Les tableaux, présentés depuis le 4 avril dernier et jusqu'au 9 septembre prochain, font partie d'une collection privée, commencée autour de 1915 par un fils d'industriel alsacien, Jonas Netter, pas particulièrement riche mais fortement épris d'art et conseillé par le marchand Léopold Zborowski. Mécène passionné et discret, il l'est resté jusqu'à sa mort et cette superbe collection ne nous est révélée qu'aujourd'hui par son fils.
Dans les années 1915, quand Jonas Netter découvre, par l'intermédiaire de son marchand, Modigliani, il est l'un des premiers à acheter ses œuvres, jugées alors scandaleuses ; ce dernier lui fera connaître par la suite Soutine, ce qui nous vaut de voir, rassemblées en ce lieu, plusieurs de leurs toiles rarement exposées et beaucoup de celles d'autres artistes, célèbres ou moins connus, mais non moins intéressantes.
Les uns et les autres travaillent sous-contrat et l'argent leur arrive de leur mécène par l'intermédiaire du marchand, plus ou moins régulièrement et selon le bon vouloir de celui-ci. Soutine en particulier, mal aimé de Zborowski, à qui il achète de nombreuses toiles, vit toujours dans une misère noire, quand il rencontre le collectionneur, Barnes.
Netter finira, dans les années 30, par se séparer de Zborowski, auquel sa nature droite et généreuse l'oppose. On peut lire, sur place, les nombreuses lettres échangées par les artistes avec Netter, qui assure la survie et éponge régulièrement les dettes des uns et des autres ; dans les années 40, plusieurs d'entre eux d'origine juive seront arrêtés et mourront dans les camps.
En particulier, Adolphe Feter, dont deux magnifiques portraits de femme, datés de 1915, figurent dans cette collection.
Rassemblée au fil du temps par Jonas Netter et transmise à ses héritiers, celle-ci sera prochainement confiée en partie à une Fondation, qui la fera découvrir au grand public.
La Pierre et le Sel vous convie à découvrir cette exposition à travers l'un de ces tableaux, La Folle, de Soutine, daté de 1919, accompagné d'extraits tirés du tome I des Œuvres complètes de Pierre Reverdy, rééditées en 2010 par Flammarion. Les Poèmes en proses datent de 1915 et Les ardoises du toit de 1918 et sont donc contemporains du tableau choisi.
SANS MASQUE
Les personnages muets de cette comédie ou de ce drame sont dans la salle, il n'y a pas de coulisses. Les fards sont dans vos yeux et dans votre regard. Quel rôle !
In Poèmes en prose p.27
L'INTRUS
Entre les 4 murs de cette salle basse se mouvaient des esprits obscurs et d'autres éléments légers et lumineux.
(extrait) ibid p.34
LE SOIR
Jour à jour ta vie est un immeuble qui s'élève
Des fenêtres fermées des fenêtres ouvertes
Et la porte noire au milieu
Ce qui brille dans ta figure
Les yeux
Tristes les souvenirs glissent sur ta poitrine
Devant part vers en haut l'espoir
La douceur du repos qui vient chaque soir
Tu es assis devant la porte
Tête inclinée
Dans l'ombre qui s'étend
Le calme qui descend
Une prière monte
On ne voit pas les genoux de celui qui prie
In Les ardoises du toit, p.163
COURSE
On peut regarder de travers
Tous ceux qui passent sous l'averse
Les voix qui criaient à l'envers
Et les animaux en détresse
À peine relevés du ciel
Sous les têtes tranchées aux lames des rayons
Quand le soleil fond sur les larmes
Que les yeux perdent leur aplomb
Dans les yeux qu'ils regardent
La chute au fond de la raison
Le tonnerre des voix qui grondent
Sous la voûte éclatante où s'engouffre le monde
La terre était pleine de trous
Le ciel restait toujours limpide
Et les mains cherchaient dans le vide
L'horizon qui n'existe pas
Ibid p. 226
REGARD
(...)
Mon œil suivait ainsi
la ligne des ornières
Il s'étirait sans souffrir
Ton regard le faisait rougir
Et cette voix qui pleure
Sans soulever un souvenir
Est devenue meilleure
Il n'y a plus rien que ton regard
Et devant toi tous ceux qui t'offensèrent
Ibid p.237
Il figure, dans cette même collection et visible à cette occasion, un Portrait de Soutine réalisé par son ami Modigliani en 1916, où le modèle est représenté sur un fond sombre, assis, mains délicatement ouvertes, dans la même attitude que La Folle, peinte en 1919 par Soutine
Internet
- Voir sur le site de la Pinacothèque tous les articles illustrés et entretiens réalisés à propos de cette exposition, en particulier celle du fils de Jonas Netter.
Contribution de Roselyne Fritel
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