La poésie là-dedans me direz-vous ? Elle paie aussi. Ainsi quand l'avenir du Printemps des Poètes est menacé parce que son budget est privé de 40 % de la subvention 2012 de l'Éducation Nationale. Voyons ! On ne forme pas des citoyens avec de la poésie…
La poésie ? Ce ne sont que des mots. Voici deux textes de Jean-Luc Despax qui s'emparent de ces mots, avec humour, avec engagement, pour dire qu'on se moque de nous.
Slam pour jouer au Monopoly
Pour
jouer au Monopoly
Il faut être banquier.
Tous ceux qui sont
nés dans un autre cas
Comptant moins qu'un lancer de dés
Ils
n'ont pas le droit de se présenter.
Le banquier doit acheter,
vendre et revendre le temps
La détresse des gens
De façon à
accroître ses richesses.
Quand il y a le feu au plancher
Des
logements non remboursés
Si le banquier ne peut se refaire à
temps
Ceux qui n'ont pas le droit de jouer doivent rembourser ses
pertes.
C'est normal.
Cela va sans dire.
Et d'ailleurs le
banquier ne le dit pas.
En attendant de rejouer une partie,
Le
banquier peut se refaire une santé dans un hôtel de luxe
Qui n'a
de rouge que la couleur,
Ou dans une petite maison verte
Garantie
100% Grenelle de l'environnement
Il pourra s'y taper un excellent
gueuleton même pas bio
En regardant les cours de la Bourse se
souvenir d'Icare
Sur Bloomberg TV
Il pourra voir 1400 milliards
de dollars
Spécialement dépêchés sur les lieux
Pour
recoller les plumes.
S'il n'aime pas la mythologie
Le banquier
jouera au pompier pyromane
Demandant plus d'argent public
encore
Pour éteindre, au nom de nos libertés
L'incendie des
états par le libéralisme.
Chaque fois que le banquier revient
par la case départ,
En brûlant ce qu'il avait adoré deux heures
avant
En
prônant ce que l'on pourrait appeler
Un
néo-capitalisme d'État
Il
touche 20 milliards d'euros.
Il les place aussitôt.
Quand le
banquier arrive sur une case qui n'appartient à personne
Il
s'installe en la faisant payer
Aux pauvres qui ont des difficultés
à financer d'un an de salaire
Une nuit dans les quartiers
chics
Il
la met aux enchères
Finissant toujours par augmenter les loyers
de ceux qui vont l'habiter
Ou la faire habiter
Car, ainsi que
le disait Hölderlin,
Un
agent de change proche d'Angela Merkel,
C'est poétiquement que le
banquier doit habiter la terre
Et prosaïquement qu'il doit faire
raquer les terriens.
Le banquier repart vite à la chasse à
l'argent
Pour le plaisir subtil d'annuler les acquis
En
prétendant sauver la planète.
Le
banquier en oublierait presque de jouer au Monopoly.
Heureusement
Il
perçoit des loyers
De ceux qui s'arrêtent sur ses terres
Pour
souffler un peu, ou s'aimer
Et même quand ils payent à temps
Le
banquier leur envoie la police pour rester en forme.
Il ne peut
jamais aller en prison
Même avec des barreaux en or.
Dans le
pire des cas
Il
ferait modifier la loi
C'est-à-dire le tracé des murs
Qui se
perdrait dans sa piscine immense.
Si malgré tout il tirait une
carte
« Vous êtes libéré de prison »
II faudrait la garder
pour faire rire les collègues :
Ce ne sont pas les adresses qui
manquent dans son carnet.
S'il s'arrête sur la case « impôts
»
Qu'il utilise son bouclier fiscal !
S'il s'agit de la case «
taxe de luxe »
Qu'il pouffe librement.
S'il s'arrête sur la
case « Parc gratuit »
Il
pourra essuyer ses pneus increvables sur tout passant égaré
De
la mondialisation
Et se reposer en attendant le prochain tour
électoral,
Ou continuer ses transactions
En ayant une
pensée émue
Pour le Trésor américain
Et un sourire
complice,
6, 55957 fois plus complice
Pour la BCE.
Quand il
s'arrête sur la propriété d'un autre banquier
Les deux
banquiers deviennent 6 000 000 fois plus riches.
Si le banquier
s'arrête sur un service public
Il
peut le saccager à loisir
Mais il ne le tuera pas
Parce qu'un
service public peut toujours servir.
Mais oui.
S'il s'arrête
sur une gare,
Il
faudra qu'il n'oublie pas d'abolir le droit de grève auparavant.
Les
cartes « caisse de communauté » et « chance »
Sont en grand
nombre dans les manches de sa chemise.
C'est pour cela que les
ouvriers de Limoges ont de moins en moins de bol
Que la Sécu ne
peut même plus se financer un petit Quinté
plus
Pour se remonter le moral.
Pour cela aussi que l'UMP a
remplacé le PMU.
Si le banquier fait faillite
Ceux qui n'ont
pas le droit de jouer
Seront éliminés
C'est bien la moindre
des choses.
Ils ne dormiront pas tout de suite sous les
ponts
Parce qu'il faudra d'abord qu'ils les aient
reconstruits
Avec des matériaux de récupération.
Le
dernier joueur restant en jeu
Est le vainqueur.
Il gagne les
œuvres complètes de Darwin
Reliées pleine peau de mufle.
Pour
résumer :
Le plateau de jeu
Sert l'injustice sur un plateau
d'argent
La spéculation immobilière empêche les gens
De
penser
Les billets de banque enverront tout droit
Le citoyen
rebelle
À la Bastille une fois restaurée
Les maisons
s'écroulent
Les hôtels se tirent par l'escalier
Les coups de
dés n'aboliront jamais les tricheurs
Et
si vous ne comprenez rien à la règle du jeu
C'est que, comme
moi, vous n'êtes qu'un pion !
Mais les pions ont autre chose
à faire que jouer
Vous ne trouvez pas ?
In 220 slams sur la voie de gauche © Le merle moqueur,2011, p.28
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La Propagande du Vrai
Demain
nous changerons le monde
Avant de partir travailler
Petit-maître
d'anthologie
Comme disait Léon-Paul Fargue
Je vends ma force
de travail
Relis Proudhon dans le métro
En deux temps et
trois mouvements
Je passe à côté du Mystère
Je t'interroge
et m'exaspère
Avant que nous naissions la nuit nous avait
tués
Aurons-nous l'esprit baïonnette
Et
le verbe bien acéré
Des minutes de pub sur nos cœurs délavés
À
vitesse grand v ?
Petite mort hebdomadaire
Et les trois
huit six jours sur sept
In Des raisons de chanter © Le Temps des Cerises,2012, p.12
Jean-Luc Despax est l'auteur de plusieurs recueils de poésie, d'un essai sur Mandelstam et d'un roman. Auteur, il fut aussi de l'aventure de Aujourd'hui poème et il est le président du P.E.N. Club en France.
Internet
Contribution de PPierre Kobel
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