Né à Alger en 1956, Amin Khan est un poète algérien de langue française, qui publie ses premiers recueils, à partir de 1980, sous le nom d’Amine. Il étudie la philosophie, l’économie et les sciences politiques, à Alger, à Oxford et à Paris où il réside actuellement.
Dès 1984, Tahar Djaout, dans son anthologie poétique algérienne, Les Mots migrateurs, attirait l’attention du public sur les deux premiers recueils d’Amin Khan : « Les poèmes de Colporteur (1980) chantent sous une forme voilée l’amour et un quotidien parcellaire, écartelé entre sensualité et dérision ».
Au cours de l’été 2009, quelques-uns des poèmes de son recueil Archipel cobalt, qui sera publié peu après, ont accompagné une exposition d’art contemporain, organisée par l’UNESCO, dans le cadre prestigieux du château de Chenonceau.
En mars 2010, à l’occasion du Printemps des Poètes, à Marseille, il participe à la seconde édition de la « Transcontinentale-poésie d’une rive à l’autre ». Un itinéraire insolite, se proposant d’évoquer les rives, les passages et les franchissements, à la fois géographiques et culturels, entre les arts, d’une génération à l’autre.
Dominique Sorrente, dans sa préface pour Archipel cobalt, souligne : « L’Algérie, El Djazair en arabe, porte en son nom présence d’îles. Pour celui qui d’Outre-Atlantique où il séjourna en fait l’expérience intérieure, il s’agit d’instaurer un dialogue, sans cesse activé, entre le temps de la mélancolie et l’appel du désir, l’Algérie faite archipel et la couleur à l’origine de tous les bleus rêvés ».
Voici quatre extraits d’un long poème intitulé Quarantaine, écrit en 1995, dont certains furent exposés à Chenonceau, qu’on peut lire dans Archipel cobalt :
Il y a d'abord cette tendresse
de la dune une nuit
abandonnée par le charme
la trace plus vivace que l’instant
même où le cœur s’alarme
et puis soudain la loi obscure
et brutale du sang et l’oubli
et la vérité à peine entrevue
qu’emporte triomphal le vent
il y a l’ombre du citronnier à l’abandon
et un doute sur le temps passé
au travers du regard des morts
un chemin de lumière lente au loin
irrigue la vaste plaine vide
et puis soudain le commencement de la peine
à trouver le chemin
le cœur si sombre
confusion de désir et de haine
Il y a aussi la nostalgie
de la vie que je n’ai pas eue
les arpents de ma terre aimée
et ses fleurs rares qui sont les mots
des défunts de l’amour excessif
et puis soudain le ciel soyeux sur le cœur nomade
le sel le pain l’huile
l’orage le sang et la nuit
n’étant que haltes parfumées
Il y a la lassitude d’être soi
à l’extrémité même de la joie
à l’envers du rêve à la rigueur du froid
d’une nouvelle blessure
et puis soudain cela cesse d’être vrai
une jolie barque blanche se penche
l’astre s’emplit de lait et
les étoiles dansent une danse vide
à la gloire de la joie passée
In Archipel cobalt, © MLD, 2010
Amin Khan publie ce mois-ci un nouveau recueil Arabian blues, que René Depestre présente ainsi dans sa préface : « Dans Arabian blues, Amin Khan s’exprime librement en homme de l’innovation poétique… Entre mélancolie et distance ironique, métaphore et lucidité, tendresse et beauté, il inscrit ses doutes et sa solitude dans les mesures et les harmoniques universelles du blues afro-américain. Transcendant style et « race », vision du monde et lieu d’identité, plainte et tempo, son fort sentiment de soi et d’autrui métisse la forme arabe du spleen avec le to be blue jailli de l’imaginaire des deltas du Mississipi… La fulguration surréaliste d’Amin Khan intègre une expression elliptique et dépouillée à divers héritages transnationaux et transculturels… Il met la tradition musulmane en contrepoint fécond aux valeurs esthétiques des cultures française et anglo-saxonne… En état de poésie, l’islam de la tendresse et des lumières, pris par la main d’Amin Khan, part à la découverte d’un autre froid et d’un autre chaud de la grande aventure des humanités » (pages 9 et 12).
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J’entends venir
les pas de ma mémoire
germes d’orages
et puis charge de bisons
et je suis seul
endormi au cœur
d’une vague géométrie
celle d’une prairie
et puis celle d’une prison
et je ne peux rien
j’entends de loin brûler
les bouts de bois de ma raison
In Arabian blues, © MLD, 2012, p. 21
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Toi qui tisses mes tristesses
aux cordes du luth
désenchantées
espace la matière de ta voix
et livre d’invisibles passages
de soie dénouée
toi qui recèles
l’insensible incendie
des parfums oubliés
qui jamais ne délivres
la douce terre d’exil
de tes pensées
toi que nulle main
humaine ne retient
tu es exactement là
où j’ai perdu mon chemin
Ibid., p. 39
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Est-ce qu’il y a
une vérité à cela
un enclos sans terre
et sans ciel
et une barque sur son flanc
endormie
Ibid., p.62
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J’écris sur une page de fumée
des traces de psaumes
sur la peau du temps
d’insensés tatouages
je suis mon cœur
sans espoir de retour
entre la route plane
et l’horizon calciné
il y a peu d’espace
pour le sens et la joie
j’écris le chant
de la horde dispersée
Ibid., p.75
Bibliographie
- Colporteur, poèmes (1972-1979), © Sned, Alger, 1980
- Les Mains de Fatma, © Sned, Alger, 1982
- Vision du Retour de Khadija à l’opium, © Isma, Alger, 1989
- Archipel cobalt, préface de Dominique Sorrente, collection Hautes Herbes, © MLD, Saint-Brieuc, 2010
- Vision of the Return,@ Post Apollo Press, Sausalito,2012
- Arabian blues, préface de René Depestre, collection Hautes Herbes, © MLD, Saint-Brieuc, 2012
Sur l’auteur
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Tahar Djaout, Colporteur, par Amine, dans Algérie-Actualité, 8 janv. 1981
- Les Mots migrateurs, une anthologie poétique algérienne, présentée par Tahar Djaout, © O.P.U., Alger, 1984, p. 31/32
- Hélène Hazera, Archipel cobalt d’Amin Khan, © Les Lettres Françaises, 3 juillet 2010
Internet
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Un article Wikipédia
Contribution de Jacques Décréau
En juin 2012, Amin Khan a obtenu le Prix Méditerranée de Poésie Nikos-Gatsos 2012. Ce prix sera remis à l’auteur le 20 octobre prochain à Perpignan. Le jeudi 21 juin dernier, le Prix François-Coppée 2012 de l’Académie Française a aussi été attribué à ce recueil. La cérémonie de remise du prix aura lieu le 6 décembre 2012 à l’Académie Française. Un extrait de ce recueil sera prochainement mis en ligne dans la rubrique « Poésie d’un jour » de Terres de femmes.
Rédigé par : Angèle Paoli | 04 juillet 2012 à 12:40
La préface de René Depestre transmet au mieux (c'est le moins qu'on puisse dire ...) la force et beauté, tendresse et mélancolie contenues dans Arabian Blues.
J'ai aimé Archipel Cobalt, il me semble que dans Arabian Blues, Amin Khan est allé "encore plus haut" dans l'écriture, encore plus loin...
Quel talent !
Et, puisque nous parlons de grande poésie, je vous invite à découvrir le dernier texte de Dominique Sorrente, "C'est bien ici la terre", préface de Jean-Marie Pelt, publié chez MLD.
Avis aux amateurs de Belle Poésie,
Cordialement
M-C Barbé
Rédigé par : Marie-Claude barbé | 13 février 2012 à 15:27