De son vrai nom, Anatole BISK naît en 1919 à Odessa, en Ukraine, dans une famille d'intellectuels.
Son père Alexandre, lui-même poète, fut l'ami de Henri de Régnier et de Rilke dont il fut le premier traducteur en russe. Il publia également plusieurs recueils de poésie qui lui vaudront d'être condamné à mort par la Révolution russe.
Alain se souvient que son père passait son temps, le soir, à lui réciter des poèmes. "J'ai connu la poésie avant d'apprendre à lire et à écrire." dira-t-il .
Dès 1920, la famille est contrainte à l'exil, d'abord en Bulgarie, où elle vit d'expédients, le père avec des traductions, et la mère en donnant des leçons de violon.
Et en 1925, ils décident de quitter les Balkans pour Bruxelles, afin qu'Alain, qui a six ans, puisse faire de bonnes études. Il sera un élève appliqué et sérieux, avec une prédilection pour la poésie et une secrète préférence pour Nerval, Baudelaire, et Valéry.
La décennie 1940/1950 va lui permettre de donner libre cours à son goût de l'action. Mobilisé en mai 1940 dans l'armée belge, puis incorporé dans l'armée française, il connaît ensuite, après la défaite, les restrictions dans la France de Pétain, qu'il quitte clandestinement, en 1941, pour New-York où il arrive en 1942.
Il devient secrétaire de rédaction du journal de la France libre où il dirige les pages culturelles. Cela lui permet de rencontrer tous les écrivains et artistes européens réfugiés aux Etats-Unis, dont notamment André Breton qui l'encourage à écrire, lui fait découvrir le surréalisme et publie ses premiers poèmes dans la revue surréaliste "VVV".
Il fréquente, à cette époque, Chagall, Léger, Dali, Mondrian, Bela Bartok, découvre l'œuvre de Saint-John Perse, et correspond avec des écrivains éloignés de New-York : Supervielle qui deviendra un de ses maîtres en poésie, Caillois qui publie certains de ses poèmes, et Max-Pol Fouchet
Mais Alain Bosquet n'est pas homme à rester en retrait. Il s'engage dans l'armée américaine, suit un entraînement et se retrouve en Irlande puis à Londres, au Quartier Général d'Eisenhower où il est chargé de l'étude des défenses côtières allemandes en France occupée. Il débarque en 1944 en Normandie avec les Américains et combat les nazis jusqu'à Berlin.
La guerre terminée, il y restera cinq ans, avec d'importantes responsabilités concernant l'administration militaire de la ville, sa connaissance des quatre langues le favorisant beaucoup, et en 1948, il sera promu directeur adjoint des liaisons alliées.
Puis en 1951, après trente-deux ans de vie d'errances, il se fixe définitivement à Paris, et termine ses études à la Sorbonne,
Il sera présent, cette fois, sur tous les fronts de la vie culturelle et de la littérature : journaliste à Combat, puis au Monde, collaborateur de nombreux périodiques, professeur de littérature française aux U.S.A., enseignant de littérature américaine à Lyon, critique d'art et critique littéraire de renom, producteur d'émissions culturelles à l'O.R.T.F., lecteur de plusieurs maisons d'édition, directeur de plusieurs collections de poésie, animateur de diverses revues poétiques ou culturelles.
Et bien sûr, il continue d'écrire. Outre de très nombreuses traductions en anglais, allemand, et russe, il est l'auteur d'une vingtaine de romans, de plus d'une vingtaine de recueils de poèmes dont certains ont été couronnés de prix prestigieux : Prix Sainte-Beuve, Prix Max Jacob, Prix Chateaubriand, Grand Prix de Poésie de l'Académie Française.
Décédé à Paris en 1998, il aura mené une vie riche d'aventures diverses, conditionnées en grande partie par son époque.
Sa poésie est liée aux événements qui l'ont suscitée : Hiroshima, les guerres chaudes ou froides, les paix de pacotille, les angoisses, les absurdités, les précarités…Une poésie comme un point de rencontre entre la genèse et l'apocalypse, remettant tout en jeu, le poème et son auteur, la nature et le corps, avec leur cortège de contradictions et de défis.
Poésie, encore, qui a pour socle l'héritage paternel, le surréalisme, et l'influence de Supervielle dont l'univers poétique est voisin du sien, avec ses aspects fabuleux et familiers à la fois, son émerveillement cosmique dans un monde fragile et angoissant où l'homme et la nature aspirent à vivre en symbiose.
Mon poème, j'ai beau te congédier
comme un valet qui depuis vingt-cinq ans
vole mes neiges manuscrites;
j'ai beau te promener en laisse
comme un caniche
qui craint de piétiner l'aurore;
j'ai beau te caresser,
un équateur autour du cou
qui dévore une à une mes autres images,
à chaque souffle je recommence,
à chaque souffle tu deviens mon épitaphe
in Quel royaume oublié ?, 1955
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LE MOIS DE MAI
Le printemps est joli, je vous assure :
on dirait un baiser.
Le renouveau de la nature,
puis-je le mépriser
quand l'hirondelle étroite me demande
s'il faut percer l'azur
et, volant par-dessus la lande,
atterrir sur mon mur ?
Le cœur est jeune aussi, je vous parie,
sans en être certain;
même les pierres se marient
dans le petit matin.
A mon réveil, je découvre un poème
qui semble réussi :
d'emblée, je l'adopte et je l'aime,
au prix de quel soucis ?
Je voudrais tant oublier la souffrance
et me dire conquis
par l'univers, que je dispense
de me démontrer qui
pourrait le déranger. La joie soulève
l'océan agité;
le mois de mai n'est pas un rêve
et je dois le chanter.
In Un jour, après la vie, 1984
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Je n'ai pas disparu
car il suffit de se pencher sur la rivière :
ce sont mes mots qu'elle chuchote
avec douceur, les nuits de pleine lune.
Je suis tout près :
regardez le platane,
qui prend mes vieilles attitudes,
celle de la rancœur et celle de l'espoir.
et même le nuage me ressemble,
je vous assure,
avec cette manière de bouder,
puis soudain d'éclater de rire.
Je suis un mort heureux, n'en doutez pas :
j'habite votre pain,
votre doute léger,
le tremblement qui accompagne
vos journées trop remplies.
Je suis une fourmi, une virgule,
un verre d'eau pour vous servir.
Me ferez-vous l'honneur de me croire, à présent
que je suis décédé ?
in Demain, sans moi, 1994
Bibliographie poétique
- Quel royaume oublié?, poésie, Paris, Mercure de France, 1955
- Maître objet, poésie, Paris, Gallimard, 1962.
- Quatre testaments et autres poèmes, poésie, Paris, Gallimard, 1967.
- Cent notes pour une solitude, poésie, Paris, Gallimard, 1970.
- Notes pour un amour, poésie, Paris, Gallimard, 1972.
- Notes pour un pluriel, poésie, Paris, Gallimard, 1974.
- Poèmes, un (1945-1967), poésie, Paris, Gallimard, 1977.
- Le livre du doute et de la grâce, poésie, Paris, Gallimard, 1977.
- Le cheval applaudit, poésie, Paris, Les Éditions Ouvrières, 1978.
- 24 natures mortes ou mourantes, poésie, Paris, Éditions de la Différence, 1978.
- Poèmes, deux (1970-1974), poésie, Paris, Gallimard, 1981.
- Sonnets pour une fin de siècle, poésie, Paris, Gallimard, 1981.
- Un jour après la vie, poésie, Paris, Gallimard, 1984.
- La poésie francophone de Belgique (4 tomes), avec Liliane Wouters, anthologie, Bruxelles, Académie royale de langue et de littérature françaises, 1985-1992.
- Le tourment de Dieu, poésie, Paris, Gallimard, 1987.
- Bourreaux et acrobates, poésie, Paris, Gallimard, 1990.
- Effacez-moi ce visage. 34 poèmes pour Francis Bacon, poésie, Paris, Éditions de la Différence, 1990.
- Poèmes de la 22e année, poésie, Paris, Éditions de la Différence, 1992.
- Demain sans moi, Gallimard, 1994.
- Je ne suis pas un poète d'eau douce. Poésies complètes (1945-1994), poésie, Paris, Gallimard, 1996.
Internet
- Sur Wikipedia
- Sur le site de l'Académie royale de Belgique
Contribution de Jean Gédéon
je trouve passionnant votre travail et l'accès gracieusement offert à tant de poètes si divers, travail étayé d'articles de fond. J'ai retenu en particulier celui d'aujourd'hui sur le site de l'Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique, "Proposition pour l'itinéraire d'un poème", où Alain Bosquet commente en huit pages, pleines d'humour et de finesse, comment nait et s'impose un poème.
Rédigé par : Roselyne Fritel | 18 novembre 2011 à 12:06