Forough Farrokhzad est née à Téhéran en 1935 et morte accidentellement en 1967. Elle publie 3 premiers livres de facture classique, La Captive (1955), Le Mur (1956), La Rébellion (1958) qui choquent cependant parce qu'ils affirment déjà qu'elle veut « être le cri de sa propre existence. ». Après un divorce et l'éloignement forcé de son enfant, à 27 ans, en 1962, elle réalise un film intitulé "Khane siah ast" (La maison est noire) dans la léproserie de Baba Baghi, près de Tabriz, et adopte le fils d'un couple de lépreux. Avec la publication de Une autre naissance (1964), sans doute son œuvre la plus importante, et Ayons foi en l’approche de la saison froide (posthume), elle affirme sa modernité et se libère de la tradition poétique iranienne.
Forough Farrokhzad est une des plus belles voix de la poésie iranienne. Sa vie même, - autant que son œuvre -, l'a rendue célèbre. C'est la première poétesse iranienne contemporaine à s'exprimer en tant que femme avec le courage que cela implique.
Révolte
Ne scelle pas mes lèvres au cadenas du silence
Car j'ai dans le cœur une histoire irracontée
Délivre mes pieds de ces fers qui les retiennent
Car cette passion m'a bouleversée
Viens, homme, viens, égoïste
Viens ouvrir les portes de la cage
Toute une vie, tu m'as voulue en prison
Dans le souffle de cet instant, enfin, délivre-moi
Je suis l'oiseau, cet oiseau qui depuis longtemps
Songe à prendre son envol
Mon chant s'est fait plainte dans ma poitrine serrée
Et dans les désirs, ma vie a reflué
Ne scelle pas mes lèvres au cadenas du silence
Car il me faut dire mes secrets
Et que je fasse entendre au monde entier
Le crépitement enflammé de mes chants
Viens, ouvre la porte, que je m'envole
Vers le ciel limpide du poème
Si tu me laisses m'envoler
Je me ferai rose à la roseraie du poème
Mes lèvres sucrées par tes baisers
Mon corps parfumé à ton corps
Mon regard avec ses étincelles cachées
Mon cœur plaintif, par toi rougi
Mais ô homme, homme égoïste
Ne dis pas c'est une honte, que mon poème est honteux
Pour ceux dont le cœur est enfiévré, le sais-tu,
L'espace de cette cage est étroite, si étroite ?
Ne dis pas que mon poème était péché tout entier
De cette honte, de ce péché, laisse-moi ma part
Je te laisse le paradis, ses houris et ses sources
Toi, laisse-moi un abri au cœur de l'enfer
Livre, intimité, poème, silence
Voilà pour moi, les sources de l'ivresse
Qu'importe de n'avoir pas voie au paradis
Puisqu'en mon cœur est un paradis éternel !
Lorsque dans la nuit, la lune danse en silence
Dans le ciel confus et éteint
Toi, tu dors et moi, ivre de désirs inassouvis
Je prends contre moi le corps du clair de lune
La brise m'a déjà pris des milliers de baisers
Et j'ai mille fois embrassé le soleil
Dans cette prison dont tu étais le geôlier
Une nuit, au profond de mon être un baiser me fit vaciller
Rejette loin de toi l'illusion de l'honneur, homme
Car ma honte m'est jouissance ivre
Et je sais que Dieu me pardonnera
Car il a donné au poète un cœur fou
Viens, ouvre la porte, que je déploie mes ailes
Vers le ciel limpide du poème
Si tu me laissais m'envoler
Je me ferais rose à la roseraie du poème
In Côté femmes d'un poème l'autre, © Espace-libre, 2010
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Toute mon existence est un verset obscur
Qui se répète et te ramène
À l'aube des éclosions et des croissances perpétuelles
Dans ce verset
Je t'ai soupiré, j'ai soupiré
Dans ce verset
Je t'ai greffé à l'arbre, à l'eau, au feu
La vie, c'est peut-être
Une longue rue où passe chaque jour une femme avec un panier
La vie, c'est peut-être
Une corde avec laquelle un homme se pend à une branche
La vie, c'est peut-être un enfant qui revient de l'école
La vie, c'est peut-être allumer une cigarette
Dans la langueur qui s'étire entre deux étreintes
Ou c'est l’œil distrait d'un passant
Qui à un autre dit en levant son chapeau avec un sourire banal bonjour
La vie c'est peut-être
Le moment sans issue où mon regard se dissout dans tes pupilles
Et à cette sensation je mêle la perception de la lune et des ténèbres
Dans une chambre à la mesure d'une solitude
Mon cœur, à la mesure d'un amour
Se tourne vers les raisons naïves de son bonheur
Vers le jeune arbre que tu as planté dans notre jardin
Vers les canaris qui chantent à la mesure d'une fenêtre
Ah…
C'est mon sort
C'est mon sort
Mon sort, c'est un ciel qu'un rideau m'empêche de voir
Mon sort, c'est descendre un escalier désert
Et rejoindre quelque chose dans le pourrissement et l'abandon
Mon sort, c'est marcher nostalgique sur les terres du souvenir
Et défaillir dans la tristesse d'une voix me disant :
J'aime tes mains
Je plante mes mains dans le jardin
Et je sais, je sais, je sais, je vais verdir
Et dans mes paumes violacées d'encre
Les hirondelles vont venir pondre
J'accroche deux boucles de cerises rouges à mes oreilles
Je colle des pétales de dahlia sur mes ongles
Il existe une rue
Où des garçons les cheveux en bataille
Le cou mince et les jambes maigres
Étaient amoureux de moi
Et pensent encore aux sourires innocents d'une feuille
Qu'une nuit le vent a emporté
Il existe une rue que mon cœur a volé
Aux quartiers de mon enfance
Forme en voyage sur la ligne du temps
Avec une forme féconder la ligne sèche du temps
La forme d'une image en conscience
Qui revient de la fête du miroir
Et c'est comme ça
Que quelqu'un meurt
Et quelqu'un reste
Aucun pêcheur ne trouvera de perle dans un pauvre ruisseau
Coulant au creux d'un fossé
Moi
Je connais une petite fée triste
Qui habite un océan
Et qui souffle son cœur dans une flûte en roseau
Si doucement, doucement
Une petite fée triste
qui la nuit meurt d'un baiser
Et d'un baiser au matin renaîtra
In Seule la voix demeure, p.89
Bibliographie
- Seule la voix demeure, © Coédition L'Oreille du loup, Universitad Autonoma de Sinaloa, 2011
Version trilingue. Traduction en espagnol de Myriam Montoya, traduction française de Stéphane Chaumet, avec la collaboration de Jaleh Chegeni,
Internet
- Un site consacré à Forough Farrokhzad (en anglais)
- Un article sur Wikipedia
- Sur le site de la Revue de Téhéran
PPierre Kobel
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