La Pierre et le Sel - Quel est l'itinéraire personnel qui t'a conduite à la poésie ?
Lydia Padellec - J’ai écris mes premiers poèmes à quinze ans. À dix-sept ans, je découvre au lycée, Rimbaud et Baudelaire : je cherche à les imiter, sans grand succès. À dix-huit ans, je tombe amoureuse de Robert Desnos et d’Hamlet ; je découvre Aimé Césaire, premier poète contemporain, à travers son magnifique Cahier d’un retour au pays natal… au programme du baccalauréat littéraire cette année-là.
Étrangement, j’écrivais assez peu de poèmes et m’intéressais davantage au genre de la nouvelle. À l’université, je me passionne pour les surréalistes – André Breton et son Amour fou, entre autre, et… L’arrière-pays de Yves Bonnefoy (au programme de mes études) qui me laisse un arrière-goût amer. Heureusement, la même année (1999), un atelier d’écriture poétique est organisé au sein de l’UFR de St Quentin-en-Yvelines, animé par Gérard Noiret : c’est le « déclic » ! A partir de cet instant, la poésie est devenue ma vie.
La Pierre et le Sel - Quelle place occupe aujourd'hui la poésie dans ton existence ? As-tu d'autres activités d'écriture ? D'autres activités de création artistique ? Si oui quelles sont les interactions avec l'écriture poétique ?
Lydia Padellec - La poésie prend toute la place. J’ai tenté de concilier avec un autre « métier » (l’enseignement en particulier) : je n’y arrive pas ; peut-être parce que je pense, je respire, je vis en poète ? Ce qui ne veut pas dire bien sûr que je vis recluse dans « ma tour d’ivoire » ! Au contraire, j’ai besoin d’aller vers les autres. Un poète est ancré dans la société et vit dans son temps. Il est vital pour moi d’échanger, de rencontrer, de transmettre mon amour des mots via des ateliers.
J’ai toujours eu une écriture minimaliste : la découverte du haïku en 2001 a été une révélation. Il m’a fallu un certain temps pour saisir « l’esprit » de ce petit poème venu du Japon. La rencontre avec l’association francophone de haïku a été déterminante dans mon « apprentissage », ainsi que ma participation régulière au kukaï de Paris depuis 2007. Le haïku m’a permis de me repositionner par rapport à la poésie en général et au monde. D’une écriture hermétique, un peu surréaliste, le haïku m’a ramenée vers le réel, à une poésie du quotidien.
J’ai commencé à animer des ateliers d’écriture en 2005, d’abord de poésie, puis de plus en plus de haïkus, auprès de jeunes en difficultés scolaires. Très vite les Arts plastiques m’ont rattrapé : j’aime effectivement associer l’écriture aux arts et en particulier le haïku et l’art postal. Plus récemment, je m’intéresse à l’art du haïga (dessin+haïku) et du haïsha (photo+haïku). J’apprécie également de lier poèmes et peintures dans des collages.
Par ailleurs, je suis sensible à l’oralité du poème : j’ai participé pendant quatre ans à des lectures-spectacle au sein de l’association « Les Poètes d’ici ». En 2010, j’ai créé un spectacle poétique et musical Sur les lèvres rouges des Saisons, autour des trois formes poétiques japonaises – le haïku, le tanka et le haïbun. Aujourd’hui, je me suis associée au groupe de musique phar:away pour un spectacle pluridisciplinaire intitulé Voyage au bout des doigts.
La Pierre et le Sel : Quels sont les poètes, contemporains ou du patrimoine, qui te sont proches par leur écriture ? Quelle place accordes-tu à la lecture des autres poètes dans ton travail personnel ?
Lydia Padellec - J’en ai cité déjà quelques uns : pour les classiques, Baudelaire, Rimbaud, Desnos, Eluard, Schehadé, Guillevic, Akhmatova, Plath, Tagore, Issa, Bashô, Chiyo ni… et beaucoup d’autres ! Pour les contemporains : Lionel Ray, Judith Chavanne, Vénus Khoury-Ghata, Salah Al Hamdani, Hélène Dorion, Cécile Oumhani, Philippe Jaccottet, Marie Sunahara… et j’en oublie ! Lire et écrire sont deux activités complémentaires. Chaque poète a des modèles qui lui ont permis d’édifier son propre univers poétique. Lire un poème, c’est comme une rencontre inattendue, aller vers cet autre différent, à la fois étranger et pourtant semblable. Ces « rencontres » poétiques sont essentielles, elles sont autant de bornes sur mon chemin.
La Pierre et le Sel : As-tu déjà publié ? Dans des revues ? Lesquelles ? Des recueils ?
Lydia Padellec - Ma première publication remonte à 1999, l’année où j’ai participé à l’atelier de Gérard Noiret. Un atelier ouvert au public. C’est ainsi que j’ai rencontré Hervé Martin, créateur de la revue Incertain regard qui publia mes premiers poèmes, notes de lecture et chroniques. Depuis, j’ai été publiée dans une vingtaine de revues papiers en France (poésie/première, Le Coin de table, N4728, Spered gouez, Pyro, Gong…) et à l’étranger (Mouvances, Casse-pieds – Canada francophone ; Magnapoets – Canada anglophone ; Whirligig – Pays Bas), mais aussi des revues en ligne (Ploc’, Haïkouest, Le Manoir des poètes, 575…). Mes textes figurent aussi dans une trentaine d’anthologies en France et à l’étranger (Canada, Japon, Roumanie, États Unis).
Mes premiers livres « personnels » sont des livres d’artistes édités par « ça presse » de mon ami Marc Giai-Miniet : Lumières de cendre (2005) et Foukenn diwan (2007). Grâce à Marc, j’ai pris goût aux jolis livres (à tirage limité)… Ensuite, en 2011 paraît mon premier recueil aux éditions Le bruit des autres, La maison morcelée, et en 2012 La mésange sans tête aux éditions Éclats d’encre. Ce sont des recueils très proches – bien qu’ils soient différents par la forme (poèmes en prose pour l’un et quatrains pour le second) – dédiés à ma grand-mère, ils sont marqués par la perte, le silence, la mémoire fragmentée.
La Pierre et le Sel - Tu as créé les Éditions de la Lune bleue, il y a deux ans. Était-ce un projet de longue date ? Quelles idées fondatrices t'ont conduite à cela ?
Lydia Padellec - J’ai toujours aimé créer des livres ! Le premier remonte à mes huit ans : un petit conte (rempli de fautes d’orthographe), illustré par mes soins et relié avec un bout de ficelle.
Marc Giai-Miniet m’a montré une autre manière de faire des livres, qui me plaît. Je ne me suis pas lancée dans l’édition tout de suite, car je ne me sentais pas prête. En 2008, j’ai voulu créer une maison d’éditions associative avec des amis, mais aucun n’était vraiment partant… Puis en mars 2010, « déclic intérieur » : je me lance seule dans l’aventure avec « La Lune bleue »! Le nom n’est pas anodin : la lune bleue est la treizième pleine lune de l’année, un fait plutôt rare… j’ai ainsi voulu souligner le côté rare et précieux de mes petits livres – tirage à 50 exemplaires dont 5 tirages de tête (avec un original de l’artiste et un texte manuscrit du poète). Autre particularité : comme la double face de la lune, je propose un catalogue à la parité parfaite avec une parution « en couple » d’un poète homme et d’une poète femme.
La Pierre et le Sel - Comment travailles-tu ? Seule ou en équipe ? À partir de quels critères fais-tu tes choix de publications ?
Lydia Padellec - Je travaille seule : je choisis le poète qui me propose un ensemble de huit petits textes (ou quatre en version bilingue) puis l’artiste à qui j’envoie les poèmes me soumet cinq images au format du livre. Je fais moi-même la maquette du livre. Je gère seule cette petite maison d’éditions qui est auto-financée ; je ne reçois aucun revenu de cette activité, la vente des livres me permettant juste d’en créer d’autres. Pour l’impression, je fais appel à une reprographie près de chez moi en leur fournissant le papier. Ensuite le livre se fait de manière artisanale – c’est l’aspect qui me plaît le plus : je plie les feuilles, je les assemble, puis je couds le livre avec du fil bleu… cela me rappelle les gestes appliqués de la fillette de huit ans… Ensuite, je numérote et signe chaque exemplaire. Viendra après la rencontre du poète et de l’artiste pour leur signature…
Depuis cette année, je fais appel à l’atelier Mazette de mon ami Gilles Cheval (qui fabrique lui aussi ses propres livres) pour des projets plus ambitieux comme des anthologies dont celle de Voyage au bout des doigts qui rassemble les poètes et les artistes participant au projet de phar:away.
La Pierre et le Sel - Comment entres-tu en relation avec les auteurs que tu publies ? Relations personnelles ? Envoi de manuscrits ou tapuscrits ? Sollicitations de ta part ?
Lydia Padellec - Lors d’évènements poétiques, des soirées qui mettent à l’honneur un poète comme pour Myriam Montoya ou Salah Al Hamdani, le marché de la poésie pour Cécile Oumhani et Luce Guilbaud… Les poètes avec qui je travaille sont avant tout des amis. J’aime et j’admire leur poésie. Quant aux artistes, ce sont souvent des coups de cœur.
La Lune bleue est ouverte aux poètes et artistes du monde, contemporains et vivants. Je ne publie que six livres par an dont un est consacré au haïku.
Je ne souhaite pas recevoir de manuscrits, puisque c’est moi qui sollicite les poètes et artistes avec qui je désire créer un livre.
La Pierre et le Sel : Quels modes de diffusion utilises-tu ? Démarches-tu les libraires ? Organises-tu des lectures et des manifestations autour de tes publications ? Participes-tu à des salons du Livre ?
Lydia Padellec - La Lune bleue est auto-diffusée. Sur les cinquante exemplaires, j’en donne 10 à l’artiste, 15 au poète pour leurs droits d’auteur. Il m’en reste donc 25. Il y a déjà six livres (sur 14) du catalogue qui sont épuisés. Je ne démarche pas les libraires car je préfère la vente directe au lecteur soit par le site internet (http://editionslunebleue.com), soit à travers des manifestations comme le marché de la poésie de Saint Sulpice ou des lectures-rencontre à la maison de la poésie de St Quentin-en-Yvelines, soit à des salons du livre (Lirenval, Durcet…).
La Pierre et le Sel : Quels sont tes projets à venir ?
Lydia Padellec - En tant que poète : je travaille sur plusieurs manuscrits dont un qui a reçu la bourse découverte du CNL cette année.
En tant que haïjin : pour le Festival francophone de haïku qui aura lieu du 4 au 7 octobre 2012 à Martigues, j’attends des réponses concernant l’édition du recueil de mon spectacle Sur les lèvres rouges des Saisons, ainsi que sa programmation au Festival.
En tant que plasticienne : j’aimerais trouver le temps pour me remettre à la peinture et approfondir mon travail sur les collages poétiques…
En tant qu’éditrice : une nouvelle anthologie va paraître très prochainement…
En septembre-octobre, La Lune bleue va publier La minute papillon de Vincent Hoarau (jeune haïjin dont ce sera le premier livre édité) et un recueil de poèmes d’Aurélia Lassaque. En décembre, nous aurons Chuchotis de Gabriel Althen et probablement un recueil de Lionel Ray…
Poèmes inédits :
Au cœur du souffle
À Andrée Chedid
Respirer au cœur du souffle et sentir l’haleine du rêve sur les joues. Le regard du poète est une fenêtre ouverte sur le monde. Main dans la main, le chant de l’oiseau nous guide sur la route des fables et des révoltes.
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Quel rêve
peut venir après
la levée de l’ombre
sur ses cils ?
les rideaux se balancent
au rythme d’une musique
oubliée
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Et quelques haïkus :
Départ du train –
Souvenir de ses baisers
sur mes doigts tremblants
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Photo de famille –
Le frémissement des lèvres
avant le sourire
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Océan si vaste –
Rien que le poids de la brise
dans ses petites mains
Lydia Padellec en dix points :
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Née en 1976 à Paris
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Anime des ateliers d’écriture et d’arts (mail art, haïga)
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Membre de l’association francophone de haïku, de Haïkouest, de la MEL et de l’association des écrivains bretons.
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Participe au Festival Francophone de Haïku (Montréal 2008, Lyon 2010 et Martigues 2012)
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Expositions à Montréal, Paris, Lyon, Chevreuse, Tübingen (Allemagne)
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Résidence d’écriture à la Réserve naturelle de Val et Coteaux de St Rémy-lès-Chevreuse en 2010-2011.
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Bourse découverte du CNL (2012)
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Création d’un spectacle en 2010 « Sur les lèvres rouges des Saisons »
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Création des éditions de la Lune bleue en 2010
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Coéditions de Voyage au bout des doigts en 2012 (spectacle phar:away)
Internet
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Le blog personnel de Lydia Padellec
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Une page sur le site de la MEL (bibliographie complète + extraits de poèmes)
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Une page dans l’anthologie poétique Terres de femmes d’Angèle Paoli
Lydia Padellec sera présente sur le Marché de la Poésie, principalement sur les stands 502 des éditions Vincent Rougier et 304 des éditions Éclats d'encre.
Contribution de PPierre Kobel
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