Le poète H.Leivick , de son vrai nom, Leivick Halpern, nait le 1er décembre 1888 à Ihumen (Biélorussie) et décède à New-York le 12 décembre 1962.
Il participe très tôt aux mouvements révolutionnaires. Il est arrêté, déporté en Sibérie, épreuves qui constitueront la source d’inspiration de sa poésie et prose futures. Il s' évade, traverse l’Europe pour enfin atteindre l’Amérique en 1914.
De 1914 à 1932, il exerce divers métiers, (colleur de papier peint...) pour pouvoir se consacrer à la poésie durant la nuit. Il rencontre alors l’écrivain polonais Opatoshu,(1886-1954), édite avec lui un recueil littéraire et collabore à de nombreuses revues et journaux.
« .La littérature fut pour lui la religion de l’homme moderne et le yiddish le ciment de l’unité nationale. Son inspiration apocalyptique et prophétique trouva son expression dans des poèmes, (« Le loup ») qui témoignent de sa prémonition du nazisme et de la lèpre totalitaire, comme dans ses œuvres dramatiques, (le Golem, Les Chaînes du Messie, la Comédie de la Rédemption), illustrant l’antagonisme irréductible de l’espoir en la délivrance messianique, de la spiritualité et de la violence que toujours il a récusée, vouant son lyrisme à l’exaltation de la vie même lorsque sa vision métaphysique de la mort lui fait entrevoir l’indicible. Son écriture manifeste un sens et un art de la litote, une dignité, une pudeur du tragique vécu, qui l’élèvent au niveau des témoins de l’universel. Conscience de son temps et de son peuple, il imposait le respect par la qualité de sa présence et d’un talent unanimement reconnu qui savait associer dans sa quête spirituelle, l’inquiétude, l’angoisse du néant et la foi dans l’humain.» écrit Charles Dobzynski dans L'Anthologie de la poésie yiddish, ©Poésie / Gallimard, 2000
H.Leivick a su mettre ses propres souffrances en résonance de la poésie et contribuer à ce que celle-ci délivre un message pour la construction du monde. Son œuvre fait de lui un des plus grands poètes yiddish dans le monde.
PERSONNE NE VIENDRA
Dans les bougeoirs brûle la cire
Calme maison.
Une main, les soufflant, renverse
Les lumignons.
Une autre main soudain s'approche
Les rallumant.
La mère porte un grand suaire
Pour vêtement.
Le père est assis, qui ne bouge
Et ne se plaint -
Mais ce qu'il a dit, quand il parle
Nul n'en sait rien.
Quelqu'un surgit , et la seconde
Aussitôt sort -
Une autre bougie renversée,
S'éteint encore.
Par la fenêtre à demi close
Regarde alors
L'astre du matin, blanc et rouge
Le clair d'aurore.
****
LE POIGNARD EST FROID
Le poignard est froid,
Le poignard est solitaire,
Par grappes, des taches
Se sont incrustées, comme des canines
Dans son bleu gelé.
Depuis quand est-il allongé,
Captif de sa gaine?
Et nul de lui qui se souvienne,
Et nul sur lui qui s'apitoie,
Nul qui vienne le réchauffer.
Bonnes gens
Que votre souffle ardent le vête de rosée,
Belles femmes
Palpez-le de vos doigts effilés,
Éprouvez-le de vos ongles taillés.
Tiède,
Gonflez de sang,
Le poignard est froid,
Le poignard est solitaire.
****
LA NUIT EST OBSCURE
La nuit est obscure
Aveugle je suis
Et le vent m'arrache
Mon bâton de buis
Vide est ma besace
Et mon cœur béant
Tous deux – en surcharge
Tous deux – trop pesants.
J'entends que m'effleure
La main de quelqu'un
Donne, et ton fardeau
Portons en commun
Le monde est opaque
Nous marchons à deux
Moi portant le sac
Lui – portant mon cœur.
****
UN MIOCHE
Nuit, lucioles d'orage,
Un tortueux chemin
Je leur cherche un langage,
Je leur cherche un refrain.
Tous les mots s'émerveillent
Du plus petit discours -
Juste créé, s'éveille
Le monde âgé d'un jour.
Un bruit d'orage roule,
La voie lactée se tord
L'odeur du divin moule
Flotte partout encore.
Juste issu de l'abîme
Vers son but, son sens vrai,
tout demeure anonyme -
Sourire, jeu, secret.
La lune hochet-cloche,
Paraît puis déguerpit
Dieu lui-même – un mioche
Joue avec sa toupie.
****
DANS LE FEU
La nuit longue et sombre est en feu,
Ma tête dans les flammes d'un oreiller de feu,
Je respire, j'expire et mon souffle est de feu,
Par les portes s'ouvrant, les fenêtres de feu,
Et ma main qui se tend fait signe dans le feu,
Écrivant dans le feu, par le feu, sur le feu.
J'implore pitié, protection du feu,
Et je prie : sauve-moi, sauve-moi, toi, le feu,
Et je perçois les cris qui flambent dans le feu.
Ton père c'est moi – ton père de feu,
Ta mère c'est moi – ta mère de feu,
Ton père qui de toi fit un juif par le feu,
Ta mère qui t'a nourri d'un lait de feu,
Souviens-tu du berceau suspendu sur du feu
Dans ta chambre, jadis, par une aube de feu,
Ses cordes se tendaient jusqu'au plafond de feu,
Rappelle-toi comment nous t'avons arraché au feu
Et comment avec toi courant à travers feu
Nous avons fui le feu, par le feu, dans le feu.
Nous venons de nouveau te bercer sur le feu,
De nouveau t'enrouler dans un lange de feu,
T'élever de nouveau, te porter dans le feu,
Hors du feu, par le feu, vers le feu.
Ainsi j'entends des cris dans cette nuit de feu
Jusqu'à ce que le jour se lève dans le feu
Et ce qui doit venir, seul le connaît le feu
Qui écrit par le feu, dans le feu, sur le feu.
Traductions de Charles Dobzynski dans L'Anthologie de la poésie yiddish
Bibliographie
- Sous les verrous (1918)
- Chants et Poèmes (1922)
- Neige tombée (Moscou 1925)
- A travers sept morts (1926)
- Abélard et Héloïse (1936)
- Les Chants du Paradis (1937)
- Œuvres complètes (1914-1942 – 2 tomes)
- Poèmes et drames (1940-1942)
- Mahram de Rottembourg (1945)
- A Tréblinka je ne suis pas allé (1945)
- La noce à Fernwald (1949)
- A l'époque de Job (1953)
- Une feuille sur un pommier (1955)
- Chants à l'éternel, Dans les bagnes du tsar (1959)
- En français : H. Leivick, poète yiddish sous la direction de M. Waldman (Gopa 1969)
Internet
- Un article sur Wikipedia (en anglais)
Contribution de Hélène Millien
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