La Maison de la Poésie, Passage Molière à Paris, accueillait du 17 au 20 janvier 2013, trois géants de la poésie contemporaine, Michel Butor, Charles Juliet, Frank Venaille.
Ce furent quatre après-midi et soirées d'exception, ponctuées de lectures, d'entretiens, de projections de films, d'écoutes radiophoniques, de lectures et récitals.
Des comédiens, parfois accompagnés de musiciens mais aussi des jeunes de deux lycées parisiens, classique et professionnel, ayant participés à un atelier de découverte et d'apprentissage de la poésie, animérent brillamment ces soirées, qui clotûraient ce troisième cycle des Géants à la Maison de la Poésie et aussi sept années de créations, au service de la poésie, de son responsable, Claude Guerre, tenu de la quitter le lendemain.
Michel Butor, Charles Juliet, et Frank Venaille font déjà, chacun, l'objet d'un article sur La Pierre et le sel, mais les poèmes, parus sous le titre Survivre, chez Æncrages & Co, en 2010, accompagnés de linotypie de Georges Badin, – comme nombre de ses publications ( un millier, selon lui) illustrées par des artistes – s'accordent à merveille avec sa truculente présence, son humour et sa verve sur scène, durant ces journées.
Quand
on atteint les quatre-vingts
on écrit en octosyllabes
si je
deviens nonagénaire
je saurai compter jusqu'à neuf
c'est
nettement plus difficile
mais sonne tout différemment
j'ai
essayé cela produit
une sorte d'hésitation
C'est comme si
la main tremblait
bien qu'on écrive à la machine
ou recopie
soigneusement
c'est un léger dépassement
une bavure une
bordure
parfois c'est l'éclaboussement
la voix se libère un
instant
mais je n'en suis pas encor là
In Survivre, Un train de sénateur
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Avez-vous
revu récemment
notre vieux Michel il n'est plus
si sémillant
si frétillant
qu'auparavant il était bon
d'ailleurs qu'il
s'assagisse un peu
même si à travers son rire
tonitruant il y
avait
toujours chez lui du taciturne
Il était resté
longtemps jeune
presque un enfant toujours ailleurs
poursuivant
problèmes chimères
et puis retombant sur la Terre
avec un
regard étonné
en essayant de compenser
maladroitement son
absence
par un surcroît de politesse
A vrai dire je l'ai
croisé
il y a juste quelques jours
à quelque commémoration
je
l'ai reconnu tout de suite
en me disant sur le moment
qu'il
avait pourtant
bien changé
front dégarni pas mal de ventre
paupières
bouffies maintes rides
Oui de plus en plus dur d'oreille
mais
on ne sait exactement
quand il vous répond à côté
si c'est
vraiment la surdité
ou bien distraction dérobade
car au bout
de quelques instants
émergeant rieur de ses brumes
il retrouve
le fil perdu
Il se plaint parfois plaisamment
ma mémoire
me joue des tours
le matin quand je me promène
c'est de moins
en moins longuement
le territoire que j'arpente
se rétrécit
de plus en plus
j'admire au détour des chemins
les régions
que je préférais
Apprendre hélas je voudrais bien
c'était
le plus grand des plaisirs
mais le moindre appareil nouveau
me
rend honteux de maladresse
sans parler des ordinateurs
que les
enfants savent si bien
piloter dans leurs aventures
effleurant
les champs du savoir
Ce qui diminue sûrement
c'est le
nombre des jours qui reste
à vivre on ne peut le savoir
que
lorsqu'on arrive au dernier
alors les autres se souviennent
font
des calculs et aperçoivent
le moment fatal approcher
dans
l'ombre des rétrospectives
Contre la mauvaise fortune
faisant
bon cœur on se persuade
que ce qu'on perd d'un côté
en
endurance et gaillardise
on peut le regagner ailleurs
on
découvre les avantages
de la lenteur pour infiltrer
les
fissures des lendemains
Ibid Je diminue
Bibliographie consultée
-
Survivre © Æncrages & Co 2010
Internet
-
Vidéo : Butor invité de France Musique
-
Michel Butor dans La Pierre et le Sel : Anthologie nomade de Michel Butor / Poèmes en regard : Michel Butor et l'exposition « Mascarades et Carnavals » du musée Dapper
Contribution de Roselyne Fritel
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