La maladie emportait Xavier Grall, il y a trente ans, à l'âge de cinquante et un ans. Si le souffle manqua à ses poumons pour écrire encore, son œuvre n'en manque pas et, au-delà du temps, donne encore de la voix.
Il est né en 1930 à Landivisiau (Finistère), élevé dans l'idée de la France par son père. Il fait des études « rebelles » avant d'entrer au centre de formation des journalistes à Paris. Il débute sa carrière dès 1952 à La Vie Catholique qu'il ne quittera jamais.
Il effectue son service militaire en 1953. Mais c'est le rappel en Algérie, trois ans plus tard qui marquera sa prise de conscience contre une France colonialiste et démystifiée. Entre temps il a épousé Françoise Jousse avec qui il aura cinq filles, « ses divines ».
Il collabore également au journal Le Monde, à l’hebdomadaire Témoignage chrétien, aux Nouvelles Littéraires, à Croissance des Jeunes Nations, au mensuel Bretagne… Il se fait biographe de Mauriac, Bernanos, James Dean ou Rimbaud.
Sans cesser ses activités de journaliste, notamment ses billets hebdomadaires à La Vie Catholique, il part s'installer en Bretagne avec sa famille, en 1973, non loin de Pont-Aven. Il y bâtit une œuvre de romancier et surtout de poète qui fera de lui, qui ne parlait pas le breton, un des écrivains majeurs de la littérature bretonne de langue française.
(…)
Ô Bretagne, ma demeure
il faut que survive
le kyrie dans ton âme de sel
idem il faut jeter au ciel
la drisse
des pietà et des miséricordes
idem il faut poursuivre les troménies
dans la croyance des bocages
idem relire les portulans
il le faut
idem faire son évangile
de la pensée du soleil
il le faut.
Et cependant, mère, aber
dans le suaire des grèves
roulent
des monceaux de chiens et d'enfants.
(…)
Mais moi je te chante, mon pays
avec tes morts et tes vivants
et tes coques de pins et tes cargos de fer
je te chante, moi, Grall Xavier Marie
je te chante pour ta folie
pour tes bagages de rêves
pour tes Chouans, ô ma Celtie.
Il faut chaque jour gagner sa légende
il faut chaque jour célébrer la messe de l'univers.
Je te chante avec ma bouche dans la bouche de tes vents
je te chante avec mes mains dans la main de tes landes
je te chante, moi, Grall Xavier Marie
pour la liturgie de tes focs et la charité de tes misaines
pour tes marins perdus pour tes grèves de laine
et tes puissantes houles et tes doux paradis.
(…)
In Œuvre poétique, Le Rituel breton, © Rougerie, 2010, p.35
« Tu te découvres Breton comme il n'est pas permis de l'être. (…) Et tu penses que ton pays ça existe, bon Dieu, terriblement. Tu te récupères. Tu te regardes en face. Tu te décolonises. » Pour accompagner cette prise de conscience, il participe à la fondation des éditions Kelenn avec ses amis Glenmor et Alain Guel. Amitiés parmi bien d'autres, dont celle de André Laude. Il sera aussi de l'aventure du journal nationaliste breton la Nation bretonne. Dans le même temps, il continue d'être ouvert au monde, de se référer aux voyageurs des grands espaces et de la parole, de fréquenter les humbles qui ne sont rien… et tout !
J'ai touché le livre noir qui disait la mort de Kérouac et les vents se sont levés sur les grises villes américaines.
(…)
Kérouac est mort… Il y aura demain sur sa tombe des filles dingues et des tas de défoncés. Il y aura des genêts au vert pays de la Bretagne originelle. Il y aura des genêts dans ses yeux bleus quand la terre aura chanté son dernier été.
(…)
Kérouac est mort… Il pleut sur Brest. Il pleut sur Lowell. Il pleut sur la verte prairie canadienne.
Kérouac est mort. Et les vents se sont levés sur les villes de verre. Et sur l'humanité, bouquet de musiques et de glaïeuls. Les épagneuls reniflent la résine dans les noires cheminées.
Kérouac est mort. Il y aura demain des goélands venus du Finistère. La gwerz dans le bec…
Les bateaux sur la mer, les matelots, le cri des paquebots, et les trains et les trains et le boeing de la Pan-Am dans les nuées imaginent la mort des voyageurs
et pleurent Jack
Rêvons d'une poésie crépitée sur l'infâme béton des cités, rêvons d'une poésie coulée sur la ville comme une lave brûlante, rêvons d'une poésie trépidante, ardente, incandescente – et qu'elle crève enfin l'ennui, la grande muraille de l'ennui et de la banalité
Rêvons aux princes et aux ducs et aux rois et faisons de Jack Le Bris de Kérouac le grand aristocrate de la divine chevalerie de la route
Rêvons aux plus grandes des grandes amours et à la bonté incalculable de Dieu. Rêvons aux portes aimantes qui battent sur la venue du bourlingueur. Rêvons à la bonté inaltérable de la si bonne chanson
Kénavo, good bye, Jack
Il y a un blues qui chauffe dans le cœur des femmes, il y a un plinn qui endiable la fête de nuit, il y a un homme qui marche sur la route, il y a la Californie…
J'ai touché le livre noir qui disait la mort de Kérouac et les vents se sont levés sur les grises villes américaines
(…)
In Œuvre poétique, La Sône des pluies et des tombes, © Rougerie, 2010, p.72
Il meurt le 11 décembre 1981. « Il laisse derrière lui une œuvre forte, toute emplie de ses joies, de ses peines, de sa ferveur, de sa difficulté à vivre, de ses espoirs et de ses désespérances. Elle dit aussi son indestructible foi en Dieu. Il aspirait au jour où il entrerait dans « les splendides villes » » écrit Geneviève Laplagne en introduction au recueil des chroniques de Grall.
J'ai tout aimé, et ma sagesse fut d'aimer follement. Comment croire que Dieu n'existe pas quand au large de mon pays se dresse l'infini de la Mer ? Comment croire que Dieu n'est pas quand sous le coup d'un mortel malheur crie un enfant dans la ville fermée ? Dieu, je n'ai cherché que Lui dans le silence du désert, dans le verre de l'absinthe, dans le lit des plaisirs. Combien m'a-t-il fallu de jours pour mettre un nom sur cette soif et sur cette insatisfaction ! J'ai aimé. Je me glorifie d'avoir aimé. Ô feu où je me suis traîné. Ô à travers la boue, la lampe brillait. Mes filles, vous n'y échapperez pas. Vous vivrez et peut-être vous détournerez-vous un temps de ma parole donnée. Vous y reviendrez à travers des larmes. Viendra la joie mes Divines. Et pour vous qui retournerez à la bergerie, la nuit rira de bonheur. Le matin est là, à portée. Et il nous échappe. Et il nous vient un jour plus frais que la fraîcheur des fontaines. (…) J'ai tout aimé. Et j'aurai aimé aller au-delà des êtres.
In L'inconnu me dévore, © Calligrammes, 1984
Bibliographie
- Bibliographie complète sur Wikipedia
Internet
- Un article sur le blog d'Ariel Nathan
- Un article sur le site de l'ADSAV
- Un article sur le site Armor passion
PPierre Kobel
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