soleil et d'ombres,
et s'asseoir au bord du format entre les tiges,
pour se laisser envahir par le sourd grondement
de la forêt impénétrable
***
Soulages
L'aveugle oraison
du vide sidéral
dans la nuit du temps arrêté sur ses bords.
À travers toute l'étendue non bornée
du palimpseste
vaste et lisse comme un miroir opaque
sourd
du fond de l'innommable
la promesse d'une lumineuse révélation.
***
Tapiès
Une couche d'argile dans la texture
avec ce qu'il faut de raideur
pour exprimer l'austère
et sur l'ensemble un gris de moire
aux nuances de mer du Nord
la nacre des coquilles s'estompant aux lisières incertaines
où les confins se fondent dans les brumes et le flou
donnant ainsi à l'ensemble une tonalité secrète
ouverte aux silences et à la méditation
***
Turner
L'or du soir de brillance diffuse
a envahi tout l'espace
emmêlant ciel et eau
On y devine avec l'œil du rêve
enfouis dans la ouate vaporeuse
des ports de fortune flanqués de bouges
et des quais désertés
où gîtent avec des clapots
des fantômes crépusculaires
PPierre Kobel
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