Giuseppe Giovanni Luigi Henrico Lanza di Trabia-Branciforte, plus connu sous le simple pseudonyme de Lanza del Vasto est né en Italie, dans le Pouilles, en 1901 et il est mort en 1981, au terme d’une vie mouvementée.
Choyé durant ses années d’enfance il fait ses premières études un peu à la traîne, et se distingue, surtout, à cette époque par un talent poétique précoce dont les textes font l’admiration de ses condisciples, de ses professeurs et de sa famille. L’auteur, cependant, reniera en majeure partie, par la suite, cette production de premier jet., assurant lui-même, « qu’il n’y avait pas de quoi » Il couronnera , néanmoins, ses études par un doctorat de philosophie obtenu à l’université de Pise.
Cherchant sans cesse sa voie intérieure, il écrit que « la Vérité n’est pas une quelconque combinaison verbale et mentale. Elle est dans le dense silence intérieur, elle est dans la conformité du Dedans et du Dehors »
Pendant plusieurs années, cherchant à mettre en harmonie ses convictions et sa vie, il va vagabonder à travers le sud de l’Europe, notamment dansles îles grecques, la Terre Sainte, et la Turquie en faisant intimement connaissance avec la faim et la pauvreté dont il dira qu’elle est « Fille de poésie et sœur de délivrance »
En 1936, il part en Inde pour faire connaissance avec Gandhi et l’interroger sur la non-violence, dont la doctrine rejoint sa quête personnelle d’unification du corps et de l’esprit par l’action et la contemplation.
De retour en France, et à l’approche de la guerre, il commence à édifier une communauté d’hommes et de femmes, vivant du travail manuel, le seul permettant, selon lui, d’être sans fard et d’échapper à la servitude.
Après plusieurs tentatives en France d’implantation non réussies, la communauté connue aujourd’hui sous l’appellation de l’Arche est installée, depuis 1964, à la Borie Noble, dans les Cévennes. Elle est entièrement ouverte sur l’extérieur, indépendante de toutes confessions, vit en autarcie, et accueille qui le désire, sans inquisition, pour le temps qui lui convient. Il suffit, pour y être admis, d’accepter et d’adhérer à la notion de non-violence, et de participer aux travaux de la communauté.
Ainsi que l’écrit Maurice da Silva dans son livre Lanza del Vasto et la culture technologique, © Critère 1970 :
« C'est là que je me suis rendu, en août 1969, pour découvrir par moi-même cette communauté insolite. Ils sont actuellement une centaine: des célibataires, des couples avec leurs enfants, travaillant la terre (ils sont végétariens), tissant et coupant leurs vêtements, fabriquant leurs meubles. Ils pratiquent la non-violence appliquée à tous les plans de la vie, aux travaux "intérieurs" ou spirituels, comme aux travaux "extérieurs" ou manuels, ceux-ci venant prolonger ceux-là. "S'il est un aspect de l'Ordre laborieux qui fait songer au passé, écrit Shantidas (nom donné par Gandhi à Lanza del Vasto et qui signifie serviteur de paix) dans Présentation de l'Arche, c'est bien la forme et le sens qu'on y donne au travail. L'outillage, les méthodes, les secrets des métiers conservés ou retrouvés, la forme et le style des objets produits, tout fait penser au Moyen Âge". Cette rapide évocation de l'homme et de l’œuvre, prépare, me semble-t-il, à comprendre la position de Lanza del Vasto sur la culture technologique. »
L’Arche, au cours des années, va se signaler par plusieurs actions non-violentes, notamment contre la torture en Algérie, contre l’usine nucléaire de Marcoule, ou en soutien des paysans du Larzac dans leur lutte contre le camp militaire. Et comme l’écrit Lanza del Vasto dans « Pèlerinage aux sources » : La résistance non-violente se montre plus active que la résistance violente. Elle demande plus d’intrépidité, plus d’esprit de sacrifice, plus de discipline, plus d’espérance. Elle agit sur le plan des réalités tangibles et sur le plan de la conscience. Elle opère une transformation profonde de ceux qui la pratiquent et parfois une conversion surprenante de ceux contre qui elle s’exerce.
Cet ashram à la française à suscité des émules dans le monde et plusieurs communautés se sont implantées notamment, en Amérique Latine et au Canada. En dehors des rigidités dogmatiques propres aux religions, elles sont des utopies en mouvement prouvant que d’autres styles de vie, plus respectueux de la nature, sont parfois possibles, différents des canons officiels de la modernité marchande
Concernant sa poésie, son œuvre majeure s’intitule Le Chiffre des choses, publiée en 1942. Elle se compose de 126 poèmes à visée métaphysique et comme son titre le suggère cherche à déchiffrer le secret de êtres et des choses et à saisir leur essence invisible.
En 1966, Seghers, dans sa collection Poètes d’aujourd’hui, à publié sur cet auteur une anthologie dont voici des extraits :
FEMME
Femme,
le vent est doux entre tes dents,
La mer s'approche et vie dans
tes paupières. ;
Femme, ton corps de nuage et de pierre
Porte
la vie et son arbre au-dedans,
Et la nuit chante aux rameaux de
tes veines :
Signe de chair, à l'oubli de tes plages,
A leur
blancheur, notre appel et nos peines
Ont déposé leur
coquillage.
Lanza del vasto, © Seghers, 1966, p.90
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L'INQUIÉTANTE IMAGE
Les
arbres que je vois sont de vrais arbres,
Verts dans le noir, et
frissonnant très haut
Au creux du ciel grand que la lune
marbre.
L'eau, où le vent se trace et se prolonge,
Lèche
l'arche du pont et fuit, vraie eau.
Et les femmes qui marchent sur
la terre,
Elles sont : ô stupeur du solitaire.
Et tout ceci,
que je touche ce soir,
Est plus profond et plus secret qu'un
songe,
Et trouble, et plus décevant qu'un espoir.
Image, ô
toi belle aux cœurs inquiets,
O deux fois belle image, toi qui
es.
Ibid. p.91
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L'AUBE IGNORÉE
La
lune, avec son beau gréement d'étoiles rares,
Aborde au port
qu'un banc de nacres barre,
Mais l'homme ingrat aux beautés de la
nuit,
Leurré de rêve ou travaillé d'ennui,
Roule à l'abri
de ses volets avares.
ibid p.92
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LE MANTEAU D'IMAGES
Au
fond de chaque chose un poisson nage.
Poisson, de peur que tu n'en
sortes nu
Je te jetterai mon manteau d'images.
Vous qui
vous déroulez dans nos délices
Lorsque ma bien-aimée à moi
s'enlace
Et qui glissez dans ses flancs lisses,
Serpents, de
peur que vous n'en sortiez nus,
Je vous jetterai mon manteau
d'images.
Vous, crabes, poux, crapauds, scorpions,
limaces,
Qui m'observez avec des yeux d'humains
Et que parfois
je touche dans leur main,
Amis, de peur que vous ne sortiez
nus,
Je vous jetterai mon manteau d'images.
Je rejetterai
mon manteau d'images,
Afin que, m'étant quelque peu tenu
Sur
le bord du toit sans voix ni visage,
J'éclate de rire et m'envole
nu.
ibid p.100
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LA MAISON DE VENT
J'ai
ma maison dans le vent sans mémoire,
J'ai mon savoir dans les
livres du vent,
Comme la mer j'ai dans le vent ma gloire,
Comme
le vent j'ai ma fin dans le vent.
ibid p.102
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LE CHEVAL BLANC ET NOIR
Les
jours défunts et leur feuille de ciel
Dans la forêt de l'éternel
luisent encor.
J'entends courir dans la forêt de l'éternel
Le
cheval blanc et noir des vivants et des morts.
ibid, p.103
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MORNING PEARL
Look
out, my soul, look out! Never so light
A day has risen since the
birth of days
Since the Lord made this world out of dead
light
Fallen from Heaven into heaviness !
Under the hills
the eyes of truth are smilling.
And as the roar of sea dreams in
the conch,
So in the mother-pearl of olive trees
A wave
remembers gone eternities
Within the morning shiny like a shell.
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PERLE
DU MATIN
(traduction)
Ouvre,
mon âme, vois! Jamais jour si léger
Ne s'est levé depuis la
naissance des jours
Depuis que le Seigneur fit de lumière
Morte
et du ciel tombée en pesanteur, ce monde.
Derrière le coteau
l’œil de la Vérité sourit
Et comme la rumeur des mers se rêve
dans la conque,
Ainsi, de par les oliviers de nacre, une
onde
Roule des souvenirs d'éternités qui furent,
Au luisant
coquillage du matin…
ibid, p.120
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NOCTURNE
Jamais n'ai
contemplé sans un frisson
De doux étonnement, dans les
profondes
Branches que nuit enfle de son haleine,
Les étoiles
mêlées parmi les feuilles.
L'humble rosée de leur
lumière
Qui tremble et par instants s'évanouit,
Transperce
les grands bois noirs par la cime,
Immensités qui paraissent
fleurir, —
Fleurs d'arbre non, mais fleurs de l'herbe au
vent
Paraissent; — tant ils sont, Seigneur, profonds
Tes
abîmes, — pourtant, œil inerme, ces minimes
Étincelles, je
les sens, qui sont des mondes.
Ibid p.129
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NE PENSE JAMAIS...
Ne pense jamais :
A quoi bon ? ce n'est qu'une bête.
Ne pense jamais : C'est bien
fait! Il l'avait mérité.
Ne pense jamais : Ils sont trop,
peut-on les secourir tous ?
Ne pense jamais : Cela ne me regarde
pas.
Mais plains deux fois celui qui est toute chair et
souffre
tout entier.
Celui qui est coupable et deux fois
malheureux.
Soulage parmi tant d'autres celui qui se trouve à
ta
portée — qui n'est pas soulagé de ce que d'autres
souffrent
— car il souffre de sa souffrance seule.
Car il n'y
a qu'une souffrance et tu ne peux la soulager
qu'en lui.
Sache
que toute souffrance te regarde, ô mortel.
Ibid p144
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DE LA VÉRITÉ
Qu'est-ce
que la vérité ?
La vérité, dit l'homme intelligent, c'est la
plus grande
somme de notions exactes sur le plus grand nombre
possible
de choses.
La vérité, dit le matérialiste, c'est ce
que les choses sont,
en dehors de toute intervention ou
arrangement de notre
intelligence.
La vérité, dit le savant,
c'est la conformité de nos formules,
systèmes et mesures, avec
les lois de la nature telles
que l'expérience nous les
enseigne.
La vérité, dit l'idéaliste, c'est la cohérence de
nos pensées
et leur conformité avec la loi de la pensée, car
toutes les
« choses » se présentent à notre pensée comme des
images,
c'est-à-dire des pensées, et tout report à un extérieur
est
absurde et illusoire.
La vérité, dit le mystique, c'est
le mystère, et le mystère,
c'est ce qu'on ne peut pas dire.
La
vérité, dit le croyant, c'est Dieu, et Dieu seul connaît
Dieu.
La
vérité, dit le démocrate totalitaire, c'est l'opinion du
plus
grand nombre; et la vraie politique, c'est de faire en
sorte que
le plus grand nombre opine pour ce qui convient.
La vérité, dit
le sophiste , c'est ce qui se démontre avec
éclat, et je peux
démontrer avec le même éclat le pour et
le contre, ce qui
démontre que la vérité, c'est l'éclat de mon
intelligence.
La
vérité, dit le sceptique, c'est que personne ne sait la
vérité.
(…)
ibid p 146
Bibliographie
-
Le chiffre des choses © Robert Laffond 1942
-
Le pélerinage aux sources © Denoël 1943, Gallimard 1989, Le Rocher 1993
Internet
-
Encyclopédie de l’Agora
-
Sur INA.fr une interview de L.del Vasto
Contribution de Jean Gédéon
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