Je ne suis pas une femme. Je suis neutre.
Je suis une enfant, un page, une résolution hardie,
je suis un rai de soleil écarlate qui rit...
Je suis un filet pour poissons gloutons,
je suis un toast porté en l'honneur de toutes les femmes,
je suis un pas vers le hasard et la ruine,
je suis un bond dans la liberté de soi...
Je suis le sang qui chuchote à l'oreille de l'homme,
je suis fièvre de l'âme, désir et refus de la chair,
je suis l'enseigne à la porte de paradis inédits.
Je suis une flamme exploratrice et gaillarde,
je suis une eau profonde mais téméraire jusqu'aux genoux,
je suis eau et feu loyalement, librement unis...
In Le pays qui n'est pas et Poèmes, Orphée © La Différence 1992, p.43, édition bilingue, traductions de Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini.
La journée fraîchit...
I
Vers le soir, la journée fraîchit...
Bois la chaleur de ma main,
ma main a même sang que le printemps.
Saisis ma main, saisis mon bras blanc,
saisis le désir de mes minces épaules...
Comme il serait étrange de sentir
une nuit, une seule, une nuit pareille
ta lourde tête sur mon sein.
II
Tu as jeté la rose rouge de ton amour
sur mon blanc giron,
entre mes mains brûlantes je serre
la rose rouge de ton amour qui fanera bientôt.
Ô toi, maître aux yeux froids,
j'accepte la couronne que tu me tends,
elle fait ployer ma tête sur mon cœur.
III
J'ai vu mon maître aujourd'hui pour la première fois,
tremblante je l'ai tout de suite reconnu.
Déjà je sens sa lourde main sur mon bras léger...
Où est l'éclat de mon rire de vierge,
ma liberté de femme qui va tête haute ?
Déjà je sens sa poigne sur mon corps frémissant.
Déjà j'entends le choc brutal du réel
sur mes rêves fragiles, fragiles.
IV
Tu cherchais une fleur
et tu trouves un fruit.
Tu cherchais une source
et tu trouves la mer.
Tu cherchais une femme
et tu trouves une âme –
tu es déçu.
Ibid p.25/27
Pour rester dans la poésie nordique de langue suédoise, qui inspira Bo Carpelan, je vous propose de découvrir l’œuvre de son aînée, Édith Södergran (1892-1923). Elle fut la comète qui renouvela la poésie lyrique de son pays, la Finlande. L'une comme l'autre retinrent d'ailleurs l'attention des mêmes traducteurs.
Vénérée par ses successeurs, elle fut longtemps ignorée et vilipendée de son vivant par la majorité de ses contemporains, mais déploya, tout au long de sa brève existence, talent et ardeur.
Aujourd'hui, son ton direct et réaliste frappe d'emblée le lecteur, sa personnalité tragique et passionnée traduit en images la beauté de la nature et en énergie vitale et connaissance de soi, la menace de la maladie et de la mort, qui très tôt pesa sur elle.
Elle commence à écrire dans les années 14-15. Poèmes, son premier recueil, paraît en 1916, elle n'a que 24 ans. Le poème, qui suit, est antérieur à 1916 mais ne figure pas dans le dit recueil.
À Éros
Éros toi le plus cruel des dieux,
pourquoi m'emmenas-tu dans le pays obscur ?
Quand les petites filles grandissent,
on les exclut de la lumière
et on les jette dans une sombre demeure.
Mon âme ne flottait-elle pas dans l'air
comme une étoile heureuse
avant d'être entraînée dans ta ronde rouge ?
Vois, je suis pieds et poings liés,
sens, je suis contrainte
jusque dans la moindre de mes pensées.
Éros, toi le plus cruel des dieux :
je ne fuis pas, je n'attends pas,
je souffre simplement comme une bête.
Ibid p.135
Elle publiera en tout et pour tout 5 recueils, - mais en 7 ans! – rédigés en suédois et parus à compte d'auteur, chez un éditeur de Helsingfors, aujourd'hui Helsinski.
Le sixième et dernier recueil, posthume, paraîtra en 1925, sous le titre d'un de ses poèmes, Le Pays qui n'est pas, il contient les derniers poèmes et quelques autres, antérieurs, dont le précédent, rassemblés par sa seule amie et défenseur d'alors, Hagar Olsson, critique et écrivain avec qui elle échangea de nombreuses lettres, à la fin de sa vie. Il existe en français une traduction de ces lettres, parue en 1996, chez Missives, revue de la Société littéraire des P.T.T, que je n'ai pu consulter.
Le pays qui n'est pas
Je languis après le pays qui n'est pas
car tout ce qui est, je suis lasse de le vouloir.
En runes d'argent, la lune
me parle du pays qui n'est pas,
le pays où chacun de nos souhaits
se trouve miraculeusement exaucé,
le pays où tombent nos chaînes,
le pays où nous venons, dans la rosée de la lune,
rafraîchir notre front meurtri.
Ma vie fut une brûlante illusion.
Mais il est une chose que j'ai découverte,
une chose que j'ai vraiment conquise–
le chemin du pays qui n'est pas.
Dans le pays qui n'est pas, mon amour
se promène ceint d'une couronne étincelante
Qui est mon amour ? Noire est la nuit
et les étoiles en réponse frémissent.
Qui est mon amour ? Quel est son nom ?
La voûte du ciel s'élève de plus en plus haute
et dans l'infini des brumes,
ignorant la réponse, un enfant se noie.
Mais l'enfant de l'homme n'est que certitude,
plus haut que les cieux, il élève les bras.
Vient alors une réponse : Je suis
celui que tu aimes et toujours aimeras.
Ibid Le pays qui n'est pas p.179
Présente sur de nombreux sites internet, cette jeune femme résolue, originale et attachante mérite qu'on s'attarde sur son œuvre.
Originale par sa vie et sa naissance, d'abord.
Elle nait à Saint-Pétersbourg, en 1892, de parents finnois d'origine suédoise, sa famille s'installe la même année à Raivola, à 60 kms au nord de Saint-Pétersbourg, en Carélie, cet isthme entre la Russie et la Finlande, en partie annexé, par la suite, par l'URSS.
Il s'agit d'une belle maison de bois construite sur une grande propriété entre lacs et forêts, le village possède une vieille église orthodoxe avec un clocher à bulles. Ce vaste espace de nature intacte va nourrir son imaginaire de petite fille sensible et solitaire : « Le chemin de la nature est protégé » écrit-elle en fin de vie .
Son père dirige alors une scierie, elle grandit pendant dix ans en ce lieu solitaire.
Lucie Albertini, dans sa préface au livre, Le pays qui n'est pas et Poèmes, mentionné plus haut, écrit à ce propos: « En fait, la nature est l'interlocuteur essentiel de Södergran. Elle ne le sait pas encore, bien qu'elle vive, au plus profond d'elle-même en harmonie et en communion avec ces arbres, cette lumière, ce ciel et sa lune, son soleil, ses étoiles, ses nuages. Les saisons lui donnent à sentir qu'elle est, elle, un élément de cette nature qui tout naturellement remet êtres et choses à leur place dans un univers qui n'a que faire des affaires des hommes. Ce sont là des évidences, qui fondent la poésie de Södergran. »
Pourtant, le fait d'appartenir à la minorité suédoise, de vivre en lointaine Carélie et d'entretenir, de ce fait, plutôt des relations avec Leningrad et la Russie impériale dressera une frontière, bien au-delà de toute distance géographique, entre le poète et l’intelligentsia finlandaise, qui vise et lutte pour l'indépendance du pays. Helsingfors n'étant alors qu'une capitale de province du Grand-Duché de Finlande.
Ainsi, à 10 ans, entre-t-elle à la Petrischule, école allemande célèbre à Saint-Pétersbourg, qu'elle fréquentera jusqu'en 1909. Édith et sa mère séjournent alors dans la capitale, en période scolaire.
Bénéficiant d'un enseignement très libéral, elle apprend le français, le russe, l'anglais, l'allemand, celui-ci étant la langue principale, deviendra sa langue de prédilection, même si elle choisira d'écrire en suédois, par la suite.
La même année, à son grand chagrin, Singa, sa sœur d'adoption, est écrasée par un train.
En 1905, ont lieu les premiers soulèvements contre le régime du tsar, dont elle est témoin.
L'année suivante, son père se révèle gravement atteint de tuberculose, et doit séjourner en sana, en Finlande, – sana qu'elle rejoindra par la suite – déclaré incurable, il rentre chez lui pour y mourir, en 1907.
Tandis qu'elle entame sa dernière année scolaire, le 1er janvier 1909, on décèle chez elle les premières atteintes de la même maladie.
De ces années datent ses premiers poèmes, 225 écrits entre janvier 1907 et l'été 1909, sorte de journal comprenant 200 poèmes en allemand, 20 en suédois, 5 en français et 1 en russe d'inspiration révolutionnaire !
Attachante et résolue, elle le sera par la force des choses et par la façon dont elle va réagir, peu-à-peu, à cette accumulation de malheurs et à cette mort annoncée.
Elle écrit avec fougue, habite chacun de ses mots, « elle est là, – écrit encore Lucie Albertini, – toute entière avec sa passion, son exigence de vie, la cadence de sa voix, sa respiration, le rythme de son corps. »
La sœur de la vie
La vie ressemble surtout à sa sœur la mort.
La mort n'est pas différente,
tu peux la caresser, tenir sa main, lisser ses cheveux,
elle te tendra une fleur et sourira
Tu peux enfouir ton visage dans son sein
et l'entendre dire : il est temps de partir.
Elle ne te dira pas qu'elle est une autre
La mort ne repose pas, glauque, visage contre terre
ou sur le dos, portée par une civière blanche :
La mort circule, le rose aux joues, parlant à tout venant.
La mort a les traits tendres et les joues amènes,
elle pose sa douce main sur ton cœur.
Qui a senti sur son cœur cette main si douce,
le soleil ne le réchauffe plus,
il est froid comme la glace et n'aime personne.
Ibid Le Pays qui n'est pas et Poèmes p.109
L'enfer
Oh ! Comme il fait bon en enfer !
En enfer on ne parle pas de la mort.
L'enfer est muré dans les entrailles de la terre
et orné de fleurs incandescentes...
En enfer, on ne dit pas une parole en l'air.
En enfer on ne boit pas et on ne dort pas,
on ne se repose pas et on ne reste pas quiet.
En enfer on ne parle pas, mais on crie,
les larmes ne sont pas des larmes,
et les chagrins ne font pas le poids.
En enfer, on ne tombe pas malade et on ne se fatigue pas.
L'enfer : immuable, éternel.
Ibid p.117
Aux quatre vents
Aucun oiseau ne s'égare jusqu'à mon repaire,
pas de noire hirondelle porteuse de nostalgie,
pas de blanche mouette présage de tempête...
À l'ombre des rochers, ma sauvagerie aux aguets
est prête à fuir au moindre frisson, au moindre pas...
Ma félicité s'estompe et bleuit en silence...
J'ai une porte pour chacun des quatre vents.
Une porte d'or vers l'est – pour l'amour qui jamais n'arrive,
une porte pour le jour, une autre pour la mélancolie,
une porte pour la mort – elle reste toujours ouverte.
Ibid p.47
Elle fera cinq séjours consécutifs au sanatorium de Nummela, où fut admis son père. Sa mère finalement l'emmène à Davos, en Suisse, pour y recevoir des soins journaliers.
« Là-bas, les malades et l'équipe médicale parlent le suédois, c'est un retour bienvenu à sa langue maternelle, – écrit Lucie Albertini –. Elle prépare un hypothétique examen d'entrée à l'Université et fait connaissance avec les classiques de la littérature de langue suédoise et les œuvres de poètes contemporains. (...) Édith apprend l'italien pour lire L'inferno, de Dante, en vue d'un voyage en Italie, qu'elle fait au printemps 1913. (...) Elle a accès à une salle de lecture remarquablement fournie et qui offre des journaux paraissant dans toute l'Europe. Pour cette polyglotte à l'insatiable curiosité, c'est une source d'éveil extraordinaire. »
C'est là l'envers heureux de la médaille, qui lui permet de supporter la vie d'allongée et l'entourage de tous ces malades.
Les pays étrangers
Mon âme aime tant les pays étrangers
qu'on dirait qu'elle n'a pas de patrie.
Dans les pays lointains s'élèvent ces grandes pierres
qui portent mes pensées.
Et ces troublantes paroles, c'est un étranger
qui les a gravées sur la dure tablette qu'est mon âme.
Allongée, nuit et jour, je pense
à des choses qui ne sont jamais arrivées :
une fois, mon âme assoiffée a pu boire.
Ibid, P.81
Adieu
Ma vie est devenue menaçante comme un ciel d'orage,
ma vie est devenue fausse comme un miroir d'eau,
ma vie danse sur la corde raide, très haut
et je n'ose pas la regarder.
Tous mes souhaits d'hier
pendent comme les plus basses feuilles d'un palmier,
toutes les prières adressées hier
sont superflues et demeurent sans réponse.
Toutes mes paroles, je les ai reprises
et tout ce que je possédais, je l'ai donné aux pauvres
qui me souhaitaient bonheur.
À bien y penser,
que reste-t-il de moi ? Rien, sauf mes cheveux noirs,
mes deux longues nattes qui glissent comme des serpents.
Mes lèvres sont devenues braises,
je ne me rappelle plus quand elles ont commencé à brûler...
Terrible, le grand incendie qui a réduit en cendres ma jeunesse.
Ah, l'inévitable frappera tel un coup d'épée –
je m'en vais sans être remarquée, sans un adieu,
je m'en vais pour de bon et ne reviendrai jamais.
Ibid, p.85/87
Ces poèmes furent écrits après son retour de Suisse. Déception amoureuse ou soif d'aimer ? Ce n'est pas sa première allusion ni la dernière à l'amour impossible.
Lucie Albertini poursuit, à propos de ce retour :
« Au printemps 1914, son état s'étant bien amélioré, elle retrouve Raivola, où elle demeurera désormais. Helsingfors, Saint-Pétersbourg sont de fréquents buts de sorties. En mars 1917, juste après l'abdication de Nicolas II, elle revient de Saint-Pétersbourg autant terrifiée que réjouie par ce qu'elle a observé dans les rues de la capitale, à la veille de la grande Révolution. Elle est persuadée d'assister à la naissance d'un monde nouveau, elle se met avec toute sa passion au service du Futur ».
Dans un poème intitulé Revanche, elle écrit :
je chanterai pour que mon désir demeure,
lui qui jamais encore ne s'est reposé.
Édith ne quittera plus la propriété. Dans la région, la guerre civile entre « rouges » et « blancs », s'installe et fait rage. Elle continue d'écrire. Paraîtront en dépit de la guerre: La lyre de septembre en 1918 – dont elle dit dans une lettre adressée au Dagen Press : « Mon livre Septemberlyran n'aura pas manqué son but si un seul individu perçoit l'inouï de cet art. » – En voici l'un des poèmes, dont le titre figure en français dans le texte :
Grimace d'artiste
Je n'ai rien d'autre que mon mantelet brillant,
Ma rouge hardiesse.
Ma rouge hardiesse sort à l'aventure
Dans un pays sordide.
Je n'ai rien d'autre que ma lyre sous le bras,
Les rudes accords de ma lyre ;
Ma rude lyre sonne pour bêtes et gens
sur le grand chemin.
Je n'ai rien d'autre que ma couronne altière,
Ma fierté croissante.
Ma fierté croissante prend la lyre sous son bras
Et tire sa révérence.
(1917)
In Poèmes complets, La lyre de septembre, © Pierre Jean Oswald, 1973, traduits par Régis Boyer, p.95
Suivront L'autel des roses en 1919, et L'ombre de l'avenir, en 1920.
À pied il m'a fallu traverser le système solaire
À pied
Il m'a fallu traverser le système solaire,
Avant de retrouver le premier fil de ma robe rouge.
Je m'imagine pure.
Quelque part dans l'espace pend mon cœur,
Des étincelles en ruissellent, secouant l'air,
Jusqu'à d'autres cœurs illimités.
Ibid, L'autel des roses, p.130
Les pénitents
Nous ferons pénitence dans les forêts solitaires.
Nous allumerons des feux sur la lande, chacun le sien,
Nous nous dresserons – l'un après l'autre.
Quand nous serons devenus ressemblants comme frères et sœurs
Par la force et la noblesse –
Nous irons vers le peuple.
Ibid p. 131
Le recueil La lyre de septembre, – 18 poèmes écrits pendant la tourmente de 18, – va révolutionner et scandaliser le petit monde des lettres finlandais. Hagar Olsson, écrivain, par bonheur le remarque et parle à son propos, dans un article critique, de « merveilleuse découverte » ; il s'en suivra un échange nourri de correspondances entre les deux femmes, puis quatre rencontres à Raivola et une amitié exceptionnelle, cadeau tardif d'une « sœur » de lettres, et la reconnaissance inespérée d'une œuvre.
C'est elle qui se chargera, avec la collaboration de la mère d’Édith, de faire publier après sa mort, tous les poèmes retrouvés.
L'épouse
Mon cercle est étroit et l'anneau de mes pensées
fait le tour de mon doigt.
Il y a quelque chose de chaleureux
dans l'étrange monde qui m'entoure,
comme le parfum léger d'un calice de nénuphar.
Dans le jardin de mon père,
des milliers de pommes pendent aux arbres,
rondes, reposant en elles-mêmes–
de même ma vie indécise a-t-elle été
formée, arrondie, devenant pleine, lisse et – simple.
Mon cercle est étroit et l'anneau de mes pensées
fait le tour de mon doigt.
Bruden
Min krets är trång och mina tankars ring
går kring mitt finger.
Det ligger något varmt på grunden av allt det främmande omkring mig,
som den svaga doften i näckrosens kalk.
Tusende äpplen hänga i min faders trädgård,
runda och avslutade i sig själva–
så har mitt obestämda liv ock blivit
utformat, rundat, svällande och slätt och—enkelt.
Trång är min krets och mina tankars ring
går kring mitt finger.
In Le pays qui n'est pas et Poèmes © Orphée, La Différence 1992, p.132 et133, traductions Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini, en version bilingue.
Rien
Ne t'inquiète pas, mon enfant, il n'y a rien,
tout est comme tu vois : la forêt, la fumée, la fuite des rails.
Quelque part, là-bas, dans un pays lointain,
il y a un ciel plus bleu et un mur couronné de roses
ou un palmier et un vent plus doux –
et c'est tout.
Il n'y a rien que la neige sur la branche du sapin,
il n'y a rien à baiser de ses lèvres chaudes,
toutes les lèvres deviennent froides, avec le temps.
Mais tu dis, mon enfant, que ton cœur est fort
et que vivre pour rien, c'est pire que mourir.
Que lui voulais-tu à la mort ?
Ne sens-tu pas le dégoût que dégagent ses frusques ?
Rien n'est plus écœurant que de mourir de sa propre main.
Comme ces courts instants où fleurit le désert,
nous devons aimer les longues heures de maladie de la vie
et les années contraintes où se concentre le désir.
Ibid p.143
Jours malades
Mon cœur est gardé à l'étroit dans une mince crevasse,
mon cœur est au loin
dans une île perdue.
Des oiseaux blancs font la navette,
ils m'apportent le message que mon cœur est en vie.
Je sais – comme il vit
de charbon et de sable
sur des pierres tranchantes.
Je reste couchée tout le jour et j'attends la nuit,
je reste couchée toute la nuit et j'attends le jour,
je reste couchée, malade, au jardin du paradis.
Je sais que je ne guérirai pas,
désir et langueur n'en finissent jamais.
J'ai la fièvre comme une fleur des marais,
ma sueur est sucrée comme une plante poisseuse.
En bas, tout au fond de mon jardin, un lac somnole.
Moi, qui aime la terre,
je ne connais rien de mieux que l'eau.
Dans l'eau s'échouent toutes mes pensées
que personne n'a vues,
mes pensées que je n'ose montrer à personne.
L'eau grouille de secrets !
Ibid p.141
Et enfin, ce dernier poème à replacer à son retour de Davos
Retour
Autour de moi, les arbres de mon enfance exultent : ô femme !
Et l'herbe salue mon retour de pays étrangers.
Je pose ma tête dans l'herbe : enfin chez moi.
Maintenant, je tourne le dos à ce que j'ai vécu :
mes seuls compagnons seront la forêt, le rivage et le lac.
Maintenant je puise la sagesse dans la sève du sapin,
maintenant je puise la vérité dans le tronc desséché du bouleau,
maintenant je puise la force dans le brin d'herbe le plus tendre ;
un puissant seigneur daigne me tendre la main.
Ibid p.171
Profitant des événements, la Finlande a déclaré son indépendance par rapport à la Russie. Mère et fille se retrouvent ainsi ruinées, leur fortune étant placée en obligations russes. Elles connaîtront la faim dans un dénuement et une pauvreté extrêmes, qui hâteront certainement la mort d'Édith. Elle guérira miraculeusement, en janvier 1920, de la grippe espagnole, pour s'éteindre, terriblement anémiée, un soir de la Saint-jean, le 24 juin 1923. Sa mère lui survivra jusqu'en 1940.
Acharnement du sort, au cours de l'hiver 39-40, Raivola sera encore une fois, au cœur des combats. La mère d'Édith ne pourra supporter l'idée de l'évacuation de « la petite maison d'été » qu'elle occupe alors. Elle décédera avant que le village ne soit annexé par l'URSS et fermé aux étrangers.
Au cours des combats, la grande villa et l'église orthodoxe seront incendiées, le cimetière ravagé. La stèle marquant la tombe d'Édith disparaîtra.
Nous restent d'elle, uniquement ses poèmes et cette phrase d'une lettre adressée en décembre 1919, au journal Dagens, qui traduit parfaitement le chemin accompli, en plein bouleversement du monde, au terme de sa sombre vie:
« Le feu intérieur est le plus important que l'on possède. La terre appartient à ceux qui portent en eux la plus haute musique. Je me tourne vers les rares individus et les incite à élever leur musique intime, tout comme à bâtir sur l'avenir . »
Bibliographie
- Le pays qui n'est pas et Poèmes, © Orphée La Différence, 1992, traduits du suédois par Carl Gustaf Bjurström et Lucie Albertini, présentation Lucie Albertini
- Poèmes complets, © Pierre Jean Oswald, 1973, traduits du suédois et présentés par Régis Boyer
Internet
- wikipédia
- site de Gunnar Bjoörling
- site esprits nomades
Contribution de Roselyne Fritel
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