Le XIXe siècle n’a guère rendu justice au talent de Gérard de Nerval, qui l’a considéré comme un écrivain mineur, doux et gentil rêveur, dont les œuvres les plus ambitieuses, comme les Chimères, sont restées, à cette époque, méconnues et incomprises.
Le XXe siècle, plus réaliste, a rendu à ce poète, la place qu’il mérite, une des toutes premières.
Ses primes années sont marquées par la mort de sa mère, survenue en Silésie, où elle avait suivi son époux, médecin militaire de Napoléon.
Recueilli par son grand-oncle maternel, il vit dans le Valois, jusqu’en 1814, puis il est récupéré par son père, à Paris, où il fait ses études secondaires au collège Charlemagne.
L’été, il passe ses vacances en province, dans sa famille paternelle ou maternelle. C’est, au cours d’un de ces séjours qu’il tombe amoureux d’une de ses cousines sans être payé de retour. Première désillusion sentimentale, mais qui ne sera pas la dernière. Et comme tout négatif a son revers, il semble que ces insuccès sentimentaux aient contribué, dans une certaine mesure, à nourrir de délicate nostalgie son inspiration poétique.
Ainsi les trois quatrains suivants :
Une allée du Luxembourg
Elle a passé la jeune fille
Vive et preste comme un oiseau :
A la main une fleur qui brille,
A la bouche un refrain nouveau.
C’est peut-être la seule au monde
Dont le cœur au mien répondrait,
Qui venant dans ma nuit profonde
D’un seul regard l’éclaircirait !
Mais non, ma jeunesse est finie…
Adieu, doux rayon qui m’a lui,
Parfum, jeune fille, harmonie…
Le bonheur passait, il a fui !
In Odelettes, Œuvres complètes, © Poésie/Gallimard, 1989
Ses études terminées, il mène à Paris une vie frivole et insouciante, et, en compagnie de Théophile Gautier, son condisciple de Charlemagne, fréquente le « cénacle » de Victor Hugo, participe à la bataille d’Hernani et se mêle à la bohème artiste des « Jeune- France ».
En 1834, il reçoit un petit héritage, qui lui permet de s’installer, impasse du Doyenné, dans un hôtel, qu’il meuble avec goût, et où il traite son groupe d’amis avec munificence.
C’est à cette époque, qu’intervient, dans sa vie sentimentale, une deuxième désillusion. Parmi les amis fréquentant son hôtel, il remarque une jeune comédienne et chanteuse, Jenny Colon, à qui il voue d’abord, une admiration silencieuse, puis plus active. Il s’ensuit une idylle, mais bien trop courte, au gré du soupirant, la belle préférant au romanesque, un mariage de raison avec un flûtiste de l’Opéra-comique.
Le tonneau des Danaïdes ayant parfois un fond, l’héritage est bientôt croqué, et le poète doit, pour survivre, faire des travaux d’écriture alimentaire pour des libraires, des journaux ou des directeurs de théâtre.
C’est à cette époque, qu’il commence à se passionner, de façon un peu délirante, pour les sciences occultes, alchimie, pythagorisme, pouvoir des nombres, harmonie des couleurs etc.…
Vers dorés
Homme, libre penseur ! te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toutes choses ?
Des forces, que tu tiens ta liberté dispose,
Mais de tous tes conseils l’univers est absent.
Respecte dans la bête un esprit agissant : ...
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ;
Un mystère d'amour dans le métal repose :
"Tout est sensible ! " - Et tout sur ton être est puissant !
Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t’épie :
À la matière même un verbe est attaché…
Ne la fais pas servir à un usage impie !
Souvent dans l'être obscur habite un Dieu caché ;
Et comme un œil naissant couvert par ses paupières,
Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres !
In Les Chimères, Œuvres complètes, © Poésie/Gallimard, 1989
Et comme Rimbaud, un peu plus tard, il part, en 1843, faire un voyage en Orient, d’Egypte au Liban, s’intéressant au passage à la religion des Druses.
A son retour, son esprit exalté le voue délibérément aux recherches ésotériques et l’amène à collaborer à des revues occultistes.
Dès 1841, cependant, il avait dû être interné pour troubles mentaux dans la clinique du docteur Blanche. Les crises vont se succéder, à intervalles plus ou moins rapprochés, avec des périodes de répit, au cours desquelles, conscient de son état, il travaille d’arrache-pied. Les deux dernières années de sa vie seront les plus fécondes.
Et, comme le raconte Marcel Jullian dans son anthologie de la poésie française : « Dans la nuit du 25 au 26 janvier 1855, le thermomètre descend à –18°. Gérard marche dans la sinistre rue de la Vieille- Lanterne. Le froid pénètre ses os et dans son cerveau malade passent des éclairs de feu et de désespérance. Il monte sur le rebord d’une fenêtre munie de barreaux de fer, sort une tresse de sa poche, l’enroule sur un des barreaux, fait un nœud autour de son cou, et sans quitter son chapeau, se laisse glisser.
L’avant-veille, il avait écrit à une parente, chez laquelle il devait coucher : « Ne m’attends pas ce soir, car la nuit sera blanche et noire. »
Dans une des poches de son manteau, on trouvera le manuscrit d’Aurélia, dont une phrase dit ceci : « Je n’ai pas pu percer, sans frémir, ces portes d’ivoire ou de corne qui nous séparent du monde visible »
De cette vie chaotique, et psychiquement fragile, Gérard de Nerval a su transcender les blessures affectives marquées d’abord par l’absence de la mère, puis par les déboires sentimentaux, pour en faire, entre rêve et réalité, vie quotidienne et au-delà, une œuvre étonnante, dense, pure, douloureuse, à la fois sombre et lumineuse, au style limpide.
Les Surréalistes ne s’y sont pas trompés en le reconnaissant comme un précurseur et la figure emblématique du poète maudit, malmené par la société et incapable d’y trouver sa place.
Nerval, un de nos grands poètes romantiques, dans la lignée d’André Chénier.
El Deschidado
Je suis le ténébreux, — le veuf, — l’inconsolé,
Le prince d’Aquitaine à la tour abolie :
Ma seule étoile est morte, — et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du tombeau, toi qui m’as consolé,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
Et la treille où le pampre à la rose s’allie.
Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la reine ;
J’ai rêvé dans la grotte où nage la sirène...
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la sainte et les cris de la fée.
In Les Chimères, Œuvres complètes, © Poésie/Gallimard, 1989
Et enfin l'incontournable mais si belle…
Fantaisie
Il est un air pour qui je donnerais
Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets !
Or chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit…
C’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre
Un coteau vert que le couchant jaunit,
Puis un château de brique à coins de pierre,
Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière,
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs en ses habits anciens,
Que dans une autre existence peut-être,
J’ai déjà vue…et dont je me souviens !
In Odelettes, Œuvres complètes, © Poésie/Gallimard, 1989
- Napoléon et la France guerrière, élégies nationales (1826)
- Napoléon et Talma, élégies nationales nouvelles (1826)
- L'académie ou les membres introuvables (1826) , comédie satirique en vers
- Le Peuple (1830), ode
- Nos adieux à la Chambre des Députés ou « allez-vous-en, vieux mandataires » (1831)
- Odelettes (1834), dont Une allée du Luxembourg mais aussi "Le réveil en voiture" (1832)
- Les Chimères (1854)
- Sur Wikipedia, une bio-bibliographie complète
- Encyclopédie de l’Agora
- Gérard de Nerval, d’orient et d’occident
Contribution de Jean Gédéon
Rarement un écrivain est si bien inspiré que lorsqu'il se raconte. Le pigeon nuisance du poète a raison de dire : Mon voyage dépeint vous sera d'un plaisir extrême. Je dirai : J'étais là ; telle chose m'advint : Vous y croirez être vous-même.
Anatole France
www.avipur.com
Rédigé par : Gael | 14 novembre 2016 à 13:57