À une vingtaine de kilomètres d’Angers, sur les coteaux du Layon, célèbre pour son vin liquoreux, se trouve un petit village de quelques milliers d’habitants, appelé Rochefort sur Loire.
En dehors de la qualité de son vin, Rochefort a acquis une notoriété qui a pris naissance en 1941.
À cette époque, la pharmacie du village, est tenue par un couple dont le mari, Jean Bouhier âgé de 29 ans, écrit de la poésie. Il a déjà publié en 1937 et 1939 deux recueils intitulés «hallucinations » et «homme mon frère ».
Pour l’heure, il héberge un ami peintre, appelé Penon, avec lequel, chaque soir, il refait le monde au cours d’interminables discussions où il est question de peinture, de poésie, et de philosophie.
Un soir, les deux amis remarquent incidemment, que les peintres se regroupent volontiers en école : école de Paris, école de Barbizon, École de Pont-Aven, école de Fontainebleau, etc.… et que les poètes préfèrent se rassembler sous des vocables en isme : romantisme, symbolisme, surréalisme etc.…Et pourquoi ajoutent-ils, ne pas créer une école de poésie, qui pourrait prendre le nom d’École de Rochefort.
Et c’est ainsi, qu’au fond de ce minuscule village, va naître, à partir d’une boutade, une école poétique, dont la notoriété dépassera très largement, au fil du temps, les frontières de l’hexagone.
En fait, si la réputation se fait très vite, c’est sans doute que cet appel au regroupement correspondait en cette période troublée, à un réel besoin : celui de résister en prenant la parole malgré la censure de Vichy, et celui de trouver une voie originale par rapport au surréalisme dont la présence devenait un peu contraignante.
Jean Bouhier, dans l’introduction à son « anthologie des poètes de Rochefort » écrira :
« En 1941, nous étions de jeunes hommes encore inexpérimentés mais en pleine force. Nous avions d’abord le désir de vivre alors que la mort rôdait autour de nous. Déjà, nous étions ouvertement menacés de la prison ou du peloton d’exécution…Nous avions de la générosité en même temps qu’une intransigeance. Nous n’acceptions pas au plus profond de nous-mêmes, un pouvoir servile.
Les interdits se multipliant, il était fatal que nous devenions des révoltés, que nous soyions des hommes du refus. La poésie était notre raison de vivre. »
Bouhier, Manoll, Cadou, Béalu, Bérimont, Rousselot illustrés par Roger Toulouse
Une équipe de base va se constituer avec Cadou, Bouhier, Manoll, Béalu Bérimont, Rousselot, Fombeure et se définir à travers un texte théorique rédigé par Bouhier « Position poétique de l’École de Rochefort » qui élève la poésie au niveau d’une morale et qui en fait une réponse à la médiocrité, et à la cruauté du temps.
R.G. Cadou, dans ses «précisions sur l’École de Rochefort » ajoutera :
« Avant tout, vous autres, ne soyez pas dupes ! L’École de Rochefort n’est pas une école, tout au plus une cour de récréation… L’écolier siffle, les mains dans les poches, le dos tourné au professeur »
Une revue intitulée « Les cahiers de Rochefort » paraîtra relativement régulièrement jusqu’à la fin de la guerre, malgré des difficultés croissantes concernant le rationnement du papier et les ordonnances de 1942 qui en réglementaient l’attribution et permettaient surtout d’exercer une censure sur l’écrit.
Les cahiers paraîtront donc sans visa de censure, ce qui constituera, pour ses responsables, une façon de résister à l’occupant et au gouvernement de Vichy.
La petite équipe du début, s’agrandira peu à peu, au fur et à mesure, de la parution des cahiers, chaque poète publié conservant son style, sa personnalité, mais chacun ayant en commun l’Ouest de la France, l’éducation laïque, des origines rurales, des tendances décentralisatrices, et la même manière de penser l’avenir.
A la fin de la guerre, Jean Bouhier fermera l’École, considérant son rôle terminé. Et en 1951, après la mort de Cadou, les amis anciens tels que Rousselot, Bérimont, Manoll, et des nouveaux comme Brindeau ou Wellens insisteront pour que la revue réapparaisse. Ce qui sera fait, jusqu’en 1959, avec des publications de textes d’anciens et de plus jeunes.
Au Gué du Loir (Loir et Cher) le 19 Avril 1959
Debout de gauche à droite : Jean Rousselot, Marcel Béalu, Roger Toulouse, Luc Bérimont, Michel Manoll
Assis : Paul Chaulot, Jean Jégoudez, Jean Bouhier, Sylvain Chiffoleau
Depuis, l’Université a découvert l’École de Rochefort, et particulièrement la fac de lettres d’Angers. où des colloques ont été organisés, ainsi que des soutenances de thèses de doctorat.
Une cinquantaine de poètes a été publiée dans les cahiers, dont les plus connus sont : Jean Bouhier, René Guy Cadou, Jean Rousselot, Marcel Béalu, Eugène Guillevic, Michel Manoll, Luc Bérimont, Maurice Fombeure, Jean Follain, Max Jacob, Serge Wellens.
Luc Bérimont a été présenté dans La Pierre et le Sel du 06/09/2011, Serge Wellens le 10/11/2011, les autres poètes cités ci-dessus, feront l’objet de présentations individuelles dans les prochains numéros du blog.
Internet
- Un article sur Wikipedia
- Un historique de l'École de Rochefort par Serge Wellens
- Les Cahiers de Rochefort aux Éditions du Petit Véhicule
Contribution de Jean Gédéon
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