En août 2011 La Pierre et le Sel publiait un article consacré à la poète afghane Nadia Anjuman, au destin tragique. Dans son numéro 1140 daté du 6 septembre 2012, l'hebdomadaire Courrier international relève des extraits d'un article du New York Times que la journaliste et poète américaine Eliza Griswold a consacré aux femmes afghanes qui composent sous une forme poétique, des « landai », courts poèmes satiriques par lesquels elles veulent dénoncer la situation oppressive qui leur est faite et qui, politiquement, est faite à leur pays.
Elles prennent tous les risques en se réunissant, menacées d'être battues ou même tuées par leurs proches si leurs activités littéraires sont découvertes. Ainsi dans l'impossibilité de vivre l'amour qu'elle souhaitait, une jeune poète disait : « Je suis la nouvelle Rahila. Enregistrez ma voix. Comme ça, le jour où je me ferai tuer, au moins, il vous restera quelque chose de moi. » Elle choisit elle-même sa mort et s'immola à son domicile.
Le combat de ces femmes qui se réunissent en cercle littéraire, nous rappellent la place et l'importance de la poésie dans la construction d'une société, la force du verbe pour dire les travers des autorités et des dictatures morales et domestiques.
Je
hurle mais tu ne réponds pas
Un jour tu me chercheras et je
serai plus de ce monde.
En 1828 dans Les Orientales Victor Hugo dénonçait déjà l'intolérance à l'égard des femmes.
Le voile
Avez-vous prié Dieu ce soir, Desdemona ?
Shakespeare
La sœur
Qu'avez-vous,
qu'avez-vous, mes frères ?
Vous baissez des fronts
soucieux.
Comme des lampes funéraires,
Vos regards brillent
dans vos yeux.
Vos ceintures sont déchirées.
Déjà trois
fois, hors de l'étui,
Sous vos doigts, à demi tirées,
Les
lames des poignards ont lui.
Le frère aîné
N'avez-vous pas levé votre voile aujourd'hui ?
La sœur
Je
revenais du bain, mes frères,
Seigneurs, du bain je revenais,
Cachée aux regards téméraires
Des glaours
et des albanais.
En passant près de la mosquée
Dans mon
palanquin recouvert,
L'air de midi m'a suffoquée :
Mon voile
un instant s'est ouvert.
Le second frère
Un homme alors passait ? un homme en caftan vert ?
La sœur
Oui…
peut-être…
mais son audace
N'a point vu mes traits dévoilés…
Mais
vous vous parlez à voix basse,
À
voix basse vous vous parlez.
Vous faut-il du sang ? Sur votre
âme,
Mes frères, il n'a pu me voir.
Grâce !
tuerez-vous une femme,
Faible et nue en votre pouvoir ?
Le troisième frère
Le soleil était rouge à son coucher ce soir.
La sœur
Grâce !
qu'ai-je fait ? Grâce ! grâce !
Dieu ! quatre poignards dans mon flanc !
Ah ! par vos genoux que j'embrasse…
O mon voile ! ô mon voile blanc !
Ne fuyez pas mes
mains qui saignent,
Mes frères, soutenez mes pas !
Car sur
mes regards qui s'éteignent
S'étend un voile de trépas.
Le quatrième frère
C'en est un que du moins tu ne lèveras pas !
1er septembre 1828, in Les Orientales
Contribution de PPierre Kobel
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