Rabindranath Tagore est né en 1861 dans une famille brahmane de Calcutta qui avait considérablement prospéré au fil du temps dans les affaires et la banque, en traitant notamment avec les Anglais de la British East India Company.
Son père, une des figures emblématiques de la société bengali était un savant à l’esprit ouvert, bon connaisseur des philosophies occidentales, et en même temps admirateur du réformateur social et religieux Rammohan Roy, initiateur, à la fin du 19°siècle, d’un important mouvement de réforme religieuse.
R. Tagore commença par fréquenter une des écoles où l’enseignement était donné en bengali, puis il fut envoyé dans plusieurs écoles anglaises dont l’enseignement lui déplut, mais qui lui permirent de maîtriser par la suite le sanscrit, le bengali et l’anglais. A l’âge de dix-sept ans, son père l’envoya poursuivre ses études à Londres, où il passa l’examen de fin d’études secondaires, suivi d’une inscription à l’University College.
De retour en Inde, il se maria puis partagea les responsabilités religieuses de son père ainsi que l’administration des propriétés familiales.
Ce travail d’administrateur lui permit de se frotter à la réalité de la misère économique et sociale des paysans de son pays :« Nos prétendues classes responsables vivent dans l’aisance parce que l’homme ordinaire n’a pas encore compris sa situation. Voilà pourquoi le propriétaire le bat, le prêteur sur gages le tient à la gorge, le contremaître le maltraite, l’agent de police l’escroque et le magistrat lui fait les poches. » (Travail social, 1915, traduit en anglais par B.N. Ganguli pour le séminaire sur le facteur humain dans la croissance de l’économie rurale, dans Visva Bharati Quaterly, vol.VII, p. 19 à 30.)
Ne se contentant pas de paroles il eut à cœur d’aider concrètement cette population misérable en créant des écoles, des coopératives, des hôpitaux, et en militant pour que chacun au niveau local puisse tendre vers l’autosuffisance, en y introduisant des méthodes d’agriculture et d’élevage :« La pauvreté naît de la désunion et la richesse de la coopération. Quel que soit l’angle sous lequel on se place, telle est la vérité fondamentale de la civilisation humaine. » (ibid)
Doté d’un exceptionnelle vitalité, il put concilier ces activités de gestion avec une créativité littéraire foisonnante : il sera l’auteur de cinquante ouvrages de poésie, de deux mille chansons dont il a également écrit la musique, de pièces de théâtre, de romans, de nouvelles, d’opéras et de nombreux essais sur l’art, la philosophie, et la politique. Et il sera aussi l’auteur de nombreux dessins, croquis et peintures.
Il trouvera aussi le temps de faire plusieurs voyages en Europe, notamment en 1912 au Royaume-Uni où certains de ses poèmes avaient déjà retenu l’attention du poète W. B. Yeats, et où sa singulière personnalité fit une telle impression sur les intellectuels et artistes britanniques qu’ils l’acceptèrent immédiatement comme un des leurs et un grand poète.
Il recevra, en 1913, le prix Nobel de littérature qui lui vaudra une renommée internationale
Il voyagera par la suite sur tous les continents pour des cycles de conférences destinées, notamment, à faire sortir son pays de son isolement, à le faire émerger comme nation et où il parlera inlassablement de paix, de non-violence et d’unité entre les hommes
Épuisé et malade, il meurt le 7 août 1941, jour de son quatre-vingtième anniversaire. Quelques heures auparavant, il avait dicté son dernier poème.
Parmi la très importante production poétique de Tagore qu’il a initialement écrite en bengali, certains de ces textes ont été traduits par ses soins en anglais et remaniés en versets afin d’être plus accessibles aux étrangers. Son recueil L’Offrande lyrique, publié par Gallimard en 1914, a été traduit en français et préfacé par André Gide.
On trouve dans les versets de ce recueil, qui est malheureusement le résultat d’une double traduction qui en dénature vraisemblablement l’éclat originel, une inspiration mystique, mélange de sensualité charnelle et spirituelle qui pourrait s’apparenter quelque part au Cantique des Cantiques ou à certains écrits de nos mystiques occidentaux.
Ainsi, dit-il, Dieu n’est pas dans les ors du temple mais dans la misère humaine.
Quitte ton chapelet, laisse ton chant, tes psalmodies. Qui crois-tu honorer dans ce sombre coin solitaire d’un temple dont toutes les portes sont fermées ? Ouvre les yeux et vois que ton Dieu n’est pas devant toi.
Il est là où le laboureur laboure le sol dur ; et au bord du sentier où peine le casseur de pierres. Dépouille ton manteau pieux ; pareil à Lui, descends aussi dans la poussière ! (…)
Verset 11 page 39
Il dit aussi que la divinité est en chacun de nous, veillant dans l’ombre de toutes nos facettes masquées, cette façon d’envisager le sacré s’apparentant ainsi à une sorte de panthéisme :
Mon propre nom est une prison, où celui que j’enferme pleure. Sans cesse je m’occupe à en élever tout autour de moi la paroi ; et tandis que, de jour en jour, cette paroi grandit vers le ciel, dans l’obscurité de son ombre je perds de vue mon être véritable.
Je m’enorgueillis de cette haute paroi ; Par crainte du moindre trou, je la replâtre avec de la poudre et du sable ; et pour tout le soin que je prends du nom, je perds de vue mon être véritable.
Verset 29 page 57
Et semblable à un enfant, il ajoute que l’homme joue innocemment avec ses hochets, dans l’ignorance des lendemains :
Sur le rivage des mondes infinis, des enfants s’assemblent. L’azur sans fins est immobile au-dessus d’eux ; près d’eux le flot sans repos retentit. Sur le rivage des mondes infinis, des enfants s’assemblent avec des danses et des cris.
Ils bâtissent leurs maisons avec du sable ; ils jouent avec des coquilles vides. Avec des feuilles fanées, ils gréent leurs barques et, en souriant, les lancent sur la mer profonde. Les enfants tiennent leurs jeux sur le rivage des mondes.
Ils ne savent pas nager ; ils ne savent pas jeter les filets. Les pêcheurs de perles plongent, les marchands mettent à la voile ; les enfants cependant rassemblent les galets, puis se dispersent. Ils ne cherchent pas de trésors cachés, ils ne savent pas jeter les filets.
La marée monte avec un rire et le pâle éclat de la plage sourit. Les vagues chargées de mort chantent aux enfants d’incertaines ballades , comme chante une mère qui berce son bébé. Le flot joue avec les enfants et le pâle éclat de la plage sourit..
Sur le rivage des mondes infinis, des enfants s’assemblent. La tempête erre dans le ciel sans routes, les navires sombrent dans la mer sans sillages, la mort rôde et les enfants jouent. Sur le rivage des mondes infinis se tient la grande assemblée des enfants.
Verset 60 page 93
Les derniers versets du recueil sont regroupés sur le thème de la mort :
Lorsque je m’en irai d’ici, que ceci soit mon mot de partance ; que ce que j’ai vu est insurpassable. J’ai goûté au miel secret de ce lotus qui s’étale sur l’océan de la lumière, et ainsi j’ai été béni. Que ce soit mon mot de partance (…)
Verset 96 page 131
Le second recueil de Tagore intitulé Le Jardinier d’amour, publié par Gallimard, est d’inspiration tout à fait différente. Publié en Inde en 1913, année de son prix Nobel, le ton d’ensemble de l’ouvrage est bucolique :
(…) Les fleurs du manguier tombaient sur la route du village et une à une les abeilles venaient bourdonner autour d’elles.
Du côté de l’étang la grille du temple de Shiva était ouverte et l’adorateur avait commencé ses chants
La jarre sur vos genoux, vous trayiez la vache.
Je restai debout avec ma cruche vide (…)
Verset XIII, Le Jardinier d’amour, page 46
ou sentimental :
Nos mains s’enlacent, nos yeux se cherchent. Ainsi commence l’histoire de nos cœurs.
C’est une nuit de mars éclairée par la lune ; l’exquise odeur du henné flotte dans l’air ; ma flûte est à terre abandonnée et la guirlande de fleurs est inachevée.
Cet amour entre toi et moi est simple comme une chanson (…)
Verset XVI, page 51
Et pour conclure, comme l’a écrit Romain Rolland, à son propos : « Rabindranath Tagore est pour nous le symbole vivant de l’Esprit, de la Lumière et de l’Harmonie – le chant de l’Éternité s’élevant au-dessus de la mer des passions déchaînées.» (Sâdhanâ, © Albin Michel) – 4° de couverture et p. 119)
Bibliographie poétique sélective, en français
Chez Gallimard, dans sa collection Poésie :
- L’Offrande lyrique suivi de La Corbeille de fruits, 1971
- Le Jardinier d’amour, La Jeune Lune, 1980
Contribution de Jean Gédéon
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