Les
étoiles accrochent des prénoms aux branches des pommiers
Les
vergers défient les plus belles couleurs des grandes peintures.
Nous
sommes les créateurs de la glaise.
Les formes cavalent les rêves
à la poursuite de la réalité.
Ce moment où je t’ai approchée
de travers
À cause de l’ouragan,
Et le cyclone emportait nos
paniers à provisions.
Cours vite petit homme aux jambes de
géant
Aux paroles d’or qui enrichissent la pauvreté apparente
des blouses.
La poésie est l’orfèvrerie des damnés
Et nous
sommes les poètes du matin (…)
In Le pays derrière le chagrin (1979), dans Le jardin des tempêtes (2000), p 44, extrait
Né à Tréguier, en Bretagne, en 1953, Yvon Le Men est un poète dont la seule profession est la poésie, qui remplit toute sa vie : avec l’écriture, dans la solitude ; et la lecture de ses poèmes et de ceux des autres, dans le partage des rencontres, en Bretagne d’abord, puis à travers le monde. Un pari difficile, mais qui fait de lui un poète libre.
À l’image d’un père cantonnier rassemblant les pierres du chemin pour en faire des voies de passage, Yvon Le Men rassemble les mots et, par le chemin de la poésie, devient à son tour passeur de poètes et d’écrivains de tous pays.
Il vit à Lannion, son port d’attache, dans les Côtes-d’Armor, où il crée en 1992 des rencontres qu’il intitule « Il fait un temps de poème ». Avec Michel Le Bris, il anime le festival « Étonnants voyageurs » de Saint-Malo, y créant en 1997 un espace-poésie.
Dans La clef de la chapelle est au café d’en face, un recueil de nouvelles publié en 1998, Yvon Le Men écrit à propos de sa ville : « Je vis à Lannion, une petite ville au bord du monde. Et j’ai besoin des hommes et j’ai besoin des bois ; du marché du jeudi matin où l’on se salue pour un oui et à cause d’un non, de la sterne qui m’invite à partir là où il n’y a personne, sur le chemin de halage ».
En 2000 il publie Le jardin des tempêtes, dans lequel il récapitule vingt-cinq années de poésie, de 1971 à 1996, avec un choix de poèmes extraits de recueils souvent épuisés. Il y explore tous les registres dans une quête de l’évidence d’un instant, d’une lumière ou d’une émotion. Voici trois poèmes tirés de cette anthologie.
Partir
S’il
vient sauras-tu le prendre le navire annoncé par les cinq
océans…
S’il vient sauras-tu l’ennoblir ce bateau
Décroche
un croissant de lune
Et voici une coque longue et fine comme une
goélette
Taille quelques rayons de soleil
Et voilà un fier
trois-mâts qui relève la tête
Saisis une étoile filante en
vol
Et tiens bon la barre aux cinq épines de lumière
Déchire
la queue d’une comète
Et mets toutes voiles de feu dehors
Vers
le nord
Au pays des couleurs bleues où la neige est blanche
Où
les troupeaux de rennes traversent les vallées qui descendent dans
les fjords
Nous donnant la mer à la bouche
Vers le nord où
vagabondent les poésies
Qui nous entraînent dans les pays du
beau et du bon (…)
In À l’entrée du jour ,1984, poème en cinq chants et un écho, dans Le jardin des tempêtes, 2000, p.100, extrait
Ou bien cet autre poème, tiré de Quand la rivière se souvient de la source, un recueil publié en 1988.
Il
est des lieux
qui nous rencontrent
sans nous chercher
des
lieux
où voyageaient ces bancs de lumière
parmi les eaux et
les arbres
entre ta main et la mienne que tu pris
soudain
comme
la flamme prend dans la branche
l’éclaircie prend dans le
ciel
Il est des lieux
que les mots ont envie de
garder
comme un prénom protège un enfant de la foule
un
petit nom préserve un amour de l’oubli
et qui surgissent de ta
mémoire
comme l’odeur de l’herbe
toujours
s’échappe
de la pluie
In Quand la rivière se souvient de la source, 1988, ibid p. 115
Ou encore ce poème, tiré de La patience des pierres, un recueil publié en 1995, et qui accorde une large place à la Bretagne, à ses paysages et à ses rêves.
Enez Aval
Il y avait
ces murs de
pierre
où le vent se brisa
sur les rêves
des hommes
venus
de l’autre côté
des siècles
et de la mer
Il
y avait cette croix
grise
par temps de pluie
blanche par
temps de ciel
quand la lumière pose son poids de neige
sur
la terre
Il y avait cette île ouverte
au jour de
l’équinoxe
et la fleur fragile parmi le vent
forte
parmi
la vie
In La patience des pierres, 1995, ibid. p. 285
En 2004, il publie Un carré d’aube, recueil épuré, avec de nombreux poèmes qui ont la brièveté d’un haïku, comme par exemple celui-ci : L’estuaire est tendu / / comme un drap / entre deux rives (p.49). Ou encore cet autre, dont le dépouillement est également proche de l’épure.
Seule
la mer éclaire ton visage. Ton corps est dans un pull noir, un
pantalon noir. Tes mains sont nues. Je suis près de toi, et tu ne
bouges pas. Le matin est loin.
La nuit est noire, si ce n’est le
reflet de l’eau flottant contre la lune. À chaque coup de vague,
tes yeux deviennent bleus. Il n’y a de bruit que le vent. D’échos
que des étoiles. Absentes.
Tant que je ne t’aurai pas donné la
main, nous ne souffrirons pas. À l’aube, l’enfance sera rompue.
Qui, le premier, s’est lancé vers l’autre ?
La mer, dans
le bleu-gris du jour, s’estompe. Le matin, au fond de la baie,
réveille les maisons, les mouettes détachées du ciel. Tes cheveux
coulent sous mes doigts.
In Un carré d’aube, 2004, p. 27
Chambres d’écho, publié en 2008, est un recueil poignant de poèmes sur la mort, l’amour, l’absence et le silence de l’être aimé. Des textes souvent proches du murmure. Le public n’est pas près d’oublier la lecture qu’en a faite Denis Podalydès le 11 mai 2008, pendant le festival Étonnants voyageurs, tant l’émotion était grande.
Nous
avions la vie
entre nous
elle coulait entre les rives
et
nos bras
que le temps
prenait dans ses bras
comme
les rives
prennent la rivière
les talus
le
chemin
comme ton silence prend la parole
aujourd’hui
In Chambres d’écho, 2008, p. 50
Depuis 1990, Yvon Le Men s’est engagé à fond, avec son ami Michel Le Bris, dans l’aventure du festival Étonnants voyageurs, qui réunit chaque année pendant trois jours à Saint-Malo 200 écrivains venus du monde entier et rassemble un public de près de 60 000 personnes. À partir de l’année 2000, le festival se tient également au Mali, à Bamako, où désormais l’expérience se renouvelle tous les deux ans, avec le projet d’en faire un grand rendez-vous de la littérature africaine. Le poème qui suit est extrait d’une Suite sur le Niger, écrite au retour d’un séjour à Bamako, entre février et mai 2003.
De
l’autre côté du fleuve
comme de l’autre côté de la mer
il
y a un pays où vivent
de l’autre côté de nos vies
des
hommes qui nous ressemblent.
Autrefois
ils habitaient dans les
livres d’images
et dans nos peurs
comme ma voisine
la
vieille Marie qui ne parlait que le breton
leur langue était
pleine de sons
et manquait de mots.
Ne
disait-on pas à l’époque
que la vieille Marie
baragouinait
causait avec du pain et du vin dans la bouche
comme
si cela était possible
ne résumait-on pas les multiples langues
de l’Afrique
à la seule expression de petit nègre
comme si
tous les noirs étaient des enfants.
De l’autre côté du
fleuve
vit la famille du bozo
du pêcheur qui par sa pirogue
nous le fait traverser
et entre le bambara le français et le
sourire
nous naviguons. (…)
De l’autre côté du
fleuve
derrière les roseaux
s’éloignent des silhouettes
bleues (…)
In
Besoin de
poème, 2006,
p. 233-234, extraits
En 2006, Yvon Le Men publie Besoin de poème, qui se présente comme une lettre adressée à son père, qu’il perdit à l’âge de 12 ans. Regard d’un homme sur son passé, ses premiers émois, ses blessures, ses rencontres avec ses trois pères en poésie, Eugène Guillevic, Xavier Grall et Jean Malrieu, ses voyages. Un récit qui mêle sans cesse prose et poésie, et où ses poèmes dialoguent avec ceux des poètes qui l’ont marqué. La mort n’est jamais loin, mais la vie l’emporte.
Durant plus de deux ans, de 2006 à 2008, Yvon Le Men rédige une chronique poétique hebdomadaire pour le journal Ouest France, présentant des poètes du monde entier. Il en tire une anthologie Le tour du monde en 80 poèmes, où il partage avec le lecteur plus de trente années de rencontres poétiques.
Il porte également une attention toute particulière aux plus jeunes, se rendant volontiers dans les écoles pour travailler la poésie avec eux, animant des ateliers d’écriture. Deux de ses livres sont consacrés à la jeunesse : Ouvrez la porte aux loups (1994) et Douze mois et toi (2005).
En décembre 2007 le festival franchit cette fois l’océan pour se tenir en Haïti, à Port-au-Prince. Mais la seconde édition fut empêchée par le séisme de janvier 2010 et dut se dérouler à Saint-Malo.
« Sous le plafond des phrases n’aurait jamais vu le jour, écrit Bruno Doucey dans la présentation de ce recueil dont il est l’éditeur, sans le séisme qui a ravagé Haïti le 12 janvier 2010. Ce jour-là je partais rejoindre le festival Étonnants voyageurs à Port-au-Prince où je pensais retrouver Yvon Le Men. Mais comme moi, ce dernier était resté de l’autre côté de l’océan, valise en main, dans l’incendie des dépêches et le fracas des solitudes. De Lannion, il s’inquiète pour ses amis. Il écrit alors au jeune poète Bonel Auguste une lettre vibrante d’émotions qui se termine par ses mots : « Je t’attends chez moi. Dans mon pays de pluie et d’arc-en-ciel. » Depuis, les deux hommes se sont retrouvés, en Bretagne et à Haïti, où furent écrits la plupart de ces poèmes… Avec des mots simples, le poète nous rappelle que des hommes rêvent aussi des séismes de la tendresse. »
Yvon Le Men a dédié Sous le plafond des phrases, publié en janvier 2013, à son ami haïtien.
Les
maisons
autour de sa maison
sont suspendues entre hier et
demain
la sienne a résisté
comme n’a pas résisté
le
palais du Président
le tremblement de terre
a préféré
le peintre au chef d’État
le peintre des villes
imaginaires
suspendues entre ciel et terre
mais seulement
sur la toile
qui suspend le temps
le temps d’oublier
que
le palais du Président n’a pas été rebâti
la cathédrale non
plus
bien sûr il y a les tentes qui grouillent
et les gens
qui s’entassent
les yeux plus vieux que leur âge
bien
sûr il y a le choléra
éparpillé parmi les enfants
qui
viennent vers nous un sourire à la bouche
bien sûr il y a le
manque de tout
mais où est le manque du manque
s’il n’est
dans les symboles ?
imaginez l’Élysée et Notre
Dame
à terre pendant deux ans
imaginer l’inimaginable.
Les
villes du peintre ont tenu bon
sur ses toiles
il peint plus que
jamais
et plus que jamais il défie le temps (…)
In Sous le plafond des phrases, © Bruno Doucey, p. 50-51, extrait
****
Pas
de suicide
en Haïti
depuis longtemps
des
drames
là-bas
pas de suicides
la vie
d’abord
avant
la mort
qui tomba ce jour-là
par en dessous et sur des
milliers
comme une pluie de balles
sur un champ de
bataille
qui rode
comme le brouillard
entre deux
crimes
qui coule dans le grand fleuve
Artibonite
mais
la vie
d’abord
avant la mort (…)
Ibid. p 56-57, extrait
****
Dimanche
en poésie
Ils
viennent
plus nombreux que les livres
s’écouter parler des
livres
écouter parler les livres
ils viennent
à la
bibliothèque L’étoile
filante
comme on va
sur la lune
et même dans la lune
écouter des
histoires
en vers et en prose
et contre tout
histoire
de
changer de vie
de comprendre la sienne (…)
dans ce pays
de poètes
où les mots passent partout
et résonnent comme les
clefs
dans les crânes des prisonniers
la veille du dernier
jour
partout ils ouvrent
sur l’ici-bas et le là-haut
sur
le bleu même dans le noir
ils ouvrent
les images aux mots
qu’elles font
dans nos images
et malgré le peu de
livres
qui s’appuient l’un contre l’autre
sur les
étagères
de la bibliothèque L’étoile
filante
malgré
leurs pages écornées
leurs couvertures éteintes
leurs titres
oubliés
leur encre moisie
malgré leur fatigue
les
mots de leurs pages
veillent au grain
de lumière
qui
s’allume
et réveille les rêves endormis
sous les
étoiles filantes
Ibid. p.53-55, extraits
Bibliographie poétique sélective
-
La patience des pierres suivi de L’échappée blanche, © Rougerie, 1995
-
Il fait un temps de poème, anthologie, © Filigranes, tome 1, 1996 ; tome 2, 2013
-
L’écho de la lumière, © Rougerie, 1997
-
Le jardin des tempêtes, choix de poèmes 1971-1996, © Flammarion, 2000 ; rééd. 2012
-
Un carré d’aube, © Rougerie, 2004
-
Besoin de poème, Lettre à mon père, © Seuil, 2006
-
Chambres d’écho, © Rougerie, 2008
-
Le tour du monde en 80 poèmes, anthologie, © Flammarion, 2009 ; rééd. 2012
-
À louer chambre vide avec personne seule, © Rougerie, 2011
-
Sous le plafond des phrases, © Bruno Doucey, 2013
Internet
-
Yvon Le Men sur le site Étonnants voyageurs
-
Lecture de Chambres d’écho par Denis Podalydès sur le site Étonnants voyageurs (durée 30 minutes)
Contribution de Jacques Décréau
Qui t'as donné ce regard qui toujours nous éclairent même lorsque nous fermons les yeux
pleures ! je suis d'où viennent tes larmes, où vont tes larmes, par où, toujours passera la lumière
je t'ai si souvent écouté avant de m'endormir que tes paroles sont intégrées dans mes pensées, comme les paroles du petit prince, votre lumière aide à vivre
MERCI ! Mamie Jojo
Rédigé par : jocelyne JOUAN | 18 mars 2017 à 22:26