Jules Supervielle
Mathématiques
Quarante enfants dans une salle,
Un tableau noir et son triangle,
Un grand cercle hésitant et sourd
Son centre bat comme un tambour.
Des lettres sans mot ni patrie
Dans une attente endolorie.
Le parapet dur d’un trapèze,
Une voix s’élève et s’apaise
Et le problème furieux
Se tortille et se mord la queue.
La mâchoire d’un angle s’ouvre.
Est-ce une chienne ? Est-ce une louve ?
Et tous les chiffres de la terre,
Tous ces insectes qui défont
Et qui refont leur fourmilière
Sous les yeux fixes des garçons.
In Gravitations, © Gallimard, 1925 – (édition définitive 1932)
Source de problème. Le saurons-nous jamais, le mystère des mathématiques (mot sentencieux, annonce de désastre) ? Elle est terrible et dérisoire la diérèse (furi-eux) qui détache et montre les mathématiques, austère matière à frissons comme « chienne » ou « louve ». Supervielle évoquait en 1952, dans un courrier à Jean Lambert, « ses cruelles impressions de lycée et de mauvais élève en math. Devant le tableau noir, si noir ! » (cité en note dans le volume de La Pléiade).
Alors, une prescription : aux enfants qui souffrent face aux chiffres, lire des poèmes. La distance et les vers pour apprivoiser « la bête ». Jules Supervielle nous fait entrer dans la danse, triangle, cercle et son centre, au son du tambour.
Voilà l’enfance entortillée dans les figures à pièges et nous pouvons sourire « au problème qui se mord la queue ».
Isabelle Lévesque
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François-Xavier Maigre
Ce soir de juillet
un héron traverse le ciel
on entend les cris d'un enfant
au fond d'une cour
ses parents l'ont laissé ressortir
après l'heure du bain
et le temps n'existe plus
ses petits pas sont tièdes
immenses ses prunelles
il exulte en peignoir
dans la confidence des charmilles
ses mèches lourdes
étanchent la lumière
le soleil qui plonge à sa rencontre
rond comme un savon
l'enfant ne le sait pas encore
mais jamais plus l'été
ne sera l'été
sans ce parfum d'herbe tondue
mêlé de camomille.
Poème inédit, in Enfances, Regards de poètes, © Bruno Doucey, 2012, p.127
Les éditions Bruno Doucey viennent de publier dans la collection Jeunes plumes, un premier recueil de François-Xavier Maigre, Dans la poigne du vent.
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André Laude
Y'a qu'à
Y'a qu'à
répétait le yak
debout dans son kayak
Y'a qu'à
Y'a qu'à
répétait l'écho
en se moquant un peu
Depuis leur tendre enfance
ils jouent ainsi tous les deux
l'écho et le yak
loin des guerres et des violences
dans la région de Carnac
sous le beau ciel de France
In Animalphabet, © Saint-Germain-des-Prés, 1977
Contribution de PPierre Kobel
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