Tu voudrais connaître la source
d'où jaillissent mes poèmes
Il n'y a qu'un cratère
parsemé de cailloux
Un œil d'ange déchu
au regard béant
veille nuit et jour
Celui qui s'approche
est dévoré tout cru
Seuls les cheveux seront recrachés
in Le porteur d'ombre. © Phi. Luxembourg, 2001
Âpreté des mots, violence des images, liberté du ton, concision de la forme, le lecteur est saisi, happé, malmené mais jamais indifférent.
Mon poème est une bête de sacrifice
à fourrure noire
De sa gorge incisée
gicle le sang
dont j'enduis le linteau de ma porte
pour écarter tes malédictions
in L'Avaleur de feu © Phi, 2003, p.28
Je n'aime pas les poèmes lâches
qui se bandent les yeux
J'aime ceux
qui éclatent dans vos bouches
qui grincent entre vos dents
….......................................
Ou ceux couchés au soleil
avec les chats
s'étirant et ronronnant
ibid p.30
J'aime la poésie française contemporaine qui s'écrit
sur les différents continents parce qu'elle est écrite
autant avec la tête qu'avec le ventre.
La solidarité avec tous ceux qui s'opposent,
tel est le sens de mon engagement en poésie.
Et, si la poésie ne peut changer le monde,
elle aide à vivre.
écrit-elle dans Poésies de langue française, anthologie présentée chez Seghers, en 2008, par Stéphane Bataillon, Sylvestre Clancier et Bruno Doucey.
Anise Koltz est née le 12 juin 1928 à Luxembourg-Eich, où elle vit encore. De nationalité luxembourgeoise, elle possède des ascendants tchèques, allemands, belges et une arrière-grand-mère maternelle anglaise, musicienne et poète.
Issue d'une famille très cultivée, qui a beaucoup favorisé les rapprochements inter-culturels durant l'entre-deux guerre, elle parle et écrit dans trois langues.
Du fait de l'occupation, elle s'oriente vers la culture allemande, pendant ses années de lycée. Ses deux premiers recueils, parus en 1960 et 1964, sont écrits en allemand. En 1966 ses textes figurent dans la collection bilingue de poètes étrangers, Autour du monde, animée par Pierre Seghers. Par la suite, sont édités quelques recueils bilingues, allemand-français puis, dans les années 1980, l'auteur adopte définitivement le français.
Avec René Koltz, son mari, elle crée en 1963 Les Biennales de Mondorf, qui se veulent « un laboratoire, si modeste soit-il, de la construction d'une société multiculturelle ». Ces Biennales, elle en assume l'organisation jusqu'en 1975 ; plus tard, elles reprendront un nouvel essor de 1995 à 1999, avec les Journées littéraires de Mondorf. ouvertes à tous les genres littéraires. Ces dernières se prolongent aujourd'hui au travers de manifestations organisées par l'Académie Européenne de Poésie, dont elle est vice-présidente.
René, mort prématurément des suites des tortures infligés par les nazis durant l'occupation, reste très présent dans nombre de ses poèmes.
Lorsque mon amour est né
je l'ai lavé
de ma main droite
Lorsque mon amour est mort
je l'ai lavé
de ma main gauche
Sans futur
je subsiste
les deux mains coupées
in L'Avaleur de Feu, © Phi 2003, p.15
Lève-toi et marche, prends le soleil et la lune avec toi. Dans le récit où je t'entraîne, il fera chaud et il fera froid.
Je te ressuscite en dehors de ma mémoire et du vide. Je te forme de mes rêves, de la matière des autres, de mes pensées errantes entre ciel et terre. Tu existes par ma parole.
Lève-toi et marche, je t'accorderai le pain quotidien pour l'amour de l'homme, pour l'amour du blé et des intempéries, l'amour de cette terre qui nous fait naître et toujours nous reprend.
in La lune noircie, © Arfuyen, 2009, p.53 (extrait)
Anise Koltz a collaboré à de nombreuses revues de poésie, traduit divers auteurs, dont, en allemand, Andrée Sodenkamp, poète belge de langue française et Léopold Sédar Senghor.
Sa propre poésie est traduite dans de nombreux pays . Elle a reçu plusieurs Prix prestigieux, dont le Prix Apollinaire en 1998 et en 2008 le Prix de Littérature Francophone Jean Arp pour l'ensemble de son œuvre.
Elle y affirme l'originalité de son style et son insubordination à l'ordre établi social ou religieux.
Poezibao lui consacre, sur son blog poétique, au moins six articles à partir de 2006.
Sa voix, que vous pourrez entendre, grâce à des enregistrements indiqués en annexe, exprime sa conviction et son engagement.
Dans chaque pain
je cherche une lime
pour scier les barreaux
d'une société
qui m'emprisonne
in L'ailleurs des mots, © Arfuyen 2007, p.65
Je ne suis ni une bête de trait
ni un animal de sacrifice
Je ne me soumettrai
ni aux lois
ni à l'église
p.86 ibid
Dieu a tatoué la mort
sur mon dos
À chaque obscurité
ma peau s'étire
hamac emprunté
dans lequel je dors
Un vent défroqué
me berce
de chants hérétiques
ibid, p.48
Nous sommes de la matière des astres –
Comment supporter
de vivre et de mourir
dans cette boucherie anonyme
où nos membres deviendront
des cierges pour l'éternité
ibid, p.68
Les sables dévorent le désert –
je lègue ma carcasse aux rapaces
au vent qui léchera mes os
au soleil qui les croquera
ibid, p.70
La deuxième partie du recueil L'ailleurs des mots illustre son art poétique.
Chaque poème
est une descente aux enfers
Une chute
dans l'inconnu
Une angoisse
de ne pas savoir
si le retour sera possible
in L'ailleurs des mots Arfuyen, 2007, p.26
Pour comprendre la poésie
il faut sept fois
la ruminer
avant que le jour
ne fasse éclater
le gosier des oiseaux
ibid, p.28
Casser le mot
comme une noix
en extraire le noyau
le broyer entre les dents
le recracher au poème
ibid, p.25
Attention –
Je ne suis pas apprivoisée
Mon pelage est doux
comme celui d'un fauve
J'avance sans bruit
à coup de patte
j'achève mon lecteur
ibid, p.30
Mes livres de poèmes
ne sont que solitude
Fauves empaillés
ils ne bougent plus
et fixent la mort
de leurs yeux vitrifiés
ibid, p.34
Le dernier, Je renaîtrai, paru en 2011, évoque, sans les renier, ses racines et regarde l'avenir avec la lucidité, qui est la sienne.
Un ange dévore ma poitrine
voilant la lumière
de ses ailes
sans apaiser ma fièvre d'infini
Il me parle d'une vie ancienne
qui purge en moi
une peine non expiée
in Je renaîtrai. © Arfuyen, 2011, p.65
Je l'écoute
Ce sang qui me traverse
vient de loin
charriant mes ancêtres
le bien de l'ange
le mal de Satan
Je l'écoute tel un fleuve–
chaud comme un jour d'été
il emporte ma chair
quand elle dérive
sur les courbes de la terre
ibid p.66
Sur mon corps
Sur mon corps
des marques d'anciennes civilisations
des débris de langage
Un homme se plante dans ma chair
comme un arbre tourmenté
par la tempête
ibid p.41
Le temps n'appartient qu'au temps
Mais il m'arrive
que je me sente plus mortelle
un jour
qu'un autre
ibid p.45
Dans son n° 54 de novembre 2011, la Revue Diérèse dirigée par Daniel Martinez, publie, à l'occasion d'un hommage à Richard Rognet, quelques textes manuscrits confiés par elle, dont cet inédit :
En lavant mon identité
quelque chose me pousse
imperceptiblement
hors de mon existence
Alors je m'attends
mille siècles plus loin
recomposée pièce par pièce
fragment par fragment
Et pour terminer, ce continuum poétique, en hommage à l'auteur, composé de quelques uns de ses poèmes.
Dans ce corps où je loge
la chair est barbare
le sang navigable
J'avance à tâtons
sur ma ligne de vie
vers tous les possibles
Les dix commandements
s'élèvent devant moi
à quoi bon les suivre
J'avance vers une autre naissance
vers le moment décisif
d'un nouveau salto mortale
in Je renaîtrai Arfuyen, 2011, p.18
Si vous me voyez
ne prononcez pas mon nom
ne m'enfermez pas en me nommant
laissez-moi libre
in L'Avaleur de feu. Éditions Phi, 2003, (extrait) p55
La caravane de mes mots
traverse la page
désert blanc
sans repères
sans points d'eau
in Poésies de langue française, 2008, Seghers, p.61
Dans la poésie
j'écoute le silence
Dans le silence
j'écoute la mort
et le recommencement
in Je renaîtrai © Arfuyen, 2011, p.131
Bibliographie
En allemand
- Le cirque du soleil (allemand-français), Pierre Seghers, 1966
- Den Tag vergraben, Bechtle Verlag, 1969
- Vienne quelqu’un (allemand-français), Rencontre, 1970
- Fragmente aus Babylon, Delp Verlag, 1973
- Fragments de Babylone (allemand-français), Fagne, 1974
- Sich der Stille hingeben (allemand-français), Heiderhoff Verlag,1983.
En français
- La terre monte, © Belfond, Paris, 1980
- Souffles sculptés, © Guy Binsfeld, 1988
- Chants de refus I et II, © Phi, 1993 et 1995
- Le mur du son, © Phi, 1997
- Le paradis brûle, © La Différence, 1998
- La terre se tait, © Phi, 1999
- Le cri de l’épervier, © Phi, 2000
- Le porteur d’ombre, © Phi, 2001
- L’avaleur de feu, © Phi, 2003
- Béni soit le serpent, © Phi, Luxembourg, 2004
- L’ailleurs des mots, © Arfuyen, 2007
- La Lune noircie © Arfuyen, 2009, (premier récit)
- Je renaîtrai, © Arfuyen, 2011
Internet
- Un article de Wikipedia
- Anise Koltz est présente dès les débuts de Poezibao
- Le Centre national de littérature Mersch
- Sur le site de l'Atelier imaginaire
- Sur le site des éditions Arfuyen
- Sur le site du Prix européen de littérature Jean Arp
Pour entendre Anise Koltz, deux liens
Contribution de Roselyne Fritel
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