Apprenant le décès tout récent, à 88 ans, de Wislawa Szymborska, grand poète d'origine polonaise, récompensée par le prix Nobel de littérature en 1996, La Pierre et le sel se souvient de l'humour qui la caractérisait et vous propose les deux poèmes qui suivent tirés de son recueil Je ne sais quelles gens, traduit par Piotr Kaminski et paru chez Fayard en 1997.
Adage
Les pêcheurs ont remonté du fond une bouteille . Dedans il y avait un papier, et sur le papier les mots suivants : « Au secours ! Je suis ici . L'océan m'a rejeté sur une île déserte. Je reste debout sur la rive et j'attends du secours ; Hâtez-vous. Je suis ici ! »
« Manque la date. Sans doute est-il déjà trop tard. La bouteille aura longtemps flotté dans l'eau », dit le premier pêcheur .
« Et l'endroit n'est pas désigné. Même l'océan, comment savoir lequel ? », dit le second pêcheur.
« Ni trop tard, ni trop loin. L'île Ici c'est partout », dit le troisième pêcheur .
Un ange passa, il y eut un malaise. C'est le propre des vérités générales.
p.41
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Ballade
c'est la ballade de la tuée
qui de sa chaise s'est levée.
On l'inventa de bonne foi,
sur le papier on la coucha.
Quiconque voulait voir, voyait.
Quand la porte s'était fermée,
et que l'assassin avait fui,
elle s'est levée comme des vivants
par le silence réveillés.
Elle s'est levée, remue la tête,
et de ses yeux durs comme l'anneau,
elle regarde les quatre coins.
Elle ne flotte pas dans l'air ;
sur un parquet très ordinaire
elle fait des pas, les planches craquent.
De l'assassin la moindre trace
elle jette dans la cheminée.
Le dernier bout de sa photo,
le dernier lacet du tiroir.
Elle n'a pas été étranglée.
Pas non plus empoisonnée.
Mort invisible l'a frappée.
Elle peut donner des signes de vie,
elle peut sangloter sans raison
elle peut même crier de terreur
devant une souris. Il y en a tant,
de ces faiblesses, ces ridicules
guère difficiles à imiter.
Elle se lève comme on se lève.
Elle marche comme on marche.
Tiens, elle fredonne en peignant
ses cheveux, qui poussent encore.
p 42/43
Voir également dans La Pierre et le Sel :
Actu poème : Wislawa Szymborska et le documentaire Apocalypse Hitler
Contribution de Roselyne Fritel
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