J'erre
dans la cour à attendre un mot mouillé de
vin mêlé de ciel et
j'ai des gestes de nouveau-né sans
habitudes.
C'est
la vie qui regarde la vie qui respire, et le
soupir grandit.
In
Vie
Saxifrage ©
Éditions Alain Gorius 2012, p.33
Étrange qualificatif, que saxifrage allié au mot vie, qui mérite d'être éclairci.
En effet saxifrage, selon le Littré, est un ancien terme de médecine qui signifie : “propre à dissoudre les pierres”. Les plantes maritimes, qui portent ce nom, sont aussi appelées « casse-pierre » car elles les délitent.
Une Vie saxifrage est probablement vouée à partager le destin de cette plante résolue et son bénéficiaire amené à jouer le rôle du cantonnier de son jardin secret. Serait-ce là la vocation du poète ?
René Char s'étant présenté à plusieurs reprises comme un « saxifrage éclaté, un briseur de rochers, un Prométhée saxifrage », Gabrielle Althen, qui eut avec lui de précieux échanges, y fait assurément référence.
Lors de la présentation de ce livre, en sa présence et par son éditeur, au Festival des Voix Méditerannéennes, en juillet dernier, à Sète, le poète expliqua le choix de ce titre par le fait que « la vulnérabilité puisse être parfois plus forte que le roc.»
Deux autres contributions de Jean Gédéon traitaient déjà de l'œuvre de Gabrielle Althen, sur La Pierre et le Sel, mais les deux parutions de 2012, un recueil de poèmes, Vie Saxifrage et un essai, La Splendeur et l'Écharde, exigeaient d'être présentées, l'une enrichissant l'autre et nous éclairant de leur flamme intérieure. Quant à la toute dernière, à peine parue aux Éditions de La Lune bleue, sous le titre de Chuchotis, elle s'annonce à point pour être dite.
« Pour la première fois je ressens la peur de n'avoir pas peur » écrit Gabrielle Althen dans La Splendeur et l'Écharde, évoquant « le surcroît d'une accalmie », qu'apporte l'art au brûlant désir d'éternité de l'homme. C'est par une phrase tirée de cet essai que s'ouvrira cette réflexion.
Les grandes œuvres ressemblent à l'échelle de Jacob et elles sont, elles aussi, comme elle, susceptibles d'être parcourues dans tous les sens, de haut en bas et de bas en haut. (...) Peut-être nous placent-elles principalement entre les extrêmes du vœu et de la pauvreté qui, immanquablement, l'accompagne.
In La Splendeur et L'Écharde © Éditions de Corlevour 2012, p.43
La poésie étant l'art majeur où l'auteur excelle, nous tenterons d'emprunter cette échelle de Jacob au fil de Vie Saxifrage.
L'âme
à la rue entre deux bruits, – et je ressemble
à un âne entre
ses deux ballots. Une vapeur s'élève-
rait-elle ? C'est un
soupir qui monte du lieu qui fut moi,
dont je fus évincé, et qui
dure et s'exhale comme une
fleur demeurée telle, qui n'existerait
cependant que par
le souvenir qui en persiste.
In Vie Saxifrage © Éditions Alain Gorius 2012, p.26
****
Il
y a dans l'air des exploits impalpables qu'on
appelle des anges et
qu'on ne verra pas.
Ibid p.40
****
Le comble
Entre
les doigts de mots si clairs
Que la légèreté passe au
travers
Des traces de sourires affleurent
Des perdrix courent
entre les oliviers
Tu as fini par cesser de pleurer
Bien que de
vieux sanglots te soulèvent parfois
range tes épaules dans le
calme
et qu'importe que te manque une étrave
À l'heure où
tout devient regard
Cette beauté n'est pas province arable
Ibid p.48
****
Le bleu du sel
En
surplomb de la peine et des amours, un bleu
de sel dur et sa
découpe à nu sur le moment traversé
d'oiseaux pesants qui
tiennent bon sans y penser.
L'échelle de Jacob, comme chacun le sait, mène directement à la porte du ciel, « car le ciel ne se voit que d'en-bas. ». Cerise sur le gâteau, le poète nous y accueille avec ce poème grave, dernier-né d'un ravissant livre miniature, conçu, réalisé et illustré par Lydia Padellec et tout juste paru aux Éditions de La Lune bleue, sous le titre Chuchotis.
V
Ciel
parfait, à peine une soie de
l'air, plus fine que la lumière,
coupée
de la matière tout près des bouches
d'attentats.
Et
bien que les oiseaux se taisent,
une allégresse vole, non loin
des chiens
qui ne l'entendent pas.
L'échelle divine, bien qu'on y croise des anges, nous laisse immanquablement à la porte.
En effet, on y porte son bât, on y sanglote même et si parfait que soit le ciel, les oiseaux sont pesants et s'y taisent, tandis que les chiens veillent aux bouches d'attentats. Ces équipées, tout comme l'écriture de Gabrielle Althen, ne sont jamais éthérées. Le poète s'y risque, prend de la hauteur, voit et nomme en très charnelle et bienveillante médiatrice.
Par ailleurs, La Splendeur et l'Écharde nous propose quelques « préalables » sur ce que devrait être le travail du poète, fruits de l'expérience précieuse de celle qui choisit René Char pour maître, enseigna à Béatrice Douvre et exerça brillamment, sa vie durant, le métier de pédagogue.
Ne pas décrire. Laisser le monde parler. Au bout du compte, toujours se taire, sauf à n'être plus qu'une voix du monde, en sachant bien que l'on est soi-même qu'un petit bout de ce même monde, du reste autorisé, de ce fait, à l'existence, comme tout le reste.
Se taire assez pour que circule le flux de ce qui serait à dire.
In La Splendeur et l'Écharde © Éditions de Corlevour 2012, p.99
****
Les petits poètes sont comme des enfants. Ils ont le sens de la trouvaille et pas celui de la synthèse. Ils brodent leurs patchworks. Manque de ligne de fuite, manque de dégagement et de projet continu. D'où manque de sens, manque de vision, et, parfois, de métaphore continue, finalement manque de force.
En revanche, un seul foyer lumineux, s'il est sûr et puissant, suffit à écarter l'obscurité. De même, une seule qualité, quand elle est forte, chasse bien des risques. La raison en est que la qualité a un pouvoir de rayonnement. À elle seule, si elle est décisive, elle peut finir par créer l'unité et par rendre nécessaire ce qui eût dû ne pas l'être.
Contradictions inhérentes au mystère de l'efficacité du poème !
L'œuvre n'est pas un combat avec l'ange mais avec le démon et toute œuvre consiste à l'emporter, fût-ce d'un cheveu, sur le démon.
Ibid, p.94
****
Le tout est de parvenir à une émotion non sentimentale. Mais peut-être aussi bien de se servir d'une émotion sentimentale pour parvenir à une autre qui ne le soit pas. Car si la poésie a normalement l'émotion pour langage, elle n'en invite pas moins à s'émouvoir d'une toute autre façon que les circonstances de la vie.
Ibid, p.103
****
Il faut laisser la grâce se réjouir en soi : chance, peut-être, pour le langage de chanter avec elle.
Ibid, p.107
****
Au prisonnier, le ciel offrit sa perle, où ce dernier, indéfiniment, pouvait entrer.
Ibid, p.108
Et parce que, tels les plus grands poètes, elle sut être La Belle mendiante d'un beau livre et qu'elle demeure « superbement intacte », Gabrielle Althen pose, pour clore ses Préalables, cet acte de foi poétique avec toute la chaleur, la simplicité et la lucidité dont on la sait capable , acte qui tiendra lieu d'envoi et de conclusion.
Mendiants éternels, ceux qui le sont par vocation, à qui il reste, après avoir tant joué à transformer le plein en vide, après avoir crevé tant de vessies, à transmuer le vide en plein, ou plus précisément en signe du plein, ce qui n'a évidemment pas pour but de légitimer leur carrière de mendiants, – mendiants, ils l'ont été, mendiants ils resteront, ceci par fait de foi dans la virtualité du meilleur, dont le vide leur semble être la figure emblématique.
Ibid, p.95
Splendeur donc que cette foi poétique, qui nous incite dans Chuchotis, en dépit des échardes, des doutes et des manques à « étreindre le réel et son goût de sel dans la bouche du ciel, afin qu'une heure qui nous attende veuille faire mine de n'être plus provisoire. »
Bibliographie consultée
-
Vie Saxifrage © Éditions Alain Gorius 2012
-
La Splendeur et l'Écharde © Éditions de Corlevour 2012
-
Chuchotis © Éditions de la Lune bleue 2012
Sur internet
Contribution de Roselyne Fritel
J'erre
dans la cour à attendre un mot mouillé de
vin mêlé de ciel et
j'ai des gestes de nouveau-né sans
habitudes.
C'est
la vie qui regarde la vie qui respire, et le
soupir grandit.
In
Vie
Saxifrage ©
Éditions Alain Gorius 2012, p.33
Étrange qualificatif, que saxifrage allié au mot vie, qui mérite d'être éclairci.
En effet saxifrage, selon le Littré, est un ancien terme de médecine qui signifie : “propre à dissoudre les pierres”. Les plantes maritimes, qui portent ce nom, sont aussi appelées « casse-pierre » car elles les délitent.
Une Vie saxifrage est probablement vouée à partager le destin de cette plante résolue et son bénéficiaire amené à jouer le rôle du cantonnier de son jardin secret. Serait-ce là la vocation du poète ?
René Char s'étant présenté à plusieurs reprises comme un « saxifrage éclaté, un briseur de rochers, un Prométhée saxifrage », Gabrielle Althen, qui eut avec lui de précieux échanges, y fait assurément référence.
Lors de la présentation de ce livre, en sa présence et par son éditeur, au Festival des Voix Méditerannéennes, en juillet dernier, à Sète, le poète expliqua le choix de ce titre par le fait que « la vulnérabilité puisse être parfois plus forte que le roc.»
Deux autres contributions de Jean Gédéon traitaient déjà de l'œuvre de Gabrielle Althen, sur La Pierre et le Sel, mais les deux parutions de 2012, un recueil de poèmes, Vie Saxifrage et un essai, La Splendeur et l'Écharde, exigeaient d'être présentées, l'une enrichissant l'autre et nous éclairant de leur flamme intérieure. Quant à la toute dernière, à peine parue aux Éditions de La Lune bleue, sous le titre de Chuchotis, elle arrive à point pour être dite.
« Pour la première fois je ressens la peur de n'avoir pas peur » écrit Gabrielle Althen dans La Splendeur et l'Écharde, évoquant « le surcroît d'une accalmie », qu'apporte l'art au brûlant désir d'éternité de l'homme. C'est par une phrase tirée de cet essai que s'ouvrira cette réflexion.
Les grandes œuvres ressemblent à l'échelle de Jacob et elles sont, elles aussi, comme elle, susceptibles d'être parcourues dans tous les sens, de haut en bas et de bas en haut. (...) Peut-être nous placent-elles principalement entre les extrêmes du vœu et de la pauvreté qui, immanquablement, l'accompagne.
In La Splendeur et L'Écharde © Éditions de Corlevour 2012, p.43
La poésie étant l'art majeur où l'auteur excelle, nous tenterons d'emprunter cette échelle de Jacob au fil de Vie Saxifrage.
L'âme
à la rue entre deux bruits, – et je ressemble
à un âne entre
ses deux ballots. Une vapeur s'élève-
rait-elle ? C'est un
soupir qui monte du lieu qui fut moi,
dont je fus évincé, et qui
dure et s'exhale comme une
fleur demeurée telle, qui n'existerait
cependant que par
le souvenir qui en persiste.
In Vie Saxifrage © Éditions Alain Gorius 2012, p.26
Il
y a dans l'air des exploits impalpables qu'on
appelle des anges et
qu'on ne verra pas.
Ibid p.40
Le comble
Entre
les doigts de mots si clairs
Que la légèreté passe au
travers
Des traces de sourires affleurent
Des perdrix courent
entre les oliviers
Tu as fini par cesser de pleurer
Bien que de
vieux sanglots te soulèvent parfois
range tes épaules dans le
calme
et qu'importe que te manque une étrave
À l'heure où
tout devient regard
Cette beauté n'est pas province arable
Ibid p.48
Le bleu du sel
En
surplomb de la peine et des amours, un bleu
de sel dur et sa
découpe à nu sur le moment traversé
d'oiseaux pesants qui
tiennent bon sans y penser.
Ibid p.52
L'échelle de Jacob, comme chacun le sait, mène directement à la porte du ciel, « car le ciel ne se voit que d'en-bas. ». Cerise sur le gâteau, le poète nous y accueille avec ce poème grave, dernier-né d'un ravissant livre miniature, conçu, réalisé et illustré par Lydia Padellec et tout juste paru aux Éditions de La Lune bleue, sous le titre Chuchotis.
V
Ciel
parfait, à peine une soie de
l'air, plus fine que la lumière,
coupée
de la matière tout près des bouches
d'attentats.
Et
bien que les oiseaux se taisent,
une allégresse vole, non loin
des chiens
qui ne l'entendent pas.
L'échelle divine, bien qu'on y croise des anges, nous laisse immanquablement à la porte.
En effet, on y porte son bât, on y sanglote même et si parfait que soit le ciel, les oiseaux sont pesants et s'y taisent, tandis que les chiens veillent aux bouches d'attentats. Ces équipées, tout comme l'écriture de Gabrielle Althen, ne sont jamais éthérées. Le poète s'y risque, prend de la hauteur, voit et nomme en très charnelle et bienveillante médiatrice.
Par ailleurs, La Splendeur et l'Écharde nous propose quelques « préalables » sur ce que devrait être le travail du poète, fruits de l'expérience précieuse de celle qui choisit René Char pour maître, enseigna à Béatrice Douvre et exerça brillamment, sa vie durant, le métier de pédagogue.
Ne pas décrire. Laisser le monde parler. Au bout du compte, toujours se taire, sauf à n'être plus qu'une voix du monde, en sachant bien que l'on est soi-même qu'un petit bout de ce même monde, du reste autorisé, de ce fait, à l'existence, comme tout le reste.
Se taire assez pour que circule le flux de ce qui serait à dire.
In La Splendeur et l'Écharde © Éditions de Corlevour 2012, p.99
Les petits poètes sont comme des enfants. Ils ont le sens de la trouvaille et pas celui de la synthèse. Ils brodent leurs patchworks. Manque de ligne de fuite, manque de dégagement et de projet continu. D'où manque de sens, manque de vision, et, parfois, de métaphore continue, finalement manque de force.
En revanche, un seul foyer lumineux, s'il est sûr et puissant, suffit à écarter l'obscurité. De même, une seule qualité, quand elle est forte, chasse bien des risques. La raison en est que la qualité a un pouvoir de rayonnement. À elle seule, si elle est décisive, elle peut finir par créer l'unité et par rendre nécessaire ce qui eût dû ne pas l'être.
Contradictions inhérentes au mystère de l'efficacité du poème !
L'œuvre n'est pas un combat avec l'ange mais avec le démon et toute œuvre consiste à l'emporter, fût-ce d'un cheveu, sur le démon.
Ibid, p.94
Le tout est de parvenir à une émotion non sentimentale. Mais peut-être aussi bien de se servir d'une émotion sentimentale pour parvenir à une autre qui ne le soit pas. Car si la poésie a normalement l'émotion pour langage, elle n'en invite pas moins à s'émouvoir d'une toute autre façon que les circonstances de la vie.
Ibid, p.103
Il faut laisser la grâce se réjouir en soi : chance, peut-être, pour le langage de chanter avec elle.
Ibid, p.107
Au prisonnier, le ciel offrit sa perle, où ce dernier, indéfiniment, pouvait entrer.
Ibid, p.108
Et parce que, tels les plus grands poètes, elle sut être La Belle mendiante d'un beau livre et qu'elle demeure « superbement intacte », Gabrielle Althen pose, pour clore ses Préalables, cet acte de foi poétique avec toute la chaleur, la simplicité et la lucidité dont on la sait capable , acte qui tiendra lieu d'envoi et de conclusion.
Mendiants éternels, ceux qui le sont par vocation, à qui il reste, après avoir tant joué à transformer le plein en vide, après avoir crevé tant de vessies, à transmuer le vide en plein, ou plus précisément en signe du plein, ce qui n'a évidemment pas pour but de légitimer leur carrière de mendiants, – mendiants, ils l'ont été, mendiants ils resteront, ceci par fait de foi dans la virtualité du meilleur, dont le vide leur semble être la figure emblématique.
Ibid, p.95
Splendeur donc que cette foi poétique, qui nous incite dans Chuchotis, en dépit des échardes, des doutes et des manques à « étreindre le réel et son goût de sel dans la bouche du ciel, afin qu'une heure qui nous attende veuille faire mine de n'être plus provisoire. »
Bibliographie consultée
-
Vie Saxifrage © Éditions Alain Gorius 2012
-
La Splendeur et l'Écharde © Éditions de Corlevour 2012
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Chuchotis © Éditions de la Lune bleue 2012
Sur internet
Contribution de Roselyne Fritel
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