À l'heure où la côte Est des État-Unis, et particulièrement New-York, se remet à peine de la tempête Sandy qui l'a ravagée, ce texte de Senghor, tiré des Éthiopiques, qu'il consacra à la grande métropole américaine.
À
New York (pour un orchestre de
jazz : solo de trompette)
(extraits)
New
York ! D’abord j’ai été confondu par ta beauté, ces
grandes filles d’or aux jambes longues.
Si timide d’abord
devant tes yeux de métal bleu, ton sourire de givre
Si timide. Et
l’angoisse au fond des rues à gratte-ciel
Levant des yeux de
chouette parmi l’éclipse du soleil.
Sulfureuse ta lumière et
les fûts livides, dont les têtes foudroient le ciel
Les
gratte-ciel qui défient les cyclones sur leurs muscles d’acier et
leur peau patinée de pierres.
Mais quinze jours sur les trottoirs
chauves de Manhattan – C’est au bout de la troisième semaine que
vous saisit la fièvre en un bond de jaguar
Quinze jours sans un
puits ni pâturage, tous les oiseaux de l’air tombant soudain et
morts sous les hautes cendres des terrasses.
Pas
un rire d’enfant en fleur, sa main dans ma main fraîche
Pas un
sein maternel, des jambes de nylon. Des jambes et des seins sans
sueur ni odeur.
Pas un mot tendre en l’absence de lèvres, rien
que des cœurs artificiels payés en monnaie forte
Et pas un livre
où lire la sagesse. La palette du peintre fleurit des cristaux de
corail.
Nuits d’insomnie ô nuits de Manhattan ! si agitées
de feux follets, tandis que les klaxons hurlent des heures vides Et
que les eaux obscures charrient des amours hygiéniques, tels des
fleuves en crue des cadavres d’enfants.
(…)
New
York ! Je dis New York, laisse affluer le sang noir dans ton
sang
Qu’il dérouille tes articulations d’acier, comme une
huile de vie
Qu’il donne à tes ponts la courbe des croupes et
la souplesse des lianes.
Voici revenir les temps très anciens,
l’unité retrouvée la réconciliation du Lion du Taureau et de
l’Arbre
L’idée liée à l’acte l’oreille au cœur le
signe au sens.
Voilà tes fleuves bruissants de caïmans musqués
et de lamantins aux yeux de mirages. Et nul besoin d’inventer les
Sirènes.
Mais il suffit d’ouvrir les yeux de l’arc-en-ciel
d’Avril
Et les oreilles, surtout les oreilles à Dieu qui d’un
rire de saxophone créa le ciel et la terre en six jours.
Et le
septième jour, il dormit du grand sommeil nègre.
In « Les poètes et la ville » © Le cherche midi éditeur, mars 2000, page 91/92
Internet
- Voir dans La Pierre et le Sel l'article consacré à Senghor par Jacques Décréau le 26 septembre 2012
Contribution de Hélène Millien
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