La chorégraphe et danseuse Carolyn Carlson, d'origine finlandaise mais de nationalité américaine, a la particularité de mettre en quelques mots brefs ses pensées et réflexions philosophiques ou spirituelles, depuis plusieurs années dans des carnets, et de les illustrer de calligraphies à l'encre de chine. Cette forme d'expression, d'inspiration zen ou taoïste, évoque les haïkus japonais pour leur densité.
Comme chaque danseur traduit par son corps et son geste sa présence unique au monde, de même les poèmes de Carolyn Carlson tentent d'exprimer l'élan, la grâce et l'intensité qu'on lui connaît sur scène.
En voici quelques-uns, traduits de l'américain, tirés de trois de ses recueils, parus entre novembre 2002 et mai 2011:
La
mort
démêle
le Soi
du Moi
In Solo © Éditions Alternatives 2005, transcriptions de Maud Margot Bigiani, p.36
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Le
vent à voix voilée
ouvre les écailles de ma chevelure
une
pensée parfumée me vient
je te l'enverrai
Ibid p.114
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Convalescence
d'une aile brisée
Dans le cri silencieux de l'hiver
le
soleil darde la terre
et je me sens comme une flamme brûlant sur
la neige
ibid p.74
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Nous
sommes ce que nous laissons derrière nous
ibid p.98
Dans la préface de Solo, Jorge De Sousa Noronha écrit : « Du signe à la danse, de la danse au signe. Carolyn Carlson a pris l'habitude de laisser aussi d'autres traces, lorsque à coté de ses poèmes, elle griffonne à l'encre de Chine d'étranges figures légères et rapides, comme essayant de prendre l'envol des pages de son carnet. Telles que sur la scène, la fraîcheur, la grâce, la spontanéité viennent jusque sur ses dessins animés de poésie. (...) Rêves poétiques qu'exprime une écriture calligraphique très particulière, ou simples “signes de danse” ? Qu'importe, si cette autre magie peut avoir la force de nous émouvoir ! »
Aujourd'hui
ou demain ?
Qu'importe
Puisque tout ce qui fut
vécu
Disparaîtra
Dans la respiration de ces mots
In le soi et le rien © Actes Sud 2002, Traduit de l'américain par Anne Deriaz, p.23
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Moi, l'arbre
derrière ta fenêtre
Moi, le voleur dans la nuit sombre
Moi,
l'enfant qui meurt de faim
Moi, la rivière qui coule vers la
mer
Moi, l'herbe qui pousse entre les cailloux
Moi, le soleil
qui éclaire les collines
Moi, la lune qui au matin se meurt
Nous
de toutes choses.
ibid p.49
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Se
souvenir
de soi-même comme d'une larme
dans l'immobilité de
l'air
In
Le
souffle de l'esprit ©
Actes Sud 2011, traduits par Jean-Pierre Siméon, p.13
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Une
coquille close sur elle-même
jette un regard au-dehors
l'érosion
de l'âme
fait une perle parfaite
ibid p.21
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Fleurs
de nuit épanouies
dans l'obscur
de qui êtes-vous le
silence ?
ibid
p.55
****
Longtemps
j'ai porté avec moi
ce livre vide
aujourd'hui je le remplis de
toi
ibid p.57
Dans un tel message adressé au lecteur, chaque poète pourrait se retrouver. Carolyn Carlson ajoute ce qui sera le mot de la fin:
« Ne m'écoutez pas, je n'ai rien écrit que vous n'ayez entendu, c'est juste le lien qui change (...) me voilà de tout mon être toute à vous. »
Bibliographie
- Solo, poèmes et encres © Éditions Alternatives 2005
- Le soi et le rien © Actes Sud 2002
- Brins d'herbe © Actes Sud 2011
Internet
- Carolyn Carlson sur le site du Centre chorégraphique national de Roubaix
- Un article Wikipedia
Contribution de Roselyne Fritel
Comme lorsque vous dansez, la musique de vos poèmes me va droit au cœur, leurs images, leurs mots sont universels, et Roumi a repris sa flûte pour s'enivrer de leur chant. Parfois surgit dans le mouvement du monde une île qui rejoint le ciel, merci de votre présence qui dévoile, qui illumine, et métamorphose en lumière nos cœurs et nos âmes.
ce poème écrit il y a qq années dans la nature sauvage !
même sentiment de liberté et d'union au tout en découvrant vos créations.Merci, de tout cœur.
SEVE DES NUITS
le roc où je repose
d’où je m’élance
montagne d’occident
colline d’orient ce soir
un arc en ciel les rejoint
face à cet horizon je regarde fondre les lumières grises
de minuit à l’aurore je dormais sous la treille de raisins verts
en plein ciel
miroir du monde
où s’élance le regard
bruissement parfum unique
chaque feuille de buis ou de fougère entonnait un psaume
croissance des nuits
étoiles se balançant de branche en ciel
inaudibles oiseaux
sentir cette éternelle danse
promesse des ruisseaux
halètement vertige du maquis
gong, d’où point la vie
tous les verts s’en imprègnent
corps cœur regard s’éveillent d’un sommeil rêvé
Rédigé par : Colette Poggi | 10 juin 2014 à 08:30
merci pour l'émotion de ces lignes qui parlent de différentes facettes de cette chorégraphe sublime.
La danse peut porter le mot
Le mot peut porter la danse
Le corps n'est que véhicule
Rédigé par : marie-christiane Moreau | 16 novembre 2012 à 12:00